Nous remercions très vivement M. le Professeur Stelzel de nous avoir envoyé des photocopies des articles traduits ci-dessous, et dont on trouvera le texte allemand original sur une autre page de ce site. Traduction française © Michel Austin. Ces articles sont disponibles aussi dans une traduction anglaise par Michel Austin.
Zuschauer, 14 novembre 1845
Zuschauer, 19 novembre 1845
Zuschauer, 26 novembre 1845
Allgemeine Theater Zeitung, 2 décembre 1845
Zuschauer, 3 décembre 1845
Zuschauer, 17 décembre 1845
Der Wanderer, 5 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 5-6 janvier 1846
Der Wanderer, 6 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 6 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 10 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 12 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 13 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 24 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 28 janvier 1846
Allgemeine Theater Zeitung, 26 mars 1846
On trouvera sur une page séparée une reproduction de l’article original de l’Allgemeine Theater Zeitung du 24 janvier 1846.
Voir aussi sur ce site Berlioz à Vienne
Zuschauer, 14 novembre 1845 (p. 1145-6)
Hector Berlioz.
(Notice biographique.)
Hector Berlioz est né à La Côte St. André dans le département de l’Isère le 11 décembre 1803; il est donc dans la force de l’âge. Selon la volonté de son père, médecin pratiquant, Berlioz était destiné à étudier la médecine. Il se soumit, même après ses premières leçons de musique qui allumèrent en lui une véritable passion pour l’art des sons. Finalement, venu à Paris pour poursuivre ses études en médecine, il déclara à son père son opposition irrévocable envers cette science. Son refus de la volonté paternelle lui réserva un dur sort: il se vit désavoué par ses parents. Privé de tout soutien et en proie subitement au manque de moyens d’existence, il suivit néanmoins avec un courage indomptable la vocation qui lui était naturelle, et se fraya lui-même son chemin. Il chanta comme choriste au Théâtre des Nouveautés, donna des leçons de chant, et étudia la musique au Conservatoire sous Lesueur et Reicha avec tellement de succès qu’il remporta le second prix de composition musicale en 1828 et le premier en 1830, ce qui lui donna les moyens d’entreprendre un voyage de deux ans en Italie. Dans ce pays « des merveilles du monde classique » il se livra tout entier à un enthousiasme effréné, et après son retour ses sentiments passionnés se donnèrent libre cours: son cœur s’était enflammé d’amour. Harriet Smithson, l’artiste dramatique, avait allumé les ardeurs de son cœur, et envers tous les obstacles elle devint sienne. Il est collaborateur au Journal des Débats pour la partie musicale, et par la publication de ses voyages musicaux en Allemagne il s’est fait signaler comme un critique de talent mais d’un jugement parfois contestable. Nous citerons parmi ses œuvres: la Symphonie fantastique — Scènes du Faust de Goethe — les ouvertures des Francs-Juges et du Roi Lear — la Mort de Napoléon [le Cinq Mai] — Sara la baigneuse — la symphonie Roméo et Juliette, un Requiem pour la cérémonie funèbre du général Damrémont, et l’opéra Benvenuto Cellini, qui n’a pas remporté le succès accordé par les parisiens à ses symphonies. L’opinion de Paganini sur ces symphonies est caractéristique de ces deux artistes. Paganini était présent dans l’auditoire à un concert donné par Berlioz à Paris à l’automne de 1838, et fut tellement séduit par la musique des symphonies, qu’après la fin du concert il descendit de sa loge pour se hâter vers l’orchestre et embrasser Berlioz avec ardeur avec ces mots: « Permettez moi de me jeter à vos pieds en témoignage d’admiration pour vos œuvres magnifiques ». Le lendemain matin Berlioz reçut un billet de Paganini qui disait à peu près: « Depuis Beethoven personne n’est apparu qui ait composé des œuvres aussi splendides que vous. Permettez-moi comme faible signe d’admiration et d’honneur de vous donner la somme de 20,000 francs que j’ai déposé pour vous chez M. de Rotschild. »
Même si l’on laisse de côté les hommages rendus à Berlioz par Paganini, cet artiste ambitieux et tellement assoiffé de gloire, il semble qu’on reconnaisse chez Berlioz la force créatrice d’un puissant génie, qui cependant est en mouvement perpétuel et se déchaîne comme une tempête, et n’est pas donc pas encore parvenu à ce calme de la pensée artistique où l’intelligence maîtrise les flots tumultueux de l’exaltation et les contraint dans le moule de l’ordre et de la clarté.
