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2006 – 2007

    Cette page présente les comptes-rendus des exécutions et représentations qui ont eu lieu en 2006 et 2007. Nous remercions très vivement les auteurs de leurs précieuses contributions.

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Comptes-rendus en français Comptes-rendus en anglais
           
La Damnation de Faust à Marseille
Stuttgart : des Troyens magnifiques et détestables
Roméo et Juliette : une nuit à l’opéra
Roméo et Gergiev
La Fantastique selon Ozawa
Les Troyens à Genève (2)
Les Troyens à Genève (1)
Boston à Paris
La Damnation de Faust à Paris
Benvenuto Cellini à Salzbourg
Salzbourg : Benvenuto embrouillé, Lélio lumineux
À Propos de la Nonne de Montpellier
La Nonne sanglante de Montpellier
Impressions sur Benvenuto Cellini à Londres
La Messe solennelle par Riccardo Muti
Roméo et Juliette selon Marc Minkowski
À Gelsenkirchen : Des Troyens renouvelés
À Paris : La Victoire des Troyens
Grande Messe des morts (the Requiem) in San Diego
Te Deum in Birmingham
Berlioz at Hollywood Bowl – Funeral and Triumphal Symphony
Harold en Italie in Dublin

 

La Damnation de Faust à Marseille

Par Christian Wasselin

Opéra, 27 novembre 2007

    Tous ceux qui avaient vu et entendu Anna-Caterina Antonacci dans le rôle de Cassandre des Troyens, soit au Châtelet en 2003, soit à Genève en septembre 2007, attendaient avec impatience qu’elle aille plus loin dans son exploration des personnages de Berlioz. C’est Marguerite cette fois qu’elle a choisi d’incarner. Incarnation n’est pas un vain mot, car voilà une interprète qui, outre sa voix et sa technique, a cette grâce qui consiste à donner à une fiction la vie la plus frémissante qui soit. Le 27 septembre, à l’Opéra de Marseille (sous les doubles auspices de Régine Crespin et de Maurice Béjart, artistes marseillais récemment disparus auxquels la soirée était dédiée), La Damnation de Faust bascula tout à coup dans une autre dimension dès qu’Anna-Caterina Antonacci murmura ses premiers mots « Que l’air est étouffant... » – et tous, solistes, orchestre et chef, d’être soudain portés avec elle, par elle. Gilles Ragon avait jusque là bien chanté, mais son duo avec Marguerite prit tout à coup une chaleur inusitée. Et Nicolas Cavallier, cantonné dans une sobre élégance, se mit à faire de ses interventions dans le trio de la troisième partie des coups de poignard redoutables comme jamais. Ces deux-là pour finir (eux aussi abordaient leurs rôles pour la première fois) nous offrirent une Course à l’abîme entièrement chantée, non pas vociférée au hasard, et d’autant plus angoissante. On oubliera le chœur, sans cohésion ni couleur, on saluera Éric Martin-Bonnet en revanche, Brander étonnamment maléfique, mais aussi Philippe Auguin pour sa direction solide et terrienne, plus carrée que nerveuse. Surtout, on sera gré pour longtemps à Anna-Caterina Antonacci d’avoir su marier timbre, diction, ligne et art des nuances à un magnétisme sensuel qui nous fait souhaiter l’entendre encore et encore chanter Berlioz.

Christian Wasselin

Stuttgart : des Troyens magnifiques et détestables

Par Pierre-René Serna

Représentation du 4 novembre 2007

    Détestables, ces Troyens présentés par l’Opéra de Stuttgart le sont pour l’irrespect de la partition. La liste est longue des atteintes portées à l’œuvre, son intégrité et sa fidélité. Elles ressortent, qui plus est, de différents ordres : coupures franches, coupures insidieuses, tripatouillages variés. Aux tranches nettes, reviennent les deux dernières Entrées du troisième acte, les deux premiers ballets du quatrième acte, comme le duo des sentinelles (!) au cinquième. Les coupes perverses concernent, elles, des phrases, des passages : une strophe dans la Marche et Hymne du premier acte, certaines adresses à son peuple par Didon et l’intervention chorale vive qui suit au début du troisième acte, le premier récitatif de Narbal dans son duo avec Anna, le commentaire de Didon après le(s) ballet(s) du quatrième acte, la première section de la pantomime qui annonce le chant d’Iopas, deux strophes (!!!) du duo entre Énée et Didon dans ce même acte, un couplet d’Hylas (?!), la majeure partie du récitatif d’Énée avant son air final. Irritantes ou spéculatives, les manipulations portent sur le Combat de ceste – Pas de lutteurs, exclu de l’orchestre et transmis à partir d’une bande-son grésillante (comme sortie d’un poste à transistor, d’ailleurs figuré sur scène), une répétition absurde de l’entrée du chœur au second tableau du deuxième acte, histoire que chacun prenne place sur scène, et le final, qui reprend celui de la version originale, pour s’arrêter avant l’apparition de Clio et clore alors sur l’Imprécation au-dessus de la Marche troyenne telle qu’elle figure dans la version définitive (assemblage hasardeux, à rapprocher de celui inventé différemment par John Eliot Gardiner en 2003 au Châtelet parisien, ou dans un autre registre à Gelsenkirchen).

    Depuis Salzbourg en 2000, perduré à la Bastille en 2006, on ne compte plus les malversations qui émaillent les représentations de l’opéra. Comme si le renom de Salzbourg avait fait office de caution (ainsi que n’hésitait pas à nous le déclarer innocemment, en 2003, l’assistant du chef d’orchestre pour les Troyens à l’Opéra de Leipzig). Stuttgart s’inscrit tristement dans cette nouvelle mauvaise manie. Face, il est vrai, à la superbe obstination dont ont témoigné récemment le Châtelet, l’English National Opera, le Metropolitan de New York ou les Opéras d’Amsterdam et de Munich. Sans oublier le temps lointain, dans les années 1980, quand Ruth Berghaus et Michael Giehlen imposaient à Francfort des Troyens en une soirée parfaitement intègres.

    Tout cela est profondément désolant, insupportable d’irréflexion ou de simple bêtise, et inviterait presque à en rester là de notre commentaire. Mais il se trouve – et c’est tout le frustrant paradoxe – que la restitution d’une partition ainsi outragée n’en est pas moins admirable. Admirable, oui ! n’hésitons pas, et presque en tous points. Il y a d’abord l’acoustique exceptionnelle du théâtre, le délicieux Opéra néoclassique début XXe siècle de Stuttgart, d’une présence quasi parfaite, aussi bien pour l’orchestre, le chœur que les solistes. Nous avons rarement vécu, sauf peut-être à Duisbourg, des Troyens portés par un tel relief sonore, du plus infime pianissimo, parfaitement audible, jusqu’aux déchaînements de toutes les forces instrumentales et vocales conjuguées, à faire trembler les lustres de cristal.

    Et puis il y a le plateau vocal, entièrement pris, sauf pour Cassandre, dans la troupe du théâtre. Ce qui est d’autant plus remarquable. Car chacun, en sus de ses qualités individuelles, est idéalement distribué. Le Chorèbe de Shigeo Ishino est tout simplement parfait, l’un des meilleurs entendus dans ce rôle. L’alto de Ceri Williams fait merveille en Anna. Iopas et Hylas sont tout aussi idoines, avec les voix de ténor mixte, comme Berlioz les goûtait, de Matthias Klink et Michael Nowak. La Cassandre de Barbara Schneider-Hofstetter attaque un peu en force, mais la voix reste ample. L’Énée de Ki-Chun Park est un autre cas, parfois étrangement dépassé, mais souvent d’une séduisante projection belcantiste. Son air au cinquième acte est presque d’anthologie, délicatement mesuré dans l’Andante et pleinement lancé (contre-Ut en voix de tête inclus) dans son Allegro. C’est ici le style rigoureusement exact, rarement transmis à ce point, et qui démontrerait éloquemment l’erreur où se fourvoient nombre de ténors héroïques (comme ceux choisis par Davis). Mais c’est à Christiane Iven que revient la palme, Didon souveraine, de legato, de phrasé, de nuances et d’emportements, avec un chant maîtrisé dans tous les registres et constamment fluide. Serait-ce, à travers une quarantaine de Troyens écoutés sur le vif, la plus belle Didon ? Nous serions tenté de le croire, à moins que la mémoire ne nous trahisse... Pour dire à quelle hauteur se place ici l’interprétation ! 

Louons aussi un français impeccable, qui rend justice à la splendide prosodie de Berlioz, et ce nonobstant les origines variées des chanteurs – au vu du simple énoncé de leurs noms ; Énée faisant toutefois exception, malgré ses valeureux efforts (soutenus par sa répétitrice, Française elle-même, qui nous a narré ses peines à inculquer les subtilités de prononciation à ce Coréen de langue allemande). Les chœurs se révèlent eux excellents, dans la puissance, l’équilibre, et au sein même des répartitions spatiales, la nuance (le pianissimo a capella immatériel de la prière du final original ! qui octroie la plus belle des revanches à cette page ignorée). Quant à l’orchestre il éclate de fougue, à travers une tension contenue ou débridée, mené par la battue acérée de Manfred Honeck – un chef élégant, sous sa belle chevelure alla Liszt, qui semble avoir tout compris de cette musique et, comme il nous l’a confié, s’en être éperdument épris. Ajoutons la ferveur qui parcourt la salle, celle d’un public attentif comme peu et parcouru d’une tension palpable.

    Bref, cela en est presque dommage. Que les plus beaux Troyens auxquels il nous ait été donné d’assister (avec Gardiner, et Davis par quatre fois) soient irrémédiablement entachés, rend les regrets d’autant plus vifs !

