Par
© 2004 Pierre-René Serna
Cette page est disponible aussi en anglais
La salle de l’ancien Conservatoire1 (aujourd’hui salle du Conservatoire d’art dramatique, dans le neuvième arrondissement de Paris), reste toujours ce secret bien gardé, inconnu des touristes et de nombre de Parisiens. Or, ce lieu, chargé d’un passé musical illustre, à nul autre comparable, porte un témoignage unique sur l’art des anciennes salles de concert et représente un joyau architectural inestimable.
À l’origine, c’est-à-dire à l’orée du XVIIe siècle, le quartier du Faubourg Poissonnière n’est que champs et terrains vagues en contrebas des remparts ceinturant Paris. Avec la destruction de ceux-ci et la création des Boulevards, le secteur situé au-delà des anciennes limites de la ville se lotit de maisons de résidence et hôtels particuliers. La Nouvelle France2, ainsi se nomme désormais cette extension de Paris, va faire l’objet des attentions royales, et, dans la rue Bergère toute neuve, est décidée l’implantation de l’Hôtel des Menus Plaisirs. Cette institution, équivalent à notre actuel ministère de la Culture, regroupe en ses murs écoles d’arts, troupes de comédiens et musiciens. L’architecte Louis-Alexandre Giraud, collaborateur de Gabriel pour l’Opéra du château de Versailles, signe le bâtiment primitif, construit de 1763 à 1787, comportant magasins de décors et ateliers, auxquels viendra s’adjoindre une salle de spectacle. Celle-ci, ancien Théâtre de la foire Saint-Laurent de 1752 et œuvre du célèbre machiniste Arnould, démontée puis remontée aux Menus Plaisirs, verra entre autres la création de la Servante Maîtresse de Pergolèse. C’est à son emplacement que, de 1806 à 1811, à l’instigation de Napoléon Ier, s’édifie sur les plans de l’architecte Delannoy, inspirés du modèle initial, la salle actuelle. D’autres locaux sont également bâtis, comme la bibliothèque en 1808. Entre-temps (en 1795), pour se substituer à de menus plaisirs fleurant trop l’Ancien Régime, le Conservatoire de musique et de déclamation a été institué.
Dès lors, ce qui constitue l’une des toutes premières salles de concert de l’histoire, devient le rendez-vous musical de l’Europe. Aux Concerts français fondés par Habeneck, succède en 1828 la Société des concerts du Conservatoire présidée par Cherubini, dont le concert inaugural a lieu le 9 mars. C’est dans ce cadre que sont données les premières françaises des symphonies de Beethoven, et que la plupart des œuvres symphoniques de Berlioz voient le jour3. Son acoustique incomparable, saluée dès l’ouverture et vantée par les musiciens à travers le monde, figurera longtemps comme un modèle. Régulièrement jusqu’à la dernière guerre, sporadiquement ensuite, des concerts y sont donnés (notamment par la Société des concerts du Conservatoire jusqu’en 1967, date de sa dissolution au sein de l’Orchestre de Paris), puis disparaissent, à la fois pour des motifs de sécurité (l’édifice est en bois) et de rentabilité (la capacité de la salle est faible), mais aussi parce qu’entre-temps l’enseignement musical émigre, laissant l’héritage d’une salle de concerts au seul usage paradoxal des élèves d’art dramatique.