Zuschauer, 19 novembre 1845 (p. 1470-1)
Concert de M. Hector Berlioz
(le 16 novembre à midi, au Théâtre an der Wien)
Berlioz nous a rendu visite à Vienne — il est venu pour constater en personne quelle opinion on a ici de lui, le « Beethoven de la France » — ici à Vienne, où le vrai Beethoven est l’objet d’un culte si fervent et où on le connaît mieux que nulle part ailleurs. Dans le pays natal de ce compositeur si célébré et si contesté ses partisans et adversaires combattent pour et contre lui, sans avoir pu encore se mettre d’accord dans leurs points de vue. Il semble, à en juger d’après le succès du premier concert, qu’ici aussi le public se partage entre deux opinions très différentes de son talent, dont la moins favorable semble l’emporter. Mais les créations de Berlioz sont telles qu’une pareille divergence de points de vue ne peut manquer de se manifester. Alors que sa profonde connaissance de l’instrumentation force le respect même des connaisseurs, on regrette trop souvent dans son langage musical le manque de clarté dans l’expression. À peine relève-t-on chez lui avec plaisir une idée musicale agréable, voire même parfois géniale, qu’elle se perd alors dans le fracas du bombardon, les fanfares de trombones, et la confusion stridente de la petite flûte et de la clarinette. Berlioz en outre, comme partout en Allemagne, a dû faire face à une réputation défavorable; on n’a pas oublié les opinions souvent cassantes et les demi-verités que sa plume de critique musical répand sur nous, et on est plutôt enclin à s’en prendre d’autant plus violemment à ce rédempteur de notre temps. C’est pourquoi les condamnations sans appel que nous avons pu parfois entendre en rentrant chez nous peuvent sembler quand même un peu trop rapides, d’autant plus qu’ells sortent de la bouche de gens dont l’enthousiasme pour Mozart et Beethoven, pour la pure et chaste musique allemande, vient des lèvres et non du cœur. Malgré toute l’excentricité que respirent ses compositions, malgré toutes les pirouettes géniales qu’il se permet de temps en temps, à la colère des cerbères de la musique, Berlioz reste cependant un homme étonnant: il est possédé d’un amour enthousiaste pour l’art, il s’est fait son propre chemin, et — c’est une personnalité. Comprenez vous ce que cela signifie, vous autres partisans de Hérold, Auber, Halévy et Balfe? Quel dommage que Berlioz ne soit pas allemand! Il ne serait alors peut-être pas aussi célèbre qu’il est, mais son nom serait encore prononcé avec éloge après de longues années au rang des premiers, alors que choyé comme il est par l’époque actuelle il n’atteindra peut-être pas le seuil de l’avenir. Le génie pour les Allemands est une assurance-vie, qui exerce son action après la mort, alors que pour les Français le génie est un rente viagère dont jouit le détenteur mais qui s’évanouit avec sa disparition.
Parmi les œuvres exécutées par M. Berlioz c’est aux compositions instrumentales que revient sans contest la palme. En particulier, l’ouverture du Carnaval romain remporta un vif succès et fut bissée. Il faut surtout citer les deuxième et troisième parties de la symphonie caractéristique Harold. Le thème principal du no. 6 (Apothéose) est original, ardent et patriotique, mais ne cadre pas vraiment avec l’esprit d’une symphonie. Les morceaux chantés parurent moins satisfaisants. Dans la cavatine de l’opéra Benvenuto Cellini, chantée par Melle de Marra, seules les vocalises brillantes de la conclusion purent assurer le succès du morceau. La scène avec chœur Le vieux soldat [Le Cinq mai] dut beaucoup à l’exécution magistrale de Staudigl. L’Hymne, écrit avec talent et savoir-faire, est certes un numéro intéressant, mais il nous fait seulement exprimer de nouveau le souhait: si seulement Berlioz était allemand! Il comprendrait alors un peu mieux le sens du mot allemand intraduisible « Gemüt » [âme, cœur]. L’orchestre du Théâtre an der Wien (augmenté de membres venus de Josephstadt, et aussi, à ce qu’il m’a paru, du Théatre de l’opéra de la cour) s’est acquitté de sa tâche vaillament au delà nos espérances. Ce n’est pas peu que de se tirer de telles acrobaties dans chaque mesure. Le corps de musique du deuxième régiment d’artillerie s’est acquitté avec honneur de l’Apothéose. L’auditoire était nombreux, malgré le prix des places doublé.
M. G.
Zuschauer, 26 novembre 1845 (p. 1504)
Deuxième concert de M. Hector Berlioz,
(le 23 novembre à midi, au Théâtre an der Wien)
Il faut se féliciter que M. Berlioz ait fait suivre son premier concert, dont le succès était cependant partagé, d’un autre: il a eu la satisfaction dans cette deuxième parution devant le public de faire sur lui une impression beaucoup plus profonde. On s’était déjà accoutumé aux excentricités du compositeur, on écoutait plus volontiers et avec plus d’attention les nombreuses beautés qui illuminent ses compositions, même si, comme je l’ai souligné récemment, elles se perdent souvent bien vite dans la folle confusion des instruments. On ne peut le contester: Berlioz reste un phénomène musical intéressant, voire même étonnant. Certes, son écriture ne respecte pas toujours les normes et les conventions, il enfreint souvent avec audace toutes les règles habituelles, il lui arrive même indéniablement d’être incompréhensible et bizarre. Mais ce qu’il écrit sort de sa propre tête et n’est pas une copie ou une mosaïque d’idées empruntées à d’autres. En présence d’un écrivain de talent, même si son écriture est parfois illisible, ou si ici et là il omet un point ou une virgule, qui préférerait un calligraphe soigneux qui s’entend à recopier fidèlement les pensées d’autrui d’une main correcte? — Mais sans épiloguer plus parlons brièvement des numéros de ce deuxième concert.
La quatrième partie de la Symphonie fantastique, qui a pour titre ‘Marche au supplice’, eut un effet particulièrement foudroyant sur l’auditoire; c’est une composition où la maîtrise de Berlioz dans l’instrumentation brille de son plus vif éclat. Salué d’applaudissements enthousiastes ce morceau fut bissé. L’ouverture du Carnaval romain et la prière du soir des pélerins (de la symphonie Harold), que l’on avait toutes deux entendues récemment, eurent un vif succès, plus que l’ouverture du Roi Lear. Dans ses compositions pour voix M. Berlioz manque de bonheur: ni la scène avec chœur de l’opéra Benvenuto Cellini (dans laquelle M. Graufeld le ténor n’a pas été du tout à la hauteur de sa tâche), ni la Chanson de brigand de la Calabre, interprétée par M. Staudigl, ne purent retenir l’attention du public. La Marche marocaine de Léopold de Meyer, avec laquelle le concert prit fin, est instrumentée de manière intéressante. L’orchestre fit face à cette deuxième épreuve du feu avec une énergie digne de tous les éloges. Il faut féliciter M. Pokorny d’un ensemble instrumental si compétent. Nous pouvons maintenant attendre avec sérénité les opéras de Meyerbeer et de Richard Wagner; ce dernier, on le sait, donne aux instruments bien du fil à retordre. L’auditoire était assez nombreux.