    Nous n’avons rien dit de la mise en scène de Joachim Schlömer. Il y a peu à relever. C’est sans surprise que l’on retrouve les tics attendus de ce côté du Rhin : un sordide crasseux mais bien campé (dans les deux premiers actes), une transposition (en 1984, selon George Orwell, pour les actes trois et quatre) dans un décor clinique et glacé, une évocatrice pénombre au cinquième acte, des situations grotesques (une Pantomime d’Andromaque insensée, avec marteau obligé, une Chasse royale d’une lassante agitation) ou judicieusement pensées (le bûcher final avec son mobilier accumulé). Une sorte de catalogue, émoussé, des habitudes scéniques allemandes, post-brechtiennes, chargées d’intentions dérisoires ou abouties. Le tout sans réelle conséquence et, au bout du compte, peu gênant. Que le chef ait pu nous arguer ses malfaçons par les contraintes de la mise en scène, laisse rêveur !...

    Mais c’est ainsi qu’en Allemagne chaque saison apporte son lot de Troyens dans des interprétations estimables. Et ce, en dépit des éminentes réserves qui s’imposent. À Stuttgart, c’est la troisième production des Troyens de l’histoire de ce théâtre, après 1967, et après 1913 : première mondiale de l’œuvre en une seule soirée, semble-t-il, bien qu’avec des coupures. Déjà !

Pierre-René Serna

Roméo et Juliette : une nuit à l’opéra

Par Norbert Molina

Paris, Opéra Bastille, représentation du 11 octobre 2007

Préambule.

    Un ami, le journaliste et musicographe Pierre-René Serna pour ne pas le nommer, m’a proposé d’écrire un compte rendu sur un spectacle qui est encore à l’affiche au théâtre de l’Opéra Bastille : une audacieuse version chorégraphiée (contre nature !) de cette sublissime « symphonie dramatique » d’Hector Berlioz qu’est Roméo et Juliette. J’ai prévenu Pierre-René de mon incompétence littéraire et surtout musicale, n’ayant dans ma vie jamais suivi jusqu’au bout l’appel de la passion de la musique. Cet appel, cette passion, cet aperçu lointain et voilé, mi-réel et mi-onirique, que l’on a d’un monde d’ombres et de lumières, le monde métaphysique de l’art, je ne l’ai suivi qu’en partie, je n’y ai obéi que de temps en temps, et je me retrouve maintenant lent, boiteux, borgne, gauche et maladroit au moment d’exprimer des opinions, qui se doivent avant tout d’être pertinentes, sur une œuvre, sur un compositeur, sur un concert, sur des hommes, rien de moins que sur des hommes. J’ai pourtant eu la chance immense – et le privilège – de cotoyer une poignée d’hommes qui auraient pu tout m’apprendre sur la musique, et j’ose dire qu’en cette fin de vingtième siècle et début de vingt-et-unième, ces hommes font partie de la poignée qui compte : d’abord Michel Austin et Monir Tayeb, dont la générosité et la passion pour Berlioz rendent ces lignes publiques. Mais Monir est une femme ! une fille parmi les garçons, une fleur parmi les champignons… Ensuite ceux qui me sont – géographiquement, entre autres – plus proches : Pierre-René Serna, Olivier Teitgen, Christian Wasselin, Jean-Philippe Dartevel, Valérien Pitarch. Si je n’ai quasiment rien appris d’eux en matière de musique – suis-je capable de lire une partition ? même pas ! – ils n’y sont pour rien, j’en suis le seul responsable. Ils m’ont pourtant ouvert les yeux sur bien des choses et ont à jamais modifié le cours de ma vie, en me faisant explorer des pays musicaux tout entiers, des continents même, des constellations, dont l’existence serait resté ignorée de moi si ma rencontre avec eux ne s’était pas produite. De ces explorations je n’ai été capable de retenir qu’une infime partie et en essayant de lui faire comprendre ce simple constat, qu’en matière de musique je suis malgré tout resté incompétent, Pierre-René précise : cela n’a aucune importance, aucune compétence ne serait requise puisque le but de l’exercice n’est autre que de rapporter un temoignage, celui des impressions que ce spectacle aurait pu provoquer chez l’une des personnes qui y aurait assisté, et ce quelle que soit sa préparation en matière musicale. Bien, ainsi soit-il, à un constat Pierre-René répond par un autre constat. Je rajouterai à ma décharge, puisque très flatté j’ai fini par accéder à sa proposition, que toute expression mérite de trouver sa tribune (pourquoi donc pas celle-ci ?) et que si des corrections devaient lui être adressées, d’autres tribunes tout aussi légitimes pourront se charger de le faire. Je compte désormais sur leur indulgence…

Roméo et Juliette : une nuit à l’opéra.

    On écoute d’abord toutes les œuvres d’un compositeur qu’on adore, ou toutes celles que l’on peut, ou toutes celles que notre passion affamée nous mène à découvrir. Ensuite, les années passant et les auditions répétées aidant, on commence à en écarter celles qui nous semblent moins importantes et à porter notre attention, ou notre estime la plus secrète mais la plus intense, sur celles qui nous semblent vraiment exceptionnelles. Roméo et Juliette a été ainsi l’une des œuvres de Berlioz qui m’ont le plus convaincu de son génie. Les passages de « Roméo seul » ou du « Convoi funèbre » suffirent en un premier moment à me faire tomber à genou devant l’œuvre et devant l’homme, mais plus on se frotte à l’œuvre plus on réalise à quel point l’ensemble est équilibré, mesuré, parfaitement proportionné. Une œuvre légère et aérienne, mais en même temps condensée et nourrissante, qui commence et qui finit d’un seul trait, en conservant toute son énergie, pour n’employer qu’un terme utilisé par ces hommes qui savent voler ne serait-ce qu’avec des machines, les aviateurs. Bref, c’est avec des œuvres comme Les Troyens, le Te Deum ou… le Roméo, que l’on comprend qu’Hector Berlioz est une de ces « exceptions heureuses » que l’humanité ne produit qu’une seule fois tous les trois mille cinq cents ans. Pour jouer les œuvres de tels hommes il faut en comprendre le mystère, ou au moins en respecter la forme originale, celle voulue par leur auteur.

    L’Opéra Bastille propose en ce moment une représentation chorégraphiée du Roméo de Berlioz. Je savais de cette version « de ballet » mais les atouts qui m’ont finalement fait assister au spectacle ont été d’un côté la renomée (méritée) du chef d’orchestre qui en assurait la direction, Valery Gergiev, et de l’autre côté la demande pressante et chaleureuse de mon ami musicographe à laquelle il a bien fallu que je cède. Avec plaisir, bien sûr. Mais si on doit écrire sur l’aspect scénique du spectacle de ce soir et que par malheur on aime l’œuvre, on hésite d’abord à en parler, on est d’abord tenté d’en faire une totale abstraction, comme si la chose n’était pas, puisqu’elle n’a pas de raison d’être. J’en dirai tout de même quelques mots le moment venu, mais l’essentiel reste néanmoins la musique elle-même. J’ai fait à tel point confiance à l’œuvre et au chef, que j’ai proposé une des soirées Gergiev de ce même spectacle comme cadeau, alors qu’entre amis nous cherchions quelque chose de spécial à offrir à ma cousine, pour son trentième anniversaire. Elle et son compagnon iront donc demain, alors que moi j’en reviens, la représentation d’aujourd’hui étant la seule à laquelle je pouvais assister. Une fois encore la renommée du chef ainsi que celle de la chorégraphe, Sasha Waltz, ont dû peser de leur influence sur le comportement du public : des files d’attente raisonablement longues se sont constituées au moins une heure avant le spectacle, pour tous ceux qui n’avaient pas réservé leurs places, et de nombreux revendeurs sont venus les courtiser, plus qu’on n’en voit d’habitude à l’entrée des théâtres parisiens. Ces files ont fini par être dissoutes car le théâtre a vite affiché le plein, et en plus, cela je l’apprenais de mon collègue de droite lorsque chez le public nous commencions à nous asseoir, la représentation de ce Roméo du jeudi 11 octobre était une soirée gala de l’AROP, l’Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris. La présence de quelques uns de ces spectateurs de marque ne passe pas inaperçue : de beaux hommes et femmes très élégamment habillés et d’un port naturel très digne commencent à occuper les premiers rangs du parterre. J’ai ainsi été heureux d’apprendre qu’il existe une association qui s’occupe du rayonnement de l’Opéra de Paris, reste maintenant à souhaiter que l’Opéra de Paris s’occupe du rayonnement de la musique… mais mes pensées se retrouvent tout de suite interrompues, les lumières viennent de s’éteindre et seule la fosse d’orchestre, remplie d’instrumentistes, reste illuminée de l’intérieur par de petits projecteurs qui la comblent d’une lumière tamisée, très beau contraste avec l’obscurité environnante qui vient de dévorer tout le reste du théâtre. Arrive alors le chef, sans grande cérémonie (applaudissements), et la lumière des projecteurs tombe sur la scène. Un geste de demande d’attention envers les instrumentistes de la part du chef et…

    L’attaque m’a semblé un peu molle, et le tempo un peu lent. Peut-être suis-je trop habitué à la version de Davis de 1968, qui a décidément beaucoup plus de brio pour ce qui est des combats et des tumultes, mais je vais bientôt découvrir qu’il n’en est rien à propos d’autres passages à venir. En même temps l’orchestre est dans la fosse et le volume sonore en souffre un peu, bien sûr le chef est conscient de cette contrainte inhabituelle mais peut-être a-t-il refusé de jouer forte une œuvre qui se briserait comme le cristal si on la violentait d’un petit trop… Valery Gergiev se penche sur ses musiciens en leur adressant une gestuelle délicate mais distincte et efficace, et ses épaules se recroquevillent sur elles-mêmes. Lui et son orchestre sont alors en communion, et même si il me tourne le dos je ne peux rien y faire : je l’imagine les yeux fermés (étaient-ils vraiment fermés ?), concentré sur Roméo. Les couleurs sonores de mon Berlioz adoré y sont toutes, très vite la déception des premières secondes est oubliée et le tempo me semble parfait. Comme les yeux s’habituent à une diminution de lumière à l’entrée d’une grotte, comme ils passent de ne rien voir à voir des silhouettes, des formes, des volumes, ainsi les oreilles s’habituent en quelques minutes à ce volume sonore réduit, et finissent par en distinguer les silhouettes, les formes, les volumes. Les épaules du chef ne se détendent pas, elles continuent enroulées sur elles-mêmes, les bras près du corps, comme si il retenait une force intérieure qui ne devait pas s’échapper. C’est qu’il faut beaucoup de retenue pour jouer cette musique sans tomber dans l’excès qui la détruirait. L’orchestre suit, s’exécute, participe, se laisse envoûter par son chef, et cette retenue, maître mot de l’interprétation de ce soir, mène à la délicatesse, la délicatesse à la fragilité et la fragilité à la beauté.

