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En 1845, en rapport avec une série de concerts qu’il donne au Cirque Olympique à Paris, Berlioz instrumente deux marches pour piano du compositeur autrichien Léopold de Meyer (1816-1883), la Marche Marocaine et la Marche d’Isly. La version pour orchestre de la Marche Marocaine (H 105), publiée du vivant de Berlioz, a été reprise dans la New Berlioz Edition (tome 22b), alors que celle de la Marche d’Isly ne fut jamais publiée et on la présente souvent comme une œuvre totalement perdue. Il existe cependant à la bibliothèque de l’Opéra de Paris un manuscrit d’une version pour orchestre de cette marche, de la main de Pierre-Aimable Rocquemont, copiste qui travaillait pour Berlioz. Cette version n’a pas été reprise dans la NBE, mais certains indices portent à croire qu’il pourrait s’agir en fait de l’instrumentation de Berlioz. Sur toutes ces questions le lecteur consultera les remarques de Pierre-René Serna sur une page séparée. Nous présentons cette marche ici en grande partition, et à notre connaissance c’est la première fois qu’elle a été publiée. En outre une transcription de la version originale pour piano a été ajoutée.
Le manuscrit de la version pour orchestre contient des indications supplémentaires, à l’encre et au crayon, de mains différentes de celle de Rocquemont; certaines de ces indications pourraient être de Meyer et d’autres de Berlioz (selon Holoman, Catalogue p. 274). Ces indications sont de deux sortes – notes ajoutées ici et là à différentes parties, et deux lignes de musique supplémentaire en bas de page dans presque tout le manuscrit (pages 3-4, 5-15, 17-21, 27-41 de l’original). Ces deux lignes supplémentaires ne comportent pas d’indication d’instrument, mais il doit sans doute s’agir de parties de tambour (on voit mal ce qu’elles pourraient être autrement, puisque le manuscrit original comporte déjà des parties de triangle, cymbales et grosse caisse). La même main a ajouté des notes à la partie de triangle aux pages 27-31, alors que dans l’original le triangle reste silencieux jusqu’aux deux dernières mesures de la page 31 (mesure 195). L’écriture de ces ajouts n’est pas celle de Berlioz, et d’un point de vue stylistique il semble fort peu probable que ces parties de tambour (?) et de triangle soient de Berlioz, qui utilise toujours les instruments à percussion avec beaucoup de retenue. Elles n’ont donc pas été reprises dans la transcription présentée ici, qui s’attache à reproduire le manuscrit original de Rocquemont et non ces parties supplémentaires.
Le manuscrit de Rocquemont, soigneusement écrit dans l’ensemble, comporte cependant quelques imperfections qu’il a été nécessaire de rectifier.
(a) Il y a un certain nombre d’omissions qu’il a fallu corriger. Les principales sont:
Mesure 50, trombones: ajouter la mention unis
Mesures 59-63, premiers violons: tout le passage doit sans doute être joué en octaves, comme au début et à la fin
Mesure 61, deuxième temps, cors en la: le premier cor doit sans doute doubler le second
Mesures 62-63, cors en la: ajouter la mention unis
Mesure 74, deuxième temps, premiers violons: sans doute joué en octaves
Mesures 86 ou 88: on s’attendrait à un diminuendo ici pour mener au p de la mesure 92
Mesure 92, cordes: la nuance p manque
Mesure 105, cordes: la mention arco manque
Mesure 203, flûtes, hautbois, clarinettes, bassons: probablement p après le premier temps (cf. mesure 195, et la nuance mf à la mesure 208 puis f à la mesure 210)
Mesure 204, cors, triangle, cymbales, grosse caisse, altos, violoncelles, contrebasses: probablement p comme il est indiqué pour les premiers et seconds violons
Mesure 211, triangle: la partie semble manquer; nous avons restitué à partir des cymbales et de la grosse caisse
Mesures 230-1, 245-6, cors en ré et cors en la: les parties semblent avoir été omises par erreur (cf. les mesures 226-7); les notes manquantes ont été ajoutées après coup au crayon, peut-être par Berlioz lui-même
Mesure 240, cors en la: la nuance p manque
(b) Il y a quelques erreurs probables ou certaines, notamment:
Mesure 21, cors en la: le dièse est superflu
Mesure 43, 2ème cor en ré: la première note est sans doute un ut plutôt qu’un mi
Mesures 50, 54, 58, premier temps, timbales: on peut se demander si le rythme est exact ou s’il devrait reproduire celui des mesures avant et après
Mesure 112, 1ère clarinette: il faut un dièse au mi; 1er basson: il faut un dièse au sol; 2ème trombone: il faut un dièse au sol
Mesure 131, basson 1: sans doute un ré plutôt qu’un fa dièse (cf. les mesures 139, 173)
Mesure 251, premier temps, bassons: sans doute si bémol plutôt que la, puisque la partie de basson suit ici les violoncelles, et seules les contrebasses jouent la pédale la à l’octave en dessous
Mesures 258 à la fin (dernière page du manuscrit): la partie de triangle recopie par erreur celle des timbales; nous avons restitué le rythme à partir des cymbales et de la grosse caisse
On ne peut certes prouver que l’instrumentation soit de Berlioz (ni d’ailleurs démontrer le contraire), mais il est au moins plausible que Berlioz en soit effectivement l’auteur. Outre les considérations générales avancées par Pierre-René Serna on peut faire valoir certaines caractéristiques dans l’instrumentation. L’écriture pour orchestre utilise les ressources disponibles avec retenue, pour observer le principe du crescendo cher à Berlioz. Au départ les bois et cors seuls, puis discrètement entrent successivement (mesure 13 et suivantes) les altos, seconds violons et premiers violons; les cordes basses n’interviennent qu’à partir de la mesure 31. Les trompettes et cornets font leur entrée à la mesure 36, mais les trombones et l’ophicléide n’entrent qu’à la mesure 50. L’écriture des instruments à percussion semble particulièrement caractéristique. Les timbales entrent discrètement à la mesure 28 avec l’indication très berliozienne ‘baguettes d’éponge’. La grosse caisse fait elle aussi une entrée discrète, sans les cymbales (souligné dans la partition), et sur le temps faible (mesures 166-73). La batterie toute entière n’est utilisée qu’à partir de la mesure 195, et ici encore on remarquera l’accentuation du temps faible par les cymbales et la grosse caisse aux mesures 216-22. On peut aussi souligner l’emploi du pizzicato aux mesures 124-7, 132-5 et 166-9. Autant de traits qui pourraient faire penser à Berlioz.
Cette version pour orchestre de la Marche d’Isly fut exécutée pour la première fois depuis 1846 dans deux concerts donnés à l’Opéra-Comique à Paris le 31 janvier et le 2 février 2009 par Orchestre OstinatO sous la direction de Jean-Luc Tingaud, et utilisant une grande partition et du matériel d’orchestre créées spécialement à cette occasion par Michel Austin. Elle a été exécutée de nouveau, utilisant le même matériel, au Festival Berlioz à La Côte Saint-André le 28 août 2011 par l’Orchestre Européen Hector Berlioz sous la direction de François-Xavier Roth.
II. La version originale pour piano
Berlioz a vraisemblablement rédigé sa version pour orchestre à partir de l’édition imprimée de l’original pour piano, publié par J. Meissonier à Paris en 1845; le morceau porte la dédicace ‘à Monsieur le Maréchal BUGEAUD, Duc d’Isly’. La transcription fournie ci-dessous a été établie à partir d’un exemplaire à la Bibliothèque Nationale à Paris (numéro de catalogue Vm 12 20324).
Il est instructif à plusieurs égards de comparer