M. G.
Allgemeine Theater Zeitung, 2 décembre 1845 (p. 1159)
Nouvelles rapides de Vienne
*** — Notre maître Strauss (père), qui connaît le célèbre compositeur Hector Berlioz depuis son séjour à Paris, a reçu de lui plusieurs de ses excellentes compositions en témoignage de son estime, entre autres la partition de l’ouverture du Carnaval romain, morceau que M. Strauss va prochainement faire exécuter en public. — Nous sommes certains que parmi tous les orchestres qui se produisent dans les salles destinées à l’agrément du public, aucun n’est en mesure de jouer cette belle mais difficile ouverture comme l’excellent orchestre de Strauss.
Zuschauer, 3 décembre 1845 (p. 1535-6)
Le troisième et dernier concert de M. Hector Berlioz,
(le 29 novembre, au Théâtre impérial et royal privé an der Wien)
Ce concert a eu lieu avec un succès décisif, et l’on a salué le grand talent du compositeur, qui bien qu’il nous semble encore déroutant est néanmoins incontestable. La ‘Marche des pélerins chantant la prière du soir’, de la symphonie Harold en Italie, a soulevé une tempête d’applaudissements; c’est une composition poétique, dont le chorale saisissant s’évapore dans le plus doux des adagio. La ballade ‘Le Chasseur danois’, chantée par Staudigl avec sa maîtrise coutumière, fut redemandée; son caractère agréable fait penser à Schubert et à C. M. von Weber, mais est d’un style noble. L’ouverture du Carnaval romain a déchaîné l’enthousiasme, et après la tempête d’applaudissements qui suivit la chute du rideau il fallut répéter le morceau à la demande générale. Même honneur pour la conclusion de l’Épisode de la vie d’un artiste. — Les créations géniales de M. Hector Berlioz sont sans aucun doute des phénomènes exceptionnels dans le domaine des arts, on pourrait même dire des comètes dans le monde fixe des planètes du firmament musical. Au départ ses compositions choquaient par leurs formes bizarres et désordonnées, mais bientôt la lumière d’une brillante originalité se fait jour à travers le sombre chaos. — Melle Treffz chanta deux romances françaises: ‘Le Jeune pâtre breton’ et le boléro ‘Zaïde’. Elle mérita bien les rappels qu’elle reçut.
Ch. B — t.
Zuschauer, 17 décembre 1845 (p. 1600)
[…] L’enthousiasme s’est emparé de nous en entendant le grand air ‘Océan, puissant monstre’ de l’opéra Obéron de C. M. von Weber. Magnifiquement instrumenté, d’une pensée profonde, et d’un caractère puissant et énergique, il nous a également donné toute latitude d’admirer le magnifique talent de la cantatrice Mme Hasselt-Barth. Rappelée plusieurs fois dans une tempête d’applaudissements cette grande artiste dramatique redonna la conclusion de cet aria si éprouvant. […]
Les honneurs mérités ont été rendus au fondateur des concerts philharmoniques, l’habile chef d’orchestre Otto Nicolai et à tout le personnel de l’orchestre du théâtre de la cour impériale et royale: ils ont joué toutes ces magnifiques compositions avec une précision exemplaire. Sa Majesté l’Empereur a honoré ce concert de sa Haute Présence. Les deux compositeurs français de séjour à Vienne, Hector Berlioz et Félicien David, ont également assisté à ce concert.
C. Mr
Der Wanderer, 5 janvier 1846 (p. 16)
Grand concert instrumental et vocal de M. Hector
Berlioz.
Avant-hier au Théâtre impérial et royal privé an der Wien.
Dans ce concert, qui a été donné à la demande générale, on a joué Roméo et Juliette, symphonie dramatique en deux parties, avec chœurs, solos de chant et prologue pour trois voix avec quatre récitatifs, composée par M. Berlioz d’après la tragédie de Shakespeare du même nom.
La première partie comporte les numéros suivants: 1. Introduction instrumentale — Combats, tumulte, apaisé par l’intervention du Prince. 2. Premier prologue. Récitatif avec petit chœur. Strophes avec chœur pour contralto solo, chanté par Melle Betty Bury. Suite du premier prologue. Récits de la Reine Mab. Scherzetto vocal pour ténor et chœur, chanté par M. Behringer (ce morceau est censé dépeindre les espiègleries nocturnes de cette fée!). Conclusion du prologue. 3. Roméo seul. Scène de tristesse, Grande fête chez Capulet. Concert et bal. — Andante et allegro pour orchestre seul. 4. Calme et solitude dans le jardin des Capulets. Les jeunes Capulets, de retour du bal, passent en chantant des réminiscences de la musique du bal. Chœur et orchestre. Scène d’amour. Adagio pour orchestre seul. 5. La Reine Mab ou la fée des songes. Très long scherzo instrumental, qui prolonge la description des faits et gestes de l’espiègle fée.
La deuxième partie comprend les numéros suivants: 1. Deuxième prologue avec petit chœur. 2. Convoi funèbre de Juliette. Chœur des Capulets avec orchestre. Pour commencer fugue instrumentale avec psalmodie du chœur sur une seule note; puis la même fugue mais pour les voix avec psalmodie dans l’orchestre. Celui qui prendrait cela pour une fugue n’a jamais entendu de fugue de sa vie. 3. Roméo au tombeau des Capulets. Adieu solennel à Juliette. Réveil de Juliette. Explosion de joie délirante, interrompue par les premiers effets du poison. Agonie et mort des deux amants. — Orchestre seul. 4. Finale. Double chœur des Capulets et des Montagus. Combat des deux familles au cimetière. Récitatif, air, prière du Père Laurence (le seul personnage du drame auquel un rôle chantant soit confié), chantée par M. Staudigl et le chœur. Serment de réconciliation des Capulets et Montagus. Le solo du serment chanté par M. Staudigl.