    Chose étrange la soliste la plus convainquante, convainquante par l’intonation, le phrasé et la beauté du timbre, a été la mezzo Ekaterina Gubanova alors que normalement l’œuvre réclame un autre registre. Doux et fragile, son chant est ici très approprié. Le ténor Yann Beuron relève le défi de la diction du Scherzetto sans une plus grande performance vocale au cours de son intervention, mais le lecteur devrait savoir qu’il chante en se déplaçant et en interagissant avec le chœur, qui lui aussi parcourt la scène, ce qui est plutôt frappant lorsque l’on est habitué à des représentations plus traditionnelles. Par contre un père Laurence torse nu (Mikhaïl Petrenko) cela est bien plus que frappant, peut-être même provocateur. C’est à ce demander si la chorégraphe tente de nous convaincre davantage de la virilité de l’interprète que de l’effet dramatique de son intervention. La provocation étant une vieille recette désormais connue de tout le monde (ne l’a-t-elle pas encore compris ?) son père Laurence poitrail à l’air passe complètement inaperçu… La mise en scène reste plus ou moins supportable, malgré ces quelques éléments qui ne sont rien d’autre que des concessions faites à l’air du temps. Roméo (Hervé Moreau) et Juliette (Aurélie Dupont) nous ont pourtant offert une très belle « Scène d’amour », très émouvante, délicatement exécutée, mais la troupe de danseurs, tous talentueux cela doit être dit, exécutent des mouvements saccadés et grotesques lorsque les Capulets rentrent de leur grande fête : ils sont fatigués, ont bu et dansé, et n’ont plus la maîtrise de leur corps… soit… entretemps le chœur chante ses « ohé » et ses « tralala » non sans rappeler le chœur des buveurs de Markevitch de 1959 (dans La Damnation de Faust). Ce sont des choix qui ne plairont pas à tout le monde mais ils ne viennent pas essentiellement entraver le cours du spectacle ou la beauté de la musique, même si encore une fois j’aurais préféré que les interprètes s’en tiennent à la tradition. Le moment où les évènements scéniques sont venus entraver le cours de la symphonie (ce l’est ! ne l’oublions pas !), a été lorsque nous nous attendions au « Convoi funèbre de Juliette »… et il a fallu que l’on voie le pauvre Roméo grimper le long d’un décor pour tout de suite retomber et recommencer (presque) sans arrêt, tel un Sisyphe berlio-shakespearien des scènes modernes… Et cela sans aucune musique ! La scène a été ubuesque, ou surréaliste (les connaisseurs de l’histoire du cinéma reconnaîtront maintenant la raison d’être du titre de mon modeste article) : ce pauvre Roméo qui grimpe et qui tombe, qui grimpe et qui tombe, ses pointes (seul son audible à ce moment, trop audible) qui grincent contre le linoléum du décor, Gergiev qui tourne le dos au public mais étant en face de la scène ne sait pas où regarder, les instrumentistes, qui tournent le dos à la scène mais qui ont le public en face… comme si ils avaient des comptes à lui rendre et qu’ils se retrouvaient impuissants, sans en avoir les moyens… Le public aura-t-il ressenti son intelligence insultée comme cela a été mon cas ? Mme Waltz pense vraiment nous avoir enrichis de son discours avec cette scène, dont le message est d’une transparence qui n’a d’égal que sa banalité ? L’absence totale de musique lors de cette scène et le fait que l’œuvre ait été interrompue pour la représenter, cela prouve bien quelque chose : Gergiev joue du Berlioz et Waltz joue du Waltz… Mais ne nous fâchons pas, dans l’ensemble les costumes et la mise en scène restent modestes, et aussi, et le plus important, ce qui nous a fait quitter le théâtre le cœur joyeux, il y a eu de très grands moments de pur bonheur musical, un « Roméo seul » et un « Convoi funèbre » poignants, sublimes, saignants de douleur et de beauté.

Norbert Molina
Paris, octobre 2007

Roméo et Gergiev

Paris, Opéra Bastille, représentation du 5 octobre 2007

Par Pierre-René Serna

    L’idée est un peu incongrue : présenter sous forme de ballet Roméo et Juliette, symphonie dramatique qui ne s’y prête guère a priori. Mais le résultat à Bastille en est plutôt gratifiant, et ces dix représentations offrent peut-être à un vaste auditoire (27 000 personnes environ) l’occasion de mieux se familiariser avec le chef-d’œuvre de Berlioz.

    La satisfaction n’est pourtant pas sans partage. Reclus dans la fosse, aux tréfonds de l’immensité de la salle, l’Orchestre de l’Opéra de Paris ne dégage pas toujours la dynamique sonore souhaitée. Mais quel orchestre ! virevoltant, enflammé, creusé et nimbé : Valery Gergiev excelle dans cette symphonie, avec des instants suspendus, comme pour le “ Convoi funèbre de Juliette ”, ardemment mêlé au chœur maison. Ce dernier n’est pourtant pas, par ailleurs, toujours exempt de flottements, perdu sur la vaste scène nue, loin des instruments et du chef. Ce qui devrait se corriger, après la première, au fil des représentations. Quant aux chanteurs solistes, Ekaterina Gubanova et Mikhaïl Petrenko s’épanchent mieux que Yann Beuron, gêné semble-t-il par les quelques gestes que lui impose la chorégraphie. Car cette dernière intègre tout le plateau, chœur, solistes vocaux ou dansés, et la troupe de ballet de l’Opéra. Pourquoi pas ? Mais la conception de Sasha Waltz verse trop souvent dans l’agitation vaine ou redondante. Au point, nous l’avouons, que nous avons souvent préféré suivre la battue du chef, vibrante de passion, sans trop nous préoccuper des ébats de la scène. Cette vision dansée ne prend paradoxalement corps qu’avec le finale, parfaite fusion de la musique et des mouvements de la foule des intervenants, dans les très beaux costumes de Bernd Skodzig.

Pierre-René Serna

La Fantastique selon Ozawa

Par Christian Wasselin

Théâtre des Champs-Élysées, 4 octobre 2007

    Sur le chemin conduisant au Théâtre des Champs-Élysées, le 4 octobre dernier, notre impatience le disputait au scepticisme : Seiji Ozawa revenait – enfin ! – à la tête de l’Orchestre national de France. Harold en Italie avait été annoncé la saison précédente, mais le chef avait dû renoncer pendant un an à l’ensemble de ses engagements pour cause de surmenage. Impatience, donc, de retrouver celui qui avait fait les grandes heures du National, à la frontière des années 1970 et 1980 (avec Bernstein, Celibidache et d’autres) ; scepticisme car, après tout, Ozawa n’est-il pas l’héritier de Munch, remarqué par ce dernier après sa victoire au concours de direction de Besançon, puis directeur musical comme lui du Boston Symphony Orchestra ? N’allait-il pas nous expédier la « Marche au supplice » en trois minutes et demie ?

    La Pavane pour une infante défunte de Ravel puis Mystère de l’instant de Dutilleux, au cours de la première partie du concert, nous firent savoir que le chef japonais était en grande forme. Mais le meilleur allait venir : et ce fut une Symphonie fantastique comme on en entend six ou sept dans une vie avec un peu de chance, un mélange de rigueur et de sauvagerie, un chant aérien et souverain, un paysage mouvant à chaque instant. Il y a des Fantastiques apolliniennes, comme celle que Sir Colin Davis nous offrit avec le même orchestre, dans le même théâtre, en 2005. Il y en a d’autres qui sont dyonisiaques, comme celle d’Ozawa ce 4 octobre. Portée par des tempos soutenus, c’est-à-dire allants mais fermement tenus, avec des cordes pleines d’un relief inaccoutumé, des bois splendides de couleur et de phrasé (la clarinette, la flûte, le basson bucolique et naïf comme il faut), un pupitre de cors vibrant, des trombones rugissants, ce fut bien une Fantastique stupéfiante, à la dynamique marquée, capable d’alarmer le plus blasé des auditeurs. (Seule réserve : qu’il ait escamoté les reprises dans le premier et le quatrième mouvements.) Ozawa danse au pupitre, c’est vrai, mais loin de lui l’idée de faire des manières ou d’épater le public : sa direction est physique, et les musiciens le suivent pas à pas, geste à geste. Le résultat ? D’une précision éblouissante. Mis à part les chefs anglais et les baroqueux, qui est capable de faire mieux ?

Christian Wasselin

Les Troyens à Genève

Par Christian Wasselin

Grand Théâtre, 22 septembre

    Nous avions gardé un souvenir ébloui des représentations des Troyens données au Châtelet à l’automne 2003, sous la direction de John Eliot Gardiner. Non pas grâce au spectacle de Yannis Kokkos (habile scénographe mais piètre metteur en scène), mais grâce à la sonorité de l’Orchestre révolutionnaire et romantique de John Eliot Gardiner et grâce à une distribution qui nous avait révélé une grande tragédienne en la personne d’Anna-Caterina Antonacci.

    Quatre ans plus tard, le spectacle est repris au Grand-Théâtre de Genève. Sur le plan visuel, il est toujours aussi indigent, et c’est sans doute ce qui a poussé John Nelson à accepter de supprimer les trois entrées, qui contribuent pourtant à l’équilibre du troisième acte et montrent de manière éclatante que les Troyens se situent dans l’héritage de la tragédie lyrique.