C’est alors que le bâtiment, resté comme hors du temps et quasi inchangé depuis sa construction (hormis la décoration, renouvelée en 1866), est en 1985 l’objet d’importants travaux de restauration et de restructuration. Si l’enveloppe de la salle elle-même est conservée, la scène en revanche est entièrement refaite, des fondations aux toitures. Après surélévation de la cage, une structure porteuse en béton, un gril et des cintres en métal, et un dessous de scène entièrement rénové en matériaux contemporains, remplacent le bois utilisé à l’origine. De même, le décor de concert, antérieurement à demeure, est transformé en un décor démontable, à l’identique, mais sur raidisseurs en aluminium. Le proscenium est, quant à lui, supprimé, réduisant la superficie de la scène. Dans la salle elle-même, de larges fauteuils de velours diminuent le nombre de places assises, dans une distribution des rangées elle-même modifiée (au parterre, une seule travée, au lieu de deux séparées par un passage), cependant qu’une moquette est posée au sol. Lors de ces aménagements, certainement nécessités par la vétusté de l’édifice, les Monuments historiques (le bâtiment est classé) semblent avoir privilégié la décoration – admirablement restaurée – au détriment du caractère intrinsèque des lieux.
Il est, dès lors, permis de s’interroger. Les matériaux employés (béton et métal pour la scène, velours et moquette pour la salle) vont à l’encontre des critères actuels en matière d’acoustique, à l’heure même4 où les salles de musique – Châtelet, Pleyel, Bastille – réintroduisent le bois. Il en est de même de la hauteur augmentée de la cage de scène. Par ailleurs, la réduction de l’espace scénique interdit quasiment les grands concerts symphoniques, surtout en présence du décor prévu à cet effet. Il devient ainsi peu probable que l’on puisse jamais, dans les conditions actuelles, exécuter Roméo et Juliette de Berlioz, symphonie avec chœur et solistes, dans le lieu même de sa création.
La capacité d’accueil du public, n’aura, elle, jamais cessé d’aller en diminuant, passant de quelque mille places (1 078 très exactement à l’origine, compte tenu du poulailler, par la suite inexploité) à environ quatre cent cinquante aujourd’hui, rendant encore plus illusoire une véritable programmation symphonique dans un lieu primitivement dévolu à cette fonction. Tout cela est d’autant moins explicable qu’une rénovation menée en considération de l’acoustique et des capacités initiales n’aurait que mieux favorisé un usage théâtral… Qu’aurait-on dit de ce mode d’intervention sur l’Opéra de Versailles (dont on a vu que cette salle hérite directement) ? À croire que l’on s’est acharné à effacer tout vestige d’un glorieux passé, et toute possible éventualité de son retour.
Pierre-René Serna
La partie avant du bâtiment, démolie dans les années 1930, abrite maintenant un bâtiment de la poste.
Il s’agit de la démolition d’ensemble de la cage de scène, hors les façades, visible depuis la rue.
On voit nettement le plafond original du décor de concert qui enserrait le volume de la scène avant son démontage.
Photo prise par Michel Austin en novembre 2000.
____________________________________
* Article publié en octobre 1991 dans la revue Mélomane, ici en partie modifié.
1. Le Conservatoire national de musique et de déclamation déménage d’abord rue de Madrid en 1911, puis, scindé en deux entités distinctes à partir de 1946 (l’art dramatique se réinstallant dans le bâtiment initial), verra sa partie musicale s’installer à la Cité de la musique de la Villette en 1990.
2. À ne pas confondre avec la Nouvelle Athènes, dans la partie ouest de l’actuel neuvième arrondissement, où Berlioz choisira ses appartements à partir de 1834 et se fixera en 1836 jusqu’à sa mort.
3. La Fantastique, Lélio (alors intitulé le Retour à la vie), Harold et Roméo.
4. L’article est de 1991 (rappel).
Nous remercions vivement notre ami Pierre-René Serna de nous avoir envoyé cet article. Critique musical éminent, M. Serna a édité [avec Christian Wasselin] Berlioz (L’Herne, Paris, 2003), et est l’auteur de Berlioz de B à Z (Éditions Van de Velde, 2006). Nous remercions également notre ami Olivier Teitgen de nous avoir fourni les photos et illustrations. Tous droits de reproduction réservés.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 10 décembre 2004, augmentée en février 2005.
© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb.
Retour
à la page principale Conservatoire de Paris
Retour
à la page Berlioz à Paris
Retour à la page Contributions Originales
Retour à la Page d’accueil