On voit d’après ce programme que la forme de cette symphonie diffère considérablement de tout ce que nous connaissons en ce genre jusqu’à maintenant, et c’est sans doute à cause de la prépondérance de l’élément instrumental sur celui des voix que M. Berlioz a donné à cette œuvre le nom de symphonie et non celui de cantate. Que mes honorables lecteurs ne s’attendent pas à ce que je dissèque un par un les numéros de cette œuvre ou que j’en fasse un critique approfondie; je me contenterai d’emprimer ici mon impression générale de l’ensemble et de faire une profession de foi personnelle.
Après avoir entendu l’ouverture du Carnaval romain de Berlioz dont j’ai rendu compte, je ne m’attendais nullement à trouver dans Roméo et Juliette une œuvre artistique profonde, mais une peinture sonore d’une licence certes débridée, mais remarquable du moins par l’originalité et l’imagination. Mais malgré l’attention la plus soutenue avec laquelle j’ai écouté chaque note, je n’ai trouvé dans l’ensemble rien de beaucoup mieux qu’un canevas sonore sans ordre dans les idées, sans forme, sans poésie, une broderie toujours en quête de nouveauté et de génie mais qui n’est rien qu’un informe chaos. De temps à autre quelques traits de lumière saisissants se font jour ici ou là, mais si on retirait à l’œuvre tout le clinquant excentrique de son instrumentation, parure extérieure qui charme les sens d’une manière baroque, et où le compositeur s’entend à merveille, alors il ne resterait certainement rien d’autre qu’un misérable rejeton d’une indigence grimaçante. Ce jugement est certes dur, mais il est vrai, et quiconque possède comme moi des connaissances en musique et un goût sûr, déteste le charlatanisme du plus profond de son âme et est libre de préjugés, sera certainement d’accord avec moi. Je reconnais sans hésitation que l’habile critique qu’est M. Berlioz possède aussi certainement comme compositeur beaucoup de talent, énormément de talent. Mais il n’a pas fait d’études sérieuses, et se borne à mettre sur le papier toutes les idées qui lui tournent dans la tête sans savoir qu’en faire. On ne peut s’y méprendre: son ambition est de jeter sur le tas tout ce qu’il a sous la main sans se gêner, vraisemblablement dans la seule intention de poser en brillant novateur à l’horizon musical. Mais que cela soit pour le bien de l’art est sans doute absolument exclu.
Quant à l’exécution, qui a eu lieu sous la direction du compositeur, je nomme en premier lieu l’orchestre de ce théâtre, qui une fois de plus était considérablement augmenté; à sa tête se trouvait l’excellent premier violon M. Groidl. Il s’est acquitté de sa tâche infiniment difficile d’une manière qui mérite les plus grands éloges: pour la précision comme pour l’équilibre rien n’y manquait.
Les solistes, Melle Bury et MM. Staudigl et Behringer, avaient certes peu l’occasion de briller, mais firent sans conteste tout leur possible; de même pour les membres du chœur. M. Berlioz ne sait pratiquement pas écrire pour la voix humaine: cette symphonie en donne des exemples à foison.
Très peu parmi le très nombreux auditoire pouvaient être convaincus d’avoir entendu de la musique et d’avoir été émus et saisis, même par un seul numéro. Malgré tout, la plus grande partie manifestèrent leur approbation, surtout après les coups de théâtre, et rappelèrent M. Berlioz entre chacune des parties. À la fin on répandit même dans le parterre de nombreux exemplaires d’un poème en l’honneur de M. Berlioz, dont je fais suivre une copie ci-dessous [...].
Ferdinand Luib.
Dans la capitale de la France je t’ai salué,
C’est là que j’ai appris pour la première fois à t’admirer et t’aimer.
Et ici, où on te célèbre plus que tous,
Dans la puissante Vienne je te suis resté fidèle.
Le beau Danube bleu va bientôt t’emporter
Au pays merveilleux des fougueux Magyars,
Puisses tu, quand sonnent là pour toi les cris de jubilation,
Garder aussi ton amitié pour le hongrois.
Les meilleurs sans doute, ils se sont approchés de toi avec joie
Et salué sans envie le maître étranger.
En maître poursuis avec vigueur ton œuvre créatrice pour toujours!
À ton service se pressent les esprits des mots et des sons.
Et si un jour la pâle envie s’élève contre toi
Puisse-t-elle jamais t’empêcher de marcher en avant.
« Celui qui a donné satisfaction au meilleur de son temps,
Celui là, mon ami, a vécu pour toute l’éternité! »
Suis toujours ton propre génie!
Si grand et si audacieux, qui célèbre et bouleverse tant!
Chante nous le premier amour, le premier baiser!
Les passions sauvages, comme une tempête,
Chante nous la joie du carnaval! Chante le vin!
Comme Tyrtée fait résonner les chants de liberté!
Chante nous les batailles, où dans la mélêe sanglante
Les preux héros tombent pour leur chère patrie.
H……. ) [Hofzinser]
) Ce poème nous a paru trop bien venu pour ne pas mériter publication ici. La rédaction.
Allgemeine Theater Zeitung, 5-6 janvier 1846 (p. 15-16)
La symphonie Roméo et Juliette par
Hector Berlioz
(Première exécution au Théâtre an der Wien le 2 janvier 1846)
Un caprice musical et critique par Wießt.