    Ce constat fait, toutefois, quelle réussite ! Réussite de l’orchestre, d’abord, formé d’instruments modernes mais souple, léger, puissant, coloré tout à la fois, grâce à la direction toujours précise et toujours affectueuse de John Nelson, qui est décidément l’un des grands chefs de notre temps. Réussite de la distribution, ensuite, qui contribue à donner son sens au grand flot de la musique grâce à une diction parfaite de la langue française dans la bouche de chacun des protagonistes, grâce aussi à des rapports entre les timbres qui contribuent à la couleur de l’ensemble. Entendre deux mezzos aussi dissemblables qu’Anne-Sophie von Otter (Didon) et Marie-Claude Chappuis (Anna) est un plaisir pour les sens et pour l’esprit.

    Anne-Sophie von Otter, précisément, abordait pour la première fois Didon, rôle dans lequel on l’attend depuis dix ou quinze ans (elle qui a été une splendide Marguerite à plus d’une reprise) : majesté, intelligence du rôle, contrôle de la ligne de chant, tout y est. Jusque dans ses moments de fureur, Anne Sofie von Otter est musicienne, tout comme est musicienne, elle aussi, Anna-Caterina Antonacci qui reprend ici le rôle de Cassandre, personnage dans lequel elle a mûri et qu’elle aborde avec une violence plus concentrée.

    On saluera aussi une autre prise de rôle : celle de Kurt Streit, qui nous prouve que le rôle d’Énée convient tout à fait à un chanteur familier du répertoire mozartien, à condition bien sûr d’avoir le style qui convient à Berlioz. Entendre Énée par un ténor qui n’est pas un sous-Siegfried, quel bonheur ! Espérons que Kurt Streit aura l’occasion, à l’avenir, de raffiner encore son approche du rôle, et nous serons comblés.

    Un mot encore pour dire que Jean-François Lapointe, très élégant Chorèbe, fait partie de ces chanteurs qui, même sans aucune indication de la part du metteur en scène, savent bouger sur le plateau et composer un personnage. C’est aussi grâce à lui que ces Troyens nous ont transportés.

Christian Wasselin

Il semblerait que John Nelson s’apprête à revenir aux Troyens, cette fois à Amsterdam. Il fautra s’y précipiter !

Les Troyens à Genève

Par Pierre-René Serna

Représentation du 13 septembre 2007

    Le Grand Théâtre de Genève avait présenté les Troyens en 1974. Le chef-d’œuvre de Berlioz revient plus de trente après aux mains du même chef d’orchestre, John Nelson. Une sorte de retour donc, si ce n’est que change la mise en scène, et bien entendu, la distribution vocale.

    Le chef états-unien démontre une fois encore être un connaisseur comme il y a peu de la musique de Berlioz. Et, le temps d’une soirée, l’Orchestre de la Suisse romande reprend ses couleurs claires et ses attaques nettes, qu’il avait quelque peu perdues avec son directeur actuel, le très germanique Marek Janowski. En outre, Nelson confirme ses exceptionnels dons de chef lyrique, à prendre soin des voix au sein même des instruments, à travers un équilibre entre la fosse et le plateau jamais pris en défaut. Après quelques flottements initiaux, le chœur du théâtre révèle des ressources de vigueur et subtilité. La distribution vocale suit le même chemin, depuis un premier acte peu convaincant, avec l’émission limitée d’une méconnaissable Anna Caterina Antonacci (dans le rôle de Cassandre, qui l’avait pourtant consacrée comme diva assoluta dans le Châtelet parisien en 2003 !), et un Jean-François Lapointe de peu d’envergure en Chorèbe, jusqu’à ce que surgissent les autres protagonistes. Kurt Streit est d’entrée un véritable Énée, franc et sensible; ce ténor mozartien sait jouer des nuances (comme il le prouve dans le duo du quatrième acte), et l’on regrette d’autant qu’il force parfois sa voix (comme dans l’andante de son air final, qui aurait mérité plus de légèreté). Les rôles secondaires satisfont pleinement, entre le Iopas ferme (un rien trop) de Ralf Lukas ou le Narbal profond de Nicolas Testé. Mais la révélation revient à la Didon d’Anne Sofie von Otter. La grande mezzo désirait aborder ce rôle depuis longtemps : elle l’assume avec toutes les conditions requises possibles. Privilégiant avec phrasé et legato la ligne mélodique, elle va toujours lyrique, dans un style parfaitement idoine qui nous venge de la puissance au mode wagnérien qui a trop souvent régné ici (comme dans les choix faits par Colin Davis, ou récemment encore à la Bastille). Une sorte de sommet dans la carrière de cette immense artiste.

    Les chanteurs, donnant ainsi présence dramatique à leurs personnages, offrent de compenser le vide qui parcourt la mise en scène de Yannis Kokkos. Le directeur de scène reprend ici son travail du Châtelet en 2003, quelque peu modifié, sans que vienne s’ajouter une lecture dramaturgique bien pensée. Défilent de belles images (le final du premier acte, reflété par un miroir) qui n’ont d’autre sens que celui du décorum. Si bien que tout reste dans l’interprétation musicale. Ce qui n’est pas peu.

    On déplore alors d’autant la coupe sombre des trois Entrées du troisième acte, que rien (et surtout pas la vacuité de la mise en scène) ne saurait justifier. Et ce, sachant en outre qu’elle ne respecte pas la variante prévue par Berlioz dans ce cas – cas imposé par les circonstances malheureuses des représentations au Théâtre-Lyrique en 1863, et hautement dénoncé par le compositeur.

Pierre-René Serna / Grand Théâtre de Genève

Boston à Paris

Par Pierre-René Serna

Salle Pleyel, 4 septembre 2007

    Pleyel fait salle comble pour son concert d’ouverture. Et devant l’entrée, le public se met en quête d’improbables places restantes pour la Damnation de Faust de l’Orchestre de Boston dirigé par James Levine.

    L’événement est d’importance, bien sûr, puisque la prestigieuse formation n’est pas venue à Paris depuis sept ans. L’orchestre le plus européen des États-Unis s’est en outre taillé une réputation émérite dans le répertoire français, et Berlioz en particulier. Mais déjà, sur le papier, le plateau vocal apparaît tout-venant : et de fait, Marcello Giordani se révèle un Faust de petit format, qui ne se sauve guère que dans son “Invocation à la nature” finale ; José Van Dam n’est plus qu’un filet de voix, qui rend Méphisto déliquescent, comme absent ; et Yvonne Naef, lyrique naguère encore, n’a plus la ligne mélodique inhérente à Marguerite, plombée que sa voix est par la statique de ses projections désormais wagnérisantes. Le chœur (celui de Tanglewood) est certes somptueux, et l’orchestre possède des élans à nul autre comparable (dans les fins des deux dernières parties), mais l’équilibre entre les ingrédients ne prend pas : le chœur à l’avant, écrasant, l’orchestre en second rôle, et les solistes relégués dans le lointain acoustique. Levine souffre ici des aléas d’une tournée de salle en salle, mais aussi d’une conception où le souffle d’ensemble n’est pas soutenu, surtout dans les deux premières parties. On attendait plus, il faut bien dire, d’une telle affiche.

Pierre-René Serna

La Damnation de Faust à Paris

Par Christian Wasselin

Salle Pleyel, 4 septembre 2007

    James Levine a dirigé trois fois les Troyens au Metropolitan Opera de New York (en 1983, 1993 et 2003, voir le dévédé que vient de publier DG), il a enregistré le Requiem, Roméo et Juliette et les Nuits d’été (DG), mais jamais nous n’avons été particulièrement envoûté par sa conception de la musique de Berlioz. Chef scrupuleux, Levine nous a cependant offert une fort belle Damnation de Faust à la Salle Pleyel le 4 septembre dernier grâce à un Boston Symphony Orchestra un peu raide au départ puis de plus en plus épanoui, aux couleurs parfois un peu acides, grâce surtout à un Tanglewood Festival Chorus survolté, habité par le bonheur de chanter, et s’exprimant comme une seule et même grande voix. Un chœur comme on en rencontre peu, qui rendait d’autant plus saillants les défauts des solistes réunis ce soir-là : Marcello Giordani, Faust pâlot et incapable de legato ; Yvonne Naef, qui a de plus en plus tendance à crier là où on attend la plus grande sensualité mariée à la plus grande exaltation ; enfin José Van Dam, qui fut jadis un mémorable Méphistophélès mais n’a plus guère les moyens vocaux du rôle. Patrick Carfizzi (Brander) et la Maîtrise de Paris ont l’un et l’autre ajouté leur digne contribution à une soirée dont l’engagement collectif l’emportait largement sur les talents individuels.

Christian Wasselin

Benvenuto Cellini à Salzbourg

Par Christian Wasselin

Grosses Festspielhaus, 10 août 2007

    Les représentations des Troyens données en 2000, lors du Festival de Salzbourg, nous avaient laissé une impression mitigée, tant la direction chaleureuse et poétique de Sylvain Cambreling venait contredire un spectacle dont les parti-pris avaient contraint le chef à des coupures et à des ajouts (!) dont aucun ne fut remis en cause lors de la reprise du spectacle en 2006 à l’Opéra-Bastille.

    Sept ans plus tard, revoici Berlioz invité à Salzbourg, avec à l’affiche cette fois Benvenuto Cellini. Quel Benvenuto : celui de Paris ? celui de Weimar ? Celui de Paris, ouf ! oui mais avec un second acte à ce point amputé qu’il est impossible, une fois de plus, de ne pas se mettre en colère. La nouvelle édition Bärenreiter permet pourtant à tout chef d’orchestre qui se penche sur la partition d’en tirer le meilleur, comme l’a montré John Nelson lors des deux concerts qu’il donna en 2003 à Radio France et de l’enregistrement qui s’en suivit (Virgin). A moins que l’éditeur de la partition, en pariant avec candeur sur l’esprit de minutie des chefs, ait commis l’erreur de ne pas leur imposer une version acceptable de l’œuvre. Car Valery Gergiev, qui avait dirigé plusieurs fois Benvenuto Cellini en 1999 avec l’Orchestre philharmonique de Rotterdam en faisant des choix très heureux, n’a pas pris le temps, cette fois-ci, d’effectuer le même travail. Résultat : le metteur en scène les a faits pour lui, et le ténor Neil Shicoff qui, effrayé par le rôle, a multiplié les coupures... avant de déclarer forfait in extremis. Le malheureux Burkhard Fritz, appelé à la rescousse, n’a pu que constater l’étendue des dégâts. C’est à cet état d’impréparation qu’il faut attribuer sa prestation particulièrement pâle, vocalement et dramatiquement, lors de la première représentation, à laquelle il nous fut donné d’assister. Sans doute, au cours des suivantes, a-t-il retrouvé l’assurance qui lui manquait.