Hector Berlioz a dû supporter toutes les souffrances et joies, grandes et petites, d’un homme célèbre à Vienne. En marque d’affection et d’honneur les uns l’ont honoré avec un bâton de chef en argent, alors que les autres s’escriment autour de lui avec la massue pesante d’une critique mesquine et impitoyable. S’y ajoute le petit David, qui certes n’a pu atteindre ce Goliath de la musique d’une pierre mortelle à son noble front, mais a cependant entassé tellement de sable à ses pieds qu’il s’en trouve un peu entravé dans sa marche triomphale à Vienne. Et dans son dernier concert le bon Hector Berlioz a dû même supporter un poème tombé du ciel! Si vos amis vous traitent ainsi, que faut-il attendre de vos ennemis? Dans tous les cercles de critique musicale à Vienne Berlioz n’a trouvé qu’excès dans la louange et le blâme, mais nulle part le juste milieu de l’appréciation, l’estime calme et raisonnée de ses dons si riches. Mais cela démontre également le caractère remarquable de cet homme! Partout où il se présente avec sa musique, on ne trouve que combats et disputes, amour et haine. Berlioz est ainsi une petite miette de levain spirituel qui réunit tous les différents sentiments dans le processus de fermentation. Il faut qu’il y ait aussi des personnes de cette sorte dans l’histoire de l’art. Ce Berlioz est comme un tremblement de terre musical qui bouleverse la stagnation de notre actuel goût en musique et surtout secoue pour son plus grand bien la paresse de notre royaume de musiciens ici sur terre. Avec ses tendances musicales Hector Berlioz demande à ses auditeurs parfois énormément de persévérance, mais en revanche il encaisse avec un stoïcisme d’artiste tout ce qu’on lui envoie: critique haineuse et éloge débordant, bâtons d’argent, banquets publics, poèmes en vers et en prose, vivats et sifflements de serpent. Son esprit est d’une nature qui ressemble à une épée d’acier de Damas: plus on la polit, plus elle fait apparaître les teintes bleu profond d’un ciel pur. Mais plus on essaie de la forcer et de la contraindre, même avec les poids de Cyclope de la critique, plus elle devient élastique et vive, plus elle devient acérée, plus elle jette de brillantes étincelles!
Dans les concerts qu’il a donné jusqu’ici à Vienne et dans les compositions que nous avons déjà entendu, Berlioz n’a fait que préluder sur l’orgue puissant de son talent. Avec la symphonie Roméo et Juliette il a voulu donner à Vienne une gigantesque cadence, mais cadence malheureusement qui représente la chute d’un grand esprit musical, une chute complète de Titan! Je tiens la symphonie Roméo et Juliette de Berlioz pour l’aberration d’un grand esprit de musicien créateur, mais une aberration qui pour ceux doués d’une éducation musicale supérieure est d’un plus grand intérêt psychologique que le train-train quotidien, correct et selon les règles, de nos petits compositeurs sérieux. Ce que Hector Berlioz nous offre dans cette symphonie dramatique ne relève plus désormais de l’inspiration ou de l’expression poétique des sentiments. Toute l’histoire de Roméo et Juliette, ce bref rêve de bonheur et d’amour de deux cœurs, voilà l’effusion d’une noble inspiration poétique. Mais dans cette symphonie Roméo et Juliette de Berlioz où sont les fleurs épanouies, le parfum et les couleurs enchanteresses de la poésie de Shakespeare? Quel compensation offre la seule scène du balcon, avec ces milliers de notes entêtées? Je ne parle pas ici de l’absurdité de la forme de cette symphonie, des prologues, des récitatifs à plusieurs voix et en quatre parties, des fugues instrumentales avec psalmodies du chœur sur une seule note, qui se retourne en fugue vocale avec psalmodie dans l’orchestre. Je ne parle pas des renversements et bouleversements de formes depuis longtemps établies, parce que nous sommes habitués avec Berlioz à cette manière de franchir toute limite pour donner tête baissée dans l’extravagance. Mais presque d’un bout à l’autre Berlioz nous présente en musique cette noble tragédie d’amour d’une manière pour ainsi dire didactique. Il nous fait un commentaire comme s’il s’agissait d’un vieux texte classique. Il nous promène comme un guide à travers ce sombre labyrinthe des destinées tragiques humaines, dans ces ateliers mystérieux des pensées, sentiments et espoirs, et nous interpelle avec ses explications: « Voyez vous, mes très honorés auditeurs, ceci représente le combat et les luttes, ceci les joies de l’amour, ceci la tristesse, ceci l’explosion de joie délirante interrompue par les premiers effets du poison, ceci l’angoisse et la mort des deux amants; tout cela je le décris par les sons ». D’un coup de main de son froid scepticisme de musicien et avec toutes les astuces de son instrumentation il essuie tout le pollen des ailes d’un papillon; aucun cœur sensible à la poésie ne lui en saura gré. Et cependant aucune objectivité dans le traitement musical du sujet qu’il a choisi! Ce ne sont pas Roméo et Juliette dans les joies et les tourments de l’amour, ce ne sont pas les Capulets et Montagus de la légende, ce n’est pas le doux ciel d’Italie qui incite à l’amour, ce n’est pas le soupir de la tombe sorti de la voûte ancestrale des Capulets. Mais c’est encore et toujours l’ingénieux critique et chercheur musical Hector Berlioz dans son atelier à penser, dans son laboratoire de chimie musicale, qui examine l’anatomie de Roméo et Juliette, qui fait une analyse chimique de la fée Mab et de ses rayons de lune, qui distille ses innombrables instruments pour produire des effets merveilleux et inouïs jusqu’alors. Dans toute cette symphonie Roméo et Juliette se déploie le clair-obscur du cabinet d’études de Hector Berlioz, de ce Faust du monde des compositeurs qui médite et aspire à l’infini. Je me serais attendu avec Hector Berlioz à une caractérisation musicale plus fine et plus véridique. Quant aux chœurs des Capulets et des Montagus, ils ont tous exactement la même couleur musicale. Même le père Laurence, qui représente dans l’ensemble l’élément réconciliateur, me semble dans son comportement manquer de douceur, de charité chrétienne, de pardon divin. Sa caractérisation musicale est empreinte de trop de fanatisme pieux, de vengeance humaine, de violence dans ses appels aux sentiments. Même le chœur qui conclut l’œuvre, où les deux partis des Capulets et Montagus se rapprochent, me semble d’une pompe excessivement théâtrale, et d’un style musical qui vise trop à l’effet par le bruit. Quand des âmes brisées et pleines de remords, qui s’inclinent devant la puissance divine et chantent des paroles comme les suivantes:
« Oui, nous jurons par l’auguste symbole,
Sur le corps de la fille et sur le corps du fils,
Par le bois douloureux qui console,
Nous jurons tous par le saint crucifix! »
je ne sais si c’est avec de telles cannonades sonores qu’elles peuvent exprimer la douceur accrue de leurs sentiments, comme c’est le cas ici.