    Ce qui ne nous empêche pas de dénoncer également cette absurdité qui consiste à réunir des chanteurs de tous les horizons qui ne maîtrisent pas notre langue. Pour un Laurent Naouri (Fieramosca) qui chante en français, quel supplice d’entendre un Brindley Sherratt en Balducci ou un Mikhaïl Petrenko en Pape Clément ! Kate Aldrich (Ascanio) et Maija Kovalevska (Teresa) peuvent sauver la mise, l’une et l’autre avec beaucoup de style, il n’empêche que Benvenuto, ouvrage dont la partition est faite tout entière de rythmes complexes et de mélodies bondissantes, exige qu’une langue française précisément articulée prenne sa part dans ce mélange de lyrisme, d’ironie et d’impétuosité qui fait le tissu même de la partition.

    On ne dira rien du spectacle qui, comme beaucoup de pseudo-mises en scène d’aujourd’hui, juxtapose une direction d’acteurs inexistante avec des effets tapageurs qui divertissent la galerie mais relèguent la musique au rang d’accompagnement (défaut accentué par l’acoustique du glaçant Grosses Festspielhaus) : des robots, un hélicoptère, une esthétique inspirée, pêle-mêle, de Metropolis, des comic-strips des années 50 et 60, voilà qui a peu à voir avec l’Italie, a fortiori avec le mythe de l’artiste-dieu. L’auteur de cet article, pour avoir vu bien des mises en scène de Benvenuto, ne garde un souvenir ému que de deux d’entre elles : celle de Moshe Leiser et Patrice Caurier au Festival de Lyon 1989 (qui tirait l’œuvre vers la comédie italienne), et celle de Tim Albery à l’Opéra d’Amsterdam (qui en faisait une partition mystique prête à recevoir l’hommage de Parsifal). Toutes les autres, superficielles, brouillonnes, n’ont jamais inspiré les metteurs en scène alors que Benvenuto, par son ampleur, la diversité de ses situations, son mélange de tragique et de bouffon, est une œuvre d’un foisonnement rêvé.

    Valery Gergiev devrait s’attaquer à plusieurs partitions de Berlioz dans les mois et les années qui viennent à l’Opéra de Paris. On parle notamment d’un Benvenuto en 2009. Prions que cette production ne soit pas retenue et que le chef prenne enfin le temps de réfléchir à la partition et d’imposer ses choix.

Christian Wasselin

Salzbourg : Benvenuto embrouillé, Lélio lumineux

Par Pierre-René Serna

Benvenuto Cellini : représentations des 10 et 15 août 2007 ; Burkhard Fritz (Benvenuto Cellini), Maija Kovaleska (Teresa), Kate Aldrich (Ascanio), Brindley Sherrat (Giacomo Balducci), Laurent Naouri (Fieramosca), Mikhail Petrenko (le Pape), Sung-Keun Park (le Cabaretier), Xavier Mas (Francesco), Roberto Tagliavini (Bernardino), Orchestre philharmonique de Vienne, Valery Gergiev (direction), Philipp Stölzl (mise en scène).

Épisode de la vie d’un artiste (Symphonie fantastique et Lélio, ou le Retour à la vie) : concerts des 12 et 14 août 2007; Michael Schade (ténor), Ludovic Tézier (baryton), Gérard Depardieu (récitant), Orchestre philharmonique de Vienne, Riccardo Muti (direction).

    L’événement sans précédent que constitue Benvenuto Cellini au festival de Salzbourg (donné pour six représentations à guichet fermé) s’est avéré, au bout de compte et de façon désolante, frustrant. La faute en revient essentiellement à une mise en scène d’une turpitude et d’une inanité affligeantes, mais aussi certainement au manque patent de préparation musicale. Et l’un comme l’autre, l’un pesant sur l’autre, ont abouti à une réalisation contestable.

    Entre un aller-retour de Madrid à Saint-Pétersbourg, et de Saint-Sébastien à Stockholm (pour un autre Benvenuto!), Valery Gergiev débarque de deux avions pour diriger les représentations auxquelles nous avons assisté, les 10 et 15 août. Des répétitions insuffisantes, en raison des circonstances, depuis les voyages du maestro à ceux des pupitres interchangeables de la Philharmonie de Vienne, conduisent aux flottements qui ont alors émaillé ces exécutions. À la charge aussi de cette impréparation, les choix incertains dans une partition qui, entre toutes, réclame un méticuleux travail de réflexion préliminaire. Le texte de référence s’apparente ici grosso modo à la version dite “Paris 1”, telle que l’édition Bärenreiter l’a consacrée, c’est à dire l’état achevé par Berlioz avant que l’œuvre entre en répétitions à l’Opéra de Paris (en mars 1838). Option judicieuse a priori. Mais c’est sans compter sur d’horribles mutilations, surtout dommageables au premier tableau du second acte : disparaissent ainsi le récit de Cellini, la seconde partie du duo, le petit aria bouffe du pape, le final de ce tableau… alors que paradoxalement se maintient l’air d’Ascanio au début du tableau suivant ; au premier acte, sont écourtées les premières interventions de Balducci, dont son air. Reconnaissons toutefois que les coupes sont moins sombres qu’avec Colin Davis lors de son récent concert londonien, et que les splendides récitatifs retrouvent leur indispensable fonction. Tant et si bien que l’on veut croire que notre ami Georges Combe (voir sur le site ses évocatrices impressions du concert de Davis) aurait peut-être ici révisé son sentiment sur l’impact dramaturgique du final de l’opéra.

    Évoquons vite une mise en scène où la boursouflure le dispute à la vulgarité, accumulation d’effets gratuits (robots, hélicoptère, papamobile… et autres gadgets mal ressortis de quelque superproduction hollywoodienne) dans un galimatias d’où aucun fil dramatique ne ressort. À sauver du désastre, de rares idées (la complicité ambiguë entre le pape et Cellini) et une grève ouvrière assez prenante. D’une représentation à l’autre, la restitution musicale s’embourbe, des couacs de l’orchestre aux décalages du chœur, ne trouvant souffle et unité que passé l’entracte ; la distribution vocale, elle, va mieux s’affirmant : Cellini de bonne facture, excellent Ascanio et Teresa d’envergure (magnifique Maija Kovaleska), en complicité avec des comparses crédibles jusqu’au moindre rôle. Reste que l’on attendait plus et mieux de Gergiev, un chef tout indiqué pour Berlioz (compositeur pour lequel il s’est pris d’engouement, au point de colporter Benvenuto sur tous les horizons – sa venue est annoncée pour la saison 2008-2009 à l’Opéra de Paris). Gardons-lui notre confiance, et gageons qu’au fil de sa carrière trépidante, ce chef inspiré saura justifier les Berlioz accomplis qu’il nous doit.

    Dans ce même Grosses Festpielhaus de Salzbourg, tout autre surgit Épisode de la vie d’un artiste (la Symphonie fantastique suivie de Lélio). Et tout autres sont Riccardo Muti et l’Orchestre philharmonique de Vienne – si tant est qu’il s’agisse bien de la même phalange, puisque nombre d’instrumentistes diffèrent de ceux de la fosse de Benvenuto. Précision des attaques, délié d’ensemble, couleur générale (les cordes!), Berlioz tient ici sa revanche. Derrière la transparence d’un rideau de tulle, les enluminures musicales de Lélio prennent une teinte mordorée, songe merveilleux et luxueux. Et n’était un récitant bafouilleur, rarement le spectacle de ce captivant diptyque aura rencontré plus éloquente illustration. Face à la promesse attendue de Gergiev, Muti se confirme de concert en concert comme l’un des plus clairvoyants intercesseurs de Berlioz.

Pierre-René Serna

À Propos de la Nonne de Montpellier :
      commentaire en réponse à mon ami Jean-Philippe Dartevel

Par Pierre-René Serna

    On me permettra d’apporter un appendice personnel, ou un bémol, à l’opinion émise par Jean-Philippe Dartevel dans son article sur le concert de la Nonne sanglante à Montpellier. Je pense que la démarche de Hugh Macdonald est tout à fait défendable. Dans le cadre d’un concert, et d’un concert seulement. Et si toutes les précautions et avertissements préliminaires ont été pris (j’y reviendrai). Que la prosodie du passage incriminé du duo de la Nonne sanglante s’adapte si parfaitement à la musique écrite pour la fin du duo de Cassandre et Chorèbe est plus que troublant. Et il semble bien que Macdonald soit le premier à l’avoir révélé. La démonstration est éloquente et il devient désormais crédible, sinon indiscutable, que Berlioz ait pu ici s’inspirer de son opéra inachevé pour son grand œuvre. C’est une pièce à ajouter désormais au dossier de la Nonne sanglante. Elle méritait d’être illustrée et ainsi portée à la connaissance de tous.

    Il s’agirait donc, en l’espèce, du finale non instrumenté provenant de la Nonne, tel que le compositeur le narre dans ses Mémoires. Et c’est ici peut-être le plus délicat dans cette reconstitution montpelliéraine, car rien ne dit que l’orchestration de 1842 aurait pu équivaloir strictement celle réalisée seize ans plus tard…

    Mais l’aventure valait d’être tentée… pour peu que le programme de salle de ce concert y fît précisément allusion. Ce qui n’a pas été le cas. Et c’est, de tout cela et en fin de compte, le plus impardonnable. Macdonald n’y est pour rien, qui a été apparemment exclu contre son gré d’une explication qui s’imposait.

    Ajoutons que la restitution musicale n’offrait pas les meilleures garanties : pour une Agnès pleine et emportée (Catherine Hunold), Rodolphe (Frédéric Antoun) paraissait un peu court de souffle et Hubert (Franck Ferrari) hors de toute ligne de chant. Quant à l’orchestre, on aurait aimé qu’il rende mieux justice aux subtilités de la partition. Bref, de bonnes intentions aboutissant pour finir à un concert fait à la va-vite, mal présenté et mal préparé. Une sorte d’occasion manquée.

Pierre-René Serna

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Voyez aussi sur ce site: L’Achèvement du Duo de La Nonne sanglante, par Hugh Macdonald (en anglais)

La Nonne sanglante de Montpellier

Par Jean-Philippe Dartevel

Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier
Orchestre national de Montpellier
direction: Alain Altinoglu
Cornelia Hunold (soprano), Frédéric Antoun (ténor), Franck Ferrari (baryton)

Exécution du 28 juillet 2007

    « La Nonne sanglante », voilà un thème d’opéra tout empli de surnaturel morbide, de frayeurs obscures, d’exhalaisons malsaines, symptomatique de ce Moyen-Âge ténébreux, tellement prisé par le mouvement romantique ! Mais Berlioz, incapable de se répéter, avait déjà, avec Les Francs-Juges, abordé ce type de sujet, et l’on peut y voir une des raisons, rarement avancée, de l’inachèvement de la nouvelle œuvre. L’auteur des Mémoires était certes moins inspiré que Meyerbeer ou Halévy par la langue d’Eugène Scribe, pourtant ce choix du célèbre dramaturge pour un livret moyenâgeux n’a rien, à priori, d’une idée absurde. Après tout, Scribe s’était fait une spécialité des sombres histoires médiévales, de Robert le Diable à Guido et Ginevra (sous-titré « La peste de Florence ») jusqu’aux anabaptistes du Prophète, qui allait bientôt triompher sur les planches de l’Opéra.

    Les fragments musicaux exécutés lors de cette soirée de clôture du Festival de Radio-France, édition 2007, ont montré en tout cas que Berlioz s’accommodait plutôt bien d’un tel livret, avec l’omniprésence d’un orchestre sombre et foisonnant qui a fasciné — et qui fascinera — tous les amoureux du maître français. Des réminiscences, ça et là : une formule mélodique du Roi Lear dans l’air d’Hubert (« La force d’obéir »), l’air « Sur les monts les plus sauvages » et la fin de la Romance de Cellini dans le bel air de Rodolphe (« Sur la rive étrangère »). Mais ce sont les pages absentes du vieil enregistrement de Colin Davis, encore largement inconnues, qui ont le plus impressionné les auditeurs présents. La Légende de la Nonne sanglante, tout d’abord, chantée par Agnès, a sonné comme du grand Berlioz, toute nimbée de mystère et d’une poésie intense.

    Puis le ravissement fit place à la surprise lorsque, pour les derniers extraits de l’œuvre, la musique du duo Cassandre/Chorèbe (« Quitte-nous dès ce soir ») s’éleva des chanteurs et de l’orchestre. Même le passage contrastant « à tes genoux, je tombe » était là, dans les mêmes paroles, exactement, que le duo des Troyens ! Alors, révélation ou manipulation de l’arrangeur (en l’occurrence M. Hugh Macdonald) ? Car dans la partition de la New Berlioz Edition, tout s’arrête juste avant, sur les mots d’Agnès : « En y pensant, de terreur je succombe… ». M. Macdonald a-t-il eu accès à d’autres sources et, si oui, lesquelles ? A-t-il revêtu cette Nonne d’un costume troyen, dans le seul but de donner un beau final à ces fragments inachevés ?

    Telles étaient les questions que tout « berliozien » pouvait légitimement se poser à la sortie du concert, d’autant que le programme distribué, signé Martine Kaufmann, ne faisait nulle mention de ces arrangements. Il semblerait, en définitive, que M. Macdonald (qui voulait écrire ce programme) se soit appuyé sur des ressemblances entre les paroles de Scribe et le texte des Troyens, sur les cors de l’instrumentation et sur le fait que la partition soit déchirée à cet endroit, comme si Berlioz avait réutilisé l’ensemble dans un autre ouvrage. Il s’agit donc ici de perspective musicologique, dont M. Macdonald aurait pu défendre l’intérêt ou la pertinence si on lui avait laissé le soin d’écrire ce texte de présentation. Malheureusement, les spectateurs, induits en erreur ou du moins laissés dans l’ignorance, avaient toutes les raisons d’afficher leur mécontentement.

    En résumé, il n’est donc pas certain que Berlioz ait réutilisé dans les Troyens un extrait de la Nonne : c’est une intéressante hypothèse de travail, ni plus, ni moins.

Jean-Philippe Dartevel
1er août 2007

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Voyez aussi sur ce site: L’Achèvement du Duo de La Nonne sanglante, par Hugh Macdonald (en anglais)

Impressions sur Benvenuto Cellini à Londres

Par Georges Combe, cinéaste

Barbican Hall, Londres
London Symphony Orchestra
London Symphony Chorus
direction: Sir Colin Davis
Gregory Kunde (Cellini), Laura Claycomb (Teresa), Darren Jeffery (Balducci), Isabelle Cals (Ascanio)
Peter Coleman-Wright (Fieramosca), John Relyea (Pope Clement VII), Andrew Kennedy (Francesco)
Jacques Imbrailo (Pompeo), Alasdair Elliot (Cabaretier), Andrew Foster-Williams (Bernardino)

Exécution du 29 juin 2007

    Il ne s’agit pas ici d’une critique, d’une étude historique, d’une analyse musicale, j’en serais bien incapable et ce n’est pas le lieu, simplement quelques impressions d’après concert, en écoutant vibrer encore dans la nuit londonienne les échos de l’œuvre de Berlioz…
    Benvenuto, je l’appellerai ainsi, s’il me permet, comme un vieil ami, puisque je l’ai écouté et vu de nombreuses fois tout au cours de ma vie, depuis sa découverte, par extraits, dans les années 1950/1960 à la radio (c’était fête extraordinaire alors, que de pouvoir entendre autre chose de Berlioz que la “ Fantastique “ ou la “ Damnation ”) puis avec le fameux disque de Colin Davis qui fut la révélation du chef d’œuvre, complexe, exigeant, qui m’ouvrait de nouvelles perspectives sur Berlioz et la musique…
    Aussi c’est avec grande émotion qu’en marchant dans les rues de Londres je me disais que mes yeux allaient enfin rejoindre mes oreilles après plus de trente années : entendre et voir Colin Davis dans ce Benvenuto qui m’avait accompagné pendant tout ce temps.
    Certes j’avais rencontré le chenapan de ciseleur plusieurs fois sur scène ou au concert : sur scène toujours de façon décevante, au mieux anecdotique, au pire ridicule et empesée… Il faut dire que je n’avais pas eu la chance de voir la version d’Amsterdam qui d’après les photos me semble la seule mise en scène à avoir compris le sens profond de l’œuvre…
    C’était donc le dixième rendez-vous au moins que j’avais avec Benvenuto ce soir de la fin juin 2007 à Londres… J’avais encore dans l’oreille le disque de Colin Davis, évidemment et puis les concerts de John Nelson à Paris et de Roger Norrington… qui m’avaient comblé d’émotions (à des degrés divers…).

    Alors…
    Alors quand la musique s’éleva dans la salle du Barbican ce fut curieusement à la peinture que je pensai… Il y avait comme une distance que Colin Davis me semblait dessiner entre l’orchestre, les chanteurs, et lui, comme s’il dirigeait non pas de son pupitre, mais d’un lieu qui était hors de la salle et du monde, comme si de loin il voyait les couleurs de son orchestre et les faisait luire avec tendresse et sérénité dans la pénombre de la salle. Un Benvenuto assagi, légèrement détaché du monde, ce qui ne faisait bien entendu que renforcer l’émotion… Un Benvenuto proustien, où Rome prenait des allures de Combray… Mais après tout il y a aussi des aubépines dans la campagne romaine.
    Et puis il y avait cette perfection orchestrale jamais entendue encore, individualité de chaque timbre et cohérence de l’ensemble, comme si tous, tous, avaient compris la simple et difficile musique de Berlioz dans ses moindres détails.
    Bref, la première partie se passa dans un éclair, dans une émotion continue. Même les parties parlées, grâce au génie bon enfant du public ne rompaient pas le charme…

    Et puis, et puis il m’arriva ce qui déjà m’était arrivé au concert de Roger Norrington (et sans doute aussi à celui de John Nelson) : comme une difficulté à retrouver l’émotion dans la deuxième partie, comme si “ la fleur même de la sensation était perdue “ aurait dit Flaubert.
    A qui la faute ? A moi certes, fatigué sans doute, trop exigeant peut-être. Mais je ne plaide que partiellement coupable.
    Les coupures, les malversations diverses dont a souffert cette deuxième partie sont aussi responsables de cette légère insatisfaction, de ce manque, de cette implosion de l’œuvre alors qu’on sent qu’elle ne demande qu’à s’élever encore…
    Implosion ? Manque ? C’est à voir…. Mais n’anticipons pas…
    Et si, et si, oui, j’ose, et si Berlioz lui-même n’avait pas au fond ressenti la même chose en composant son œuvre ? Là, dans la nuit londonienne, je sentais que je touchais à un mystère des plus étranges et des plus profonds qu’on puisse approcher : celui de la fin d’un monde, le nôtre, occidental et méditerranéen, depuis plusieurs millénaires…
    Le monde finissait à l’entracte.
    Après, c’était l’après monde. La deuxième partie.
    Comment cela ?
    Ce même sentiment je l’ai ressenti aussi chaque fois que j’ai vu “ Les Noces de Figaro ”. Après le magnifique et époustouflant finale de la première partie, il se passe le même phénomène qu’avec Benvenuto, après ce magnifique et époustouflant finale du “ Carnaval ”.
    La comparaison pourrait être développée, mais je crains que ce ne soit pas ici le lieu ni le propos.
    Restons avec Benvenuto, et à ce mystère que par et dans son art, Berlioz (comme Mozart sans doute) a ressenti…
    Berlioz, inconsciemment (et à mon sens très consciemment aussi) a poussé avec Cellini la musique aussi loin qu’elle puisse aller, bien au-delà de ce que feront Wagner, Debussy, ou Schoenberg et tous les autres. Il y a là quelque chose de Joyce. De même que le génial irlandais conduit la littérature et le langage aussi loin qu’ils puissent aller, jusqu’à l’impasse totale, jusqu’à la fin, de même Berlioz conduit la musique jusqu’à son terme absolu, ou du moins, il SAIT dorénavant, après le “ carnaval ”, qu’il peut la conduire là (ce qui revient au même). Il en a le génie, il en a les moyens, et il vient justement de le montrer, en mille et un endroits de la partition.