Cette symphonie d’Hector Berlioz contient certes, et surtout dans ses parties instrumentales, beaucoup de détails frappants et magnifiques, et qui saurait le nier? À mon avis, un homme doué d’un talent véritable est capable, même dans ses paroxysmes de fièvre, d’avoir des rêves fantastiques; et cependant une âme plus noble se fait jour et brille partout de ses rayons. De même dans la confusion de sentiments de sa symphonie Roméo et Juliette Hector Berlioz n’est jamais plat, banal ou d’un baroque de tous les jours. Même dans ses errements il reste toujours fort comme un aigle, il vole si haut parmi les nuages de sa fantaisie qu’aucun œil humain ne peut plus le distinguer. Ou s’il plonge si profondément dans l’océan de ses réflexions musico-philosophiques, alors même un mathématicien allemand ne peut le suivre dans ces nièmes puissances des profondeurs. Mais même dans ses errements il n’est jamais commun, terre-à-terre ou étroit d’esprit. Dans ses points forts comme dans ses points faibles Berlioz reste un homme extraordinaire, un grand tacticien de la musique, qui même dans les batailles qu’il perd sait, aux yeux des meilleurs connaisseurs de l’art, sauver l’honneur de l’artiste créateur. C’est ainsi que dans la première partie de cette œuvre de Berlioz (l’Andante et Allegro pour orchestre seul, la scène d’amour, l’Adagio pour orchestre seul, le chant des jeunes Capulets revenant de la fête) on trouve de véritables splendeurs musicales. Mais malheureusement cette symphonie Roméo et Juliette ressemble aux fabuleuses statues de pierre, avec leurs figures de femmes au beau sourire et aux formes voluptueuses, mais qui par derrière se terminent en une hideuse queue en écailles de poisson. C’est dans la deuxième partie que la force créatrice du compositeur perd son souffle, car ici, si j’ose dire, la loi musicale violée se venge sur cet esprit téméraire, et nous démontre à l’envi, dans ce débordement de joie interrompu par les premiers effets du poison, les limites à ne pas franchir dans la peinture des effets en musique instrumentale. La Reine Mab ou la fée des songes — ce scherzo instrumental dont les caprices font sans doute perler des gouttes de sang au front des musiciens qui l’exécutent, et qui dans l’ensemble de la production pour orchestre connue jusqu’à ce jour est peut-être le pont des ânes évoqué par Pythagore — cette épreuve fut cependant soutenue victorieusement par cet excellent orchestre du Théâtre an der Wien, magistralement exercé. C’est certainement de ce point de vue un honneur insigne, car Hector Berlioz n’a pas eu le courage d’imposer ce gigantesque fardeau de la musique orchestrale à aucun autre orchestre d’Allemagne, et pas même à son grand orchestre parisien. Je dois avouer franchement qu’en suivant attentivement cette étrange sorcellerie musicale, en écoutant avec angoisse ce cliquetis de sonorités, ces grincements, miaulements et sifflements fracassants, j’ai éprouvé toutes sortes de crispations nerveuses. Ces effets instrumentaux métaphysiques sont sans doute extraordinaires, mais ils ne sont ni beaux, ni agréables, ni exaltants: la mission de la musique est ailleurs. En matière de goût je ne suis ni un pédant, ni un partisan borné de tout ce qui est allemand en musique, et mes points de vue artistiques ne sont pas terre-à-terre, mais je pose une question. Si un génie allemand, par exemple un Mendelssohn-Bartholdy, devait infliger au public allemand une plaisanterie instrumentale comme cette Reine Mab, ce public accepterait-il une pareille impertinence avec la même résignation polie qu’il manifeste pour les grands noms de l’art étranger? Les Français ont raison d’envoyer désormais leurs légions de compositeurs au delà du Rhin, car ils trouvent dans l’actuel esprit allemand assez de sympathies dans le goût, et même nos couronnes de laurier, nos billets de banque et pièces d’or ne sont pas à mépriser. Mais ces célèbres compositeurs français nous ont cependant précipité dans une étrange époque musicale, époque où l’on devrait plutôt apprendre le turc et l’arabe pour pouvoir goûter pleinement une ode symphonique, et où il faudrait connaître la métaphysique de Hegel du bout des doigts pour atteindre une compréhension plus exacte d’une pareille symphonie dramatique.
Du point de vue artistique l’exécution fut belle et animée du meilleur bon vouloir. Sous la direction attentive de Groidl l’orchestre fit preuve dans cette musique infiniment complexe d’une maîtrise exemplaire. Ici et là les chœurs se montrèrent hésitants, mais dans l’ensemble maintinrent une cohésion satisfaisante. Mlle Bury, l’une de nos plus habiles cantatrices, chanta son difficile solo de contralto avec une intonation pure et le plus profond sentiment lyrique. Maître Staudigl sauva le final de la symphonie avec son chant vigoureux, émouvant et d’une expression si juste.