    Pour éclairer mon propos, on pourrait tenter une première explication et une première illustration avec la scène de l’aubergiste : Cellini : “Non jamais les trompettes du jugement dernier… etc.” Ici Berlioz évidemment s’amuse (et nous aussi). – Comme Joyce dont “Ulysse” est traversé par un humour constant – ... On voit alors que la musique se plie au sens littéral du texte pour mimer une sorte de musique d’apocalypse. Il s’agit bien là d’un procédé “joycien” où le langage (ici musical) explose dans sa cohérence culturelle et systémique pour aller “ailleurs” (aux sources mêmes de l’inconscient et du LANGAGE – qu’il soit musical, pictural ou littéraire –) ce qui fait que la scène peut aboutir à un ensemble que certains vont trouver à tort évidemment disparate (1)
    C’est pourquoi Berlioz n’aime pas “développer” comme le font les Allemands par exemple ou les Italiens (et tous les musiciens en fait, sauf lui). Ainsi le carcan culturel et linguistique de l’opéra (et de la musique) est-il brisé sans cesse (alors que Wagner avec son système de leitmotive le reconstitue, ou les sérialistes, par peur du vide, de ce grand vide béant et fondamental sur lequel flottent les Troyens, dans leur lumière orchestrale en particulier).
    Et si par hasard il développe (un peu) l’orchestration prend le relais de cette exploration... Ainsi avons-nous cette musique sans cesse inventive, qui ne nous laisse jamais en repos, qui nous surprend à chaque mesure et nous emporte au fond de nous même et aux racines de notre propre structure mentale. Ainsi Berlioz (comme Joyce) n’a-t-il plus “d’époque”.
    Cela pourrait évidemment se développer bien plus...

    Ce rapport entre Berlioz et Joyce je l’avais senti dès l’audition du disque de Davis. Je pourrais prendre la partition pour le montrer. On est bien au-delà des systèmes germaniques qui viendront après, des crépuscules des dieux, des sérialismes, et dodécaphonismes… Comme explose le four de Benvenuto, explose la musique dans sa rencontre viscérale avec le texte, les mots, les personnages, les sentiments, l’histoire…
    Mais on ne veut pas qu’elle explose, la musique, ni Berlioz, ni Colin Davis, ni moi… Alors que faire au milieu de cette course à l’abîme (ou après)?
    Et regardez : que naît-il de cette explosion ?
    “ Les Troyens ”.

Georges Combe

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(1) C’est pour cela qu’il y a de quoi faire au moins cinquante opéras “classiques” dans Benvenuto.

* Georges Combe, passionné de longue date de Berlioz, est l’un des plus fins cinéastes qui soient. À citer dans sa filmographie : Rennes-le-Château, du Trésor au vertige (De Saunière à Da Vinci) ; Aran ou la Dernière Atlantide ; Un amour de Berlioz ; À la Recherche de l’île des morts ; et prochainement : Le Voyage alchimique de Bruxelles à Saint-Jacques-de-Compostelle. On ne saurait trop en recommander les dévédés ou les vidéographies (disponibles directement auprès de : combegeorges@wanadoo.fr). À noter que le très bel Un amour de Berlioz sera projeté le 28 août à 14h, au Musée Hector-Berlioz de La Côte-Saint-André (entrée gratuite), dans le cadre du festival Berlioz. (Note de Pierre-René Serna)

La Messe solennelle par Riccardo Muti

Par Christian Wasselin

Théâtre des Champs-Elysées, Paris
Orchestre national de France
Chœur de Radio France
Direction: Riccardo Muti
Genia Kuehmeier (soprano), Pavol Breslik (ténor), Ildar Abdrazakov (basse)

14 et 15 avril 2007

    Riccardo Muti vient régulièrement, depuis plusieurs saisons, diriger l’Orchestre national de France, la plupart du temps au Théâtre des Champs-Élysées, parfois en la basilique de Saint-Denis. Il lui est arrivé de s’attaquer à des œuvres méconnues telles que la Messe de Chimay de Cherubini, par exemple, mais Berlioz fait partie de ses compositeurs de prédilection : après Cléopâtre, il y a quelques années, après une Symphonie funèbre et triomphale décevante, étonnamment privée de couleurs et d’énergie, en 2004 (quand nous sera-t-il donné d’entendre enfin cette œuvre dans de bonnes conditions, avec l’effectif et l’éclat qu’elle exige ?), le chef italien s’est attaqué, les 14 et 15 avril dernier, à la Messe solennelle miraculée.

    Cette fois, Muti avait préparé son affaire avec soin ; cette Messe, il y croit, et il nous montre qu’elle mérite d’être interprétée avec soin, avec fougue, avec chaleur. Il suffisait de le voir jouer de son autorité, exiger mille nuances (et les obtenir !), faire gronder les contrebasses, entraîner les voix du Chœur de Radio France dans les plus vastes crescendos, creuser les silences dans le Crucifixus, pour se rendre compte que cette exécution était tout sauf ordinaire et bâclée. Quant à notre esprit et à nos oreilles, ils furent comblés eux aussi, tant Riccardo Muti a su donner un souffle impérieux à une partition dont il s’est efforcé de donner une interprétation mouvementée, très théâtrale, étrangement proche de Verdi, parfois, là où on se serait plutôt attendu à retrouver les couleurs d’un Lesueur. On ne pouvait ce soir-là qu’être d’accord avec Lesueur, précisément : « Ce garçon-là a une imagination du diable ; sa messe est étonnante ; il y a (là) tant d’idées qu’avec sa partition j’en ferais dix des miennes. »

    Prochain rendez-vous avec le même orchestre et le même chœur dans une autre partition sacrée de Berlioz : les 12 et 13 juin 2008. Ce sera cette fois au tour du Requiem, sous la direction de Sir Colin Davis.

Christian Wasselin
26 avril 2007

Roméo et Juliette selon Marc Minkowski

Par Christian Wasselin

Halle aux grains, Toulouse
Orchestre national du Capitole de Toulouse
Chœur Les Éléments
direction: Marc Minkowski
Nadia Krasteva (mezzo-soprano), Loïc Félix (ténor), Alain Vernhes (basse)

Exécution du 17 mars 2007

    On aime la manière dont Marc Minkowski dirige Rameau et Gluck régulièrement, on a aimé les quelques incursions qu’il a osées en terres berlioziennes (Herminie et la Fantastique à la Cité de la musique, toutes deux enregistrées pour DG, la Messe solennelle), et on souhaiterait qu’il aille plus loin, plus vite. Mais diriger Berlioz n’est jamais une mince affaire et, en attendant qu’il aborde le Requiem ou un opéra, il a eu la bonne idée de nous offrir, le 17 mars dernier à la Halle aux grains, une exécution retentissante de Roméo et Juliette en compagnie de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, avec la participation du Chœur Les Éléments et aussi, côté solistes, d’Alain Vernhes, hélas sans réelle grandeur, et des très acceptables Yvonne Naef et Loïc Félix.

    On aurait pu imaginer que Minkowski, à l’instar d’un Gardiner, nous fasse entendre des pages que Berlioz a récusées après coup (le second prologue par exemple, ou le petit chœur latin à la fin du Convoi funèbre de Juliette). Mais non, il s’en est tenu au découpage traditionnel, tel que Berlioz l’a mis au point après les exécutions à Prague en 1846. Une chose est sûre cependant, et il est bon de la répéter ici : le souffle de la symphonie de Berlioz et la variété de sa forme conviennent idéalement à l’énergie de Minkowski, à sa manière d’exalter à la fois la nostalgie et l’invention dont est tissée cette musique.

    Et puis, comme beaucoup de chefs issus de la pratique dite baroque, il renouvelle entièrement l’approche des partitions romantiques : disposition des exécutants (avec les violons I et II en vis-à-vis pour assurer l’antiphonie, ce que tous les chefs ne font pas : Colin Davis par exemple, comme il l’a de nouveau montré lors de son exécution pourtant magistrale de Roméo à l’automne dernier), tempos soutenus, souci de la dynamique, cordes sans vibrato sauf à des fins expressives, manière de faire chanter les bois avec volubilité. Au bout du compte, c’est un Berlioz tantôt soyeux, tantôt pimpant et acidulé, tantôt très sombre qu’on entend, quand bien même il est interprété sur instruments modernes. On se rappellera longtemps la manière dont la clarinette, dans Roméo au tombeau des Capulets, semblait à Toulouse réellement sourdre d’outre-tombe, et comment le chef, dans une péroraison on ne peut plus majestueuse, réussit à donner des couleurs d’orgue au serment final.

    On souhaitera tout naturellement qu’à la suite de nos chefs anglais préférés (on ajoutera Roger Norrington aux deux précités), Marc Minkowski poursuive, partition après partition, son exploration des œuvres de Berlioz. Première urgence : qu’il nous offre les Troyens, avec une distribution de chanteurs qu’on a l’habitude d’entendre dans Rameau et Gluck par exemple.

Christian Wasselin

À Gelsenkirchen : Des Troyens renouvelés

Par Pierre-René Serna

Musiktheater im Revier, Großes Haus, Gelsenkirchen
Neue Philharmonie Westfalen; Opernchor
Direction: Samuel Bächli

Représentation du 14 janvier 2007

    Les Troyens présentés au Staatstheater im Revier de Gelsenkirchen, proviennent de la coproduction avec l’Opéra national du Rhin. Pourtant, disons-le d’emblée, le théâtre de cette ville de la Rhur témoigne d’une ambition que l’on n’avait pas notée en son temps à Strasbourg (lors de la première, le 25 octobre 2006). En d’autres termes : tant qu’à assister aux Troyens mis en scène par Andreas Baesler, c’est Gelsenkirchen qu’il fallait choisir plutôt que Strasbourg.

    Tout d’abord, pour des motifs musicologiques. Les injustifiables coupures pratiquées en Alsace dans la partition sont ici pour partie gommées, puisque le “Combat de Ceste – Pas de lutteurs” est rétabli au premier acte. Même si par ailleurs persiste, de façon tout aussi dommageable, la suppression des “Entrées” au troisième acte et des deux premiers ballets au quatrième. Mais – divine surprise! – voilà qu’à la “Pantomime d’Andromaque”, succède la “Scène de Sinon”, dont le contraste rageur n’a jamais paru aussi indispensable. Ce qui, après Leeds, Lyon, Montréal et Amsterdam, constitue une première absolue en Allemagne. Autre surprise, peut-être plus discutable, l’ajout après les dernières mesures du final définitif, des reprises de la “Marche troyenne” avec l’apparition de Clio et des deux Coryphées dans le lointain, provenants de la conclusion du final original de l’opéra. Pour en rester au chapitre de l’intégrité due à la partition, on déplorera ici et là des reprises coupées et une ou deux mesures maladroitement répétées pour aider à un changement de tableau. Mais relevons cette louable réflexion sur l’œuvre et ses variantes possibles, qui est redevable tout autant au metteur en scène qu’au chef d’orchestre et au directeur de l’institution. Élément, précisons-le, ignoré à Strasbourg.

    Musicalement, la satisfaction est presque entière. À Gelsenkirchen, interviennent essentiellement les chanteurs de la troupe. Et tous, si l’on excepte un Chorèbe qui chante systématiquement en force, sont parfaitement distribués. Anna Agathonos est une Cassandre de belle ampleur, au legato nuancé qui n’empêche pas les élans emportés. Anke Sieloff campe une Didon au lyrisme maîtrisé et à la technique sans faille. Une grande chanteuse assurément, et une des grandes parmi les interprètes du rôle. Il n’est pas jusqu’à l’épisodique Sinon, William Saetre, qui incarnera peu après Hylas, qui ne soit vocalement séduisant. Tous, aussi, témoignent d’une irréprochable élocution française. Mais la troupe allemande l’emporte sur la distribution réunie en Alsace (excellente au demeurant, à une exception près), par le choix fait pour Énée : dévolu ici à Christopher Lincoln, qui sait allier une vaillance sans excès à un phrasé bien conduit. Un Énée de belle tenue, à qui devrait échoir prochainement un Cellini (voir ci-dessous) que tout annonce prometteur.

    La direction musicale de Samuel Bächli est celle d’un vrai connaisseur de Berlioz (il avait déjà dirigé, pour cette même maison, Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini), à la fois souple, attentive aux accents et aux nuances, et portée par le souffle. On est loin de ces couleurs ternes, de ce constant mezzo-forte que Berlioz dénonce, tels qu’ils se dégageaient à l’Opéra de Strasbourg sous la battue de Michel Plasson ! Ajoutons aussi la judicieuse acoustique du théâtre, qui donne relief à la dynamique sonore (le fortissimo de la fin du quatrième acte) et rend justice aux répartitions spatiales (le final du premier acte). Berlioz, qui fustigeait “les théâtres trop vastes”, aurait apprécié.

    Voyageant du Rhin à la Rhur, la mise en scène de Baesler a peu varié, si ce n’est les parties ajoutées que nous citions, et si ce n’est aussi un travail d’ensemble plus affirmé d’où résulte un meilleur impact. La précision du jeu scénique demeure constante, et les deux premiers actes diffusent une force dramatique réellement impressionnante. Reste que l’on peut être dubitatif devant cette actualisation gratuite et forcenée, qui invite à passer sans transition de la guerre de 14-18 (!) à une villa hollywoodienne (?) : une vision platement réaliste et bourgeoise, si éloignée de la beauté antique que l’œuvre réclame et recèle.

    Soulignons toutefois que pour assister aux Troyens à Gelsenkirchen, il importait d’être à la première, le 14 janvier 2007, la seule exécution à offrir l’opéra dans sa continuité. Puisque les représentations suivantes s’en tiennent à la Prise de Troie ou aux Troyens à Carthage, donnés isolément des jours différents. Il convient alors, en ce sens, de tempérer la préférence que nous avons accordée dans ce compte-rendu à Gelsenkirchen sur Strasbourg.

    Peter Theiler, actuel directeur du Staatstheater im Revier, est un vrai passionné de Berlioz. Passion qui remonte à son travail au sein de l’Opéra de Francfort au temps des Troyens mis en scène par Ruth Berghaus et dirigés par Michael Gielen (en 1982, 1983 et 1984). C’est ainsi qu’il a déjà donné à Gelsenkirchen Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini, et s’apprête à clore la saison prochaine par la Damnation de Faust en version de concert. Ce sera aussi ses adieux à ce théâtre, puisqu’il prendra en main, à partir de la saison 2008-2009, le Staatstheater de Nuremberg. Et c’est Benvenuto Cellini, en octobre 2008, qui devrait inaugurer sa prise de fonction.

Pierre-René Serna

À Paris : La victoire des Troyens

Par Pierre-René Serna

Opéra Bastille, Paris
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine
Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Direction: Sylvain Cambreling

Le 11 octobre 2006

    Production très attendue, et phare de la saison à l’Opéra de Paris, les Troyens s’inscrivent à Bastille comme un événement de première importance. Il s’agit en l’espèce, on le sait (voir l’entretien avec Sylvain Cambreling), d’une nouvelle présentation du travail scénique d’Herbert Wernicke (disparu depuis lors) pour Salzbourg en 2000. Disons d’emblée, pour nous qui avons assisté en son temps au spectacle salzbourgeois, que cette relecture s’avère encore plus convaincante. Est-ce le plateau plus enserré, les modifications de détail (notamment un quatrième acte entièrement repensé), ou la reconstruction du décor dans les ateliers parisiens ? Toujours est-il que transparaissent mieux les intentions de la mise en scène, sa portée et son esthétique. Une vaste conque immaculée, judicieuse référence à un théâtre antique, concentre le drame, seulement percée d’une faille où les événements défilent à l’arrière-plan. Voilà bien l’esprit de l’opéra de Berlioz! où les péripéties sont évoquées plus que décrites. L’attention est alors focalisée sur quelques gestes, de rares éléments (des coffres, un ou deux mobiliers, une barge ou les bastaings d’un bûcher), pour une conviction dramaturgique où chaque personnage trouve sa place, dans les situations campées tragiquement (le suicide des Troyennes) ou poétiquement (la fin du troisième acte), et une réelle beauté plastique (ces ors mêlés de bleus des derniers actes). Autant d’impressions que nous n’avions pas ressenties à Salzbourg au même degré, avouons-le. Seul écueil de la mise en scène, d’origine : le tableau de la Chasse royale et ses projections faciles. Mais on retiendra la parfaite intelligence de l’œuvre, avec une humilité rare chez les metteurs en scène, mais aussi une profondeur, qui portent le spectacle.

    L’autre vertu de ce décor unique est de se faire l’écrin des voix. Car musicalement, tout est pareillement et admirablement mis au service de l’ouvrage. Chaque rôle, jusqu’au plus petit (les deux sentinelles), est ainsi parfaitement distribué; non que tous soient irréprochables, mais tous répondent à la tessiture et à la couleur requises. Deborah Polaski parvient à la prouesse d’incarner les deux grands rôles féminins, Cassandre et Didon, avec l’efficience de sa projection pleine et sûre, quand bien même elle se réserve parfois. Jon Villars a plus de difficultés pour son Énée, mais le timbre reste séduisant et l’élan arrive à point nommé (dans sa déclamation du deuxième acte, ou son air du cinquième, malgré le contre-ut escamoté). Elena Zaremba dispense une Anna d’une vraie couleur d’alto, un peu chevrotante cependant, et on aurait aimé meilleure incarnation de la part du Chorèbe, ferme au demeurant, de Franck Ferrari. Mais nulle réserve à formuler pour le Narbal d’airain de Kwangchul Youn (déjà apprécié dans la précédente Lucia en ce même lieu) ou l’Iopas quasi idéal d’Eric Cutler, technique et phrasé conjugués. Seuls les chœurs faussent, qui auraient gagné à plus d’homogénéité et de nuance (peut-être au fil des prochaines représentations ?). Mais à l’orchestre tout se joue. L’accord est au mieux entre des instrumentistes que l’on dit indisciplinés et Sylvain Cambreling, qui affirme dans cette musique sublime et difficile une maîtrise dont peu des chefs pourraient aujourd’hui se targuer, souffle d’ensemble et cisèlement des détails (et dans le strict respect des tempos, comme dans le quintette du cinquième acte). Nonobstant les altérations de la partition (la coupure des ballets et des petits rajouts, injustifiables en toutes circonstances, mais annoncés en toute honnêteté par le programme de salle), on ne peut que saluer la réussite d’une entreprise à la fois risquée et glorieuse, où la grande maison parisienne trouve la meilleure justification à sa raison d’être.

Pierre-René Serna

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* Article rédigé pour la revue Scènes Magazine.

Site Hector Berlioz crée par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; page Comptes-rendus de concerts créée en 1999; complètement remaniée le 25 décembre 2008.

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