Le très nombreux auditoire présent témoigna les plus grandes marques d’honneur à ce compositeur si doué qui allait quitter Vienne. Avec un tact parfait il sut distinguer dans cette composition ce qui est beau, clair et raffiné de ce qui est outré et à mettre au rebut. Aux premiers il fit un accueil enthousiaste, aux seconds il manifesta l’indulgence qui est le propre des bonnes manières. Hector Berlioz fut rappelé plusieurs fois sous une tempête d’applaudissements.
La soirée musicale fut honorée de la présence de leurs Altesses Impériales Sa Sérénité l’Archiduc Franz Karl et Leurs Sérénités l’Archiduchesse Sophie et Hildegarde.
Der Wanderer, 6 janvier 1846 (p. 20)
— Hector Berlioz va bientôt se rendre la semaine prochaine à Prague, où des préparatifs sont en cours pour l’exécution de ses compositions. De là il se rendra à Pesth, d’où il reviendra à Vienne pour organiser un grand concert instrumental dans la grande salle impériale et royale de la Redoute au bénéfice de plusieurs fondations charitables.
C — o.
Allgemeine Theater Zeitung, 6 janvier 1846
Chronique de Vienne
*** — Avant-hier, vendredi au soir, M. Ernst a organisé une soirée en l’honneur de M. Berlioz, soirée sous tous les rapports aussi intéressante qu’agréable. Après le concert donné le même soir par M. Berlioz au Théâtre an der Wien les invités se sont rendus chez M. Ernst. Parmi ceux présents on remarquait à part M. Berlioz, MM. Saphir, le Baron Lannoy, Dreyschock, Seymour Schiff, Fischof, le Dr Becher, le Dr Leo Herz, Mielichhofer, Francoletti et de nombreux autres amis des arts. Après le dîner l’excellent pianiste M. Seymour Schiff a improvisé simultanément sur trois thèmes présentés à lui par MM. Berlioz, Ernst et Becher; sa virtuosité vraiment étonnante lui valut une tempête d’applaudissements de la part de tout l’auditoire. Ensuite Ernst divertit l’assemblée en exécutant un Nocturne pour violon et piano composé par M. Schiff, et puis à la demande de M. Berlioz il joua son Élégie si magnifiquement que tous les auditeurs étaient visiblement émus par la haute poésie et la tristesse de son exécution. Mais l’émotion ne devait pas être le mot d’ordre de la soirée, et Ernst, se rendant à la demande de tous, fit revenir la bonne humeur générale par son « Carnaval de Venise » enchanteur. Il souleva l’enthousiasme de ses invités à tel point qu’il ne put résister à leur demande insistante de donner encore de son mieux, et M. Berlioz ayant proposé la fantaisie sur Othello, Ernst en donna une exécution exquise. La présence de M. Bosco fut une source particulière de délices pour l’auditoire: ce magicien au mille tours par excellence accomplit les prouesses les plus étonnantes, auxquelles l’amateur M. Hofzinser si doué en ce genre en ajouta quelques unes de plus.
Allgemeine Theater Zeitung, 10 janvier 1846 (p. 36)
Nouvelles rapides de Vienne
*** — Avant son départ pour Prague Hector Berlioz va donner demain dimanche 11 janvier un grand concert dans la grande salle impériale et royale de la Redoute; y prendront part également en témoignage particulier de soutien MM. M. Ernst, J. Pischek et Seymour-Schiff. Le concert en deux parties comprendra dix numéros et commencera à midi et demi. Sauf pour un Rondo par Ernst, un morceau vocal par Esser et une Fantaisie de Seymour-Schiff, toutes les compositions sont de H. Berlioz. L’orchestre du Théâtre impérial et royal an der Wien, assez augmenté, sera sous la direction personnelle de Hector Berlioz.
*** — La petite pianiste Sophie Bohrer, qui par son talent véritablement étonnant s’est acquise la réputation d’une artiste de première force, arrive aujourd’hui à Vienne pour y organiser plusieurs concerts.
Allgemeine Theater Zeitung, 12 janvier 1846
Nouvelles rapides de Vienne
*** — Mardi 13 janvier Hector Berlioz se rend à Prague.
Allgemeine Theater Zeitung, 13 janvier 1846 (p. 43)
Hector Berlioz — Concert d’adieu
(dans la grande salle impériale et royale de la Redoute. Dimanche 11 janvier 1846.)
Avant de quitter Vienne Hector Berlioz nous a offert encore une grande joie musicale: dans son concert d’adieu il nous a présenté un choix de ses compositions les plus étendues et nous a fait entendre le magnifique chanteur Pischek ainsi que Ernst au violon élégiaque et spirituel. Mais c’est vers Pischek, le chanteur de l’opéra de la cour royale de Württemberg, que s’est dirigé l’intérêt le plus vif d’un auditoire très nombreux et distingué. Devancé par une réputation considérable Pischek l’a dépassé de beaucoup aujourd’hui grâce à son exécution magistrale des mélodies, la splendeur de sa noble voix de bariton et sa maîtrise complète de son art. […] [Suit un long éloge de Pischek, puis d’Ernst] […] Sous la direction de Berlioz, et exécuté avec précision et finesse par l’orchestre du Théâtre an der Wien, nous avons entendu l’ouverture du Carnaval romain (elle fut bissée), la Scène d’amour et la Reine Mab de la symphonie Roméo et Juliette, et dans la deuxième partie la symphonie caractéristique Harold en Italie, dans laquelle Ernst joua la partie d’alto solo en artiste consommé. Toutes les compositions de Berlioz furent reçues avec des acclamations unanimes, et à son départ le compositeur a reçu à l’envi toutes les marques d’appréciation que le public raffiné et musicien de Vienne a su lui donner à toute occasion.
Wießt.
Allgemeine Theater Zeitung, 24 janvier 1846 (Reproduction de l’original)
Nouvelles musicales
— (Börne sur Berlioz) Dans ses lettres de Paris Börne a écrit ce qui suit sur Berlioz: « Ici le gouvernement décerne chaque année des prix pour les meilleurs œuvres de peinture, sculpture, lithographie, musique et tous les autres arts. Le premier prix accorde au vainqueur une pension de 8,000 francs pour cinq ans et l’obligation de passer ce temps à Rome pour poursuivre son éducation. Il doit sembler comique à nous autres Allemands d’être obligé de vivre à Rome, nous qui préférons le séjour de Rome à celui de Berlin ou de Carlsruhe. Mais pour les Français l’obligation semble souvent une contrainte, car ils n’aiment pas quitter Paris. C’est ainsi que la semaine dernière un jeune homme du nom de Berlioz a remporté le premier prix de composition musicale [en juillet 1830]. Je le connais, il me plaît, et a tout l’air d’un génie. Une telle chose se passerait-elle ici? Pensez à Beethoven. »
— — J’ai assisté dimanche à un concert au Conservatoire [le 5 décembre 1830]. Un jeune compositeur du nom de Berlioz, dont je vous ai déjà parlé, fit jouer de ses compositions. Voilà un vrai romantique! Dans ce Français on découvre tout un Beethoven. Mais il est fou à lier. Tout m’a beaucoup plu. Une symphonie étonnante, un drame en cinq actes, et bien entendu de la musique purement instrumentale. Mais pour la compréhension il a fait imprimer, comme pour un opéra, un texte qui explique le sujet de l’action. C’est d’une ironie débordante, telle qu’aucun poète n’a encore exprimé en paroles, et d’une irrévérence totale. Le compositeur raconte là l’histoire de sa propre jeunesse. Il s’empoisonne avec de l’opium et rêve qu’il a tué celle qu’il aime et est condamné à mort. Il assiste à sa propre exécution. On entend alors une marche incomparable comme je n’en ai jamais entendu. Dans la dernière partie il imagine le Blocksberg [dans les montagnes du Harz], tout comme dans Faust, et tout se comprend facilement. Son aimée, qui s’est montrée indigne de lui, apparaît aussi dans la Nuit de Walpurgnis, mais pas comme Marguerite dans Faust, plutôt sauvage comme une sorcière.
(Frkf. Conv.)
Annonces de concerts
(Concert de bienfaisance) Dimanche 1er février aura lieu dans la grande salle impériale et royale de la Redoute un grand concert de M. Hector Berlioz de retour de Prague, pour le bénéfice du premier hôpital pour enfants à Schottenfelde qui est placé sous la haute protection de Sa Majesté l’Impératrice. Le programme comprend les numéros intéressants suivants: Première partie: 1.) Ouverture du Carnaval romain. 2.) Prologue écrit pour ce concert par M. Fridrich Kaiser et prononcé par M. Ludwig Löwe, acteur et régisseur à la cour impériale et royale. 3.) Les quatre premières parties de la Symphonie fantastique: 1.) Rêveries — passions. 2.) Un bal. 3.) Scène aux champs. 4.) Marche au supplice. Deuxième partie: 1.) Mélodie. 2.) Marche des pélerins chantant la prière du soir. Extrait de la symphonie Harold en Italie. 3.) Mélodie. 4.) Tristesse — Concert et bal — Grande fête chez Capulet. Scènes extraites de la symphonie dramatique Roméo et Juliette. — À l’exception des mélodies toutes les compositions sont de M. Hector Berlioz. L’orchestre du Théâtre impérial et royal an der Wien, assez augmenté, sera sous la direction personnelle de M. Hector Berlioz. — Places réservées au parterre: 1 florin 30 couronnes, au balcon: 2 florins. Places non réservées au parterre et au balcon: 1 florin. Les billets sont disponibles au magasin d’art et de musique de H. F. Müller au numéro 1149, Kohlmarkt.
Allgemeine Theater Zeitung, 28 janvier 1846
Chronique musicale
(Pischek à Vienne) — Quand ce roi des baritons s’est présenté pour la première fois devant nous au concert d’adieu de Hector Berlioz, le 11 janvier dans la grande salle impériale et royale de la Redoute, il a remporté et à juste titre le prix du concert. Une pareille voix, une exécution si accomplie, cette diction si magnifique qui ne nous laissa échapper pas la moindre syllabe, cette faculté d’enfler et de diminuer le son, et que sais-je d’autre, pauvre amateur que je suis! bref, on n’avait encore jamais entendu rien de pareil à Vienne. Pischek a chanté la ballade de Uhland « La malédiction du chanteur », composition en soi peu remarquable, mais chantée par Pischek d’une telle manière qu’elle ne pouvait manquer d’avoir le plus grand effet.
Allgemeine Theater Zeitung, 26 mars 1846
*** — De sa main de maître Kriehuber s’est récemment occupé d’un grand tableau. Il comprendra cinq personnes en pleine figure et disposés en groupe artistique. Au centre Liszt au piano, Czerny penché sur son siège, à l’arrière plan Berlioz et Ernst, et devant le tableau — Kriehuber, dont depuis longtemps on réclame avant tant d’ardeur le portrait, et qui nous donne maintenant lui-même cette joie. Ce tableau intéressant sera disponible dans le magasin de musique de Haslinger.
Page Berlioz et la presse viennoise créée le 1er juin 2006.
© Michel Austin et Monir Tayeb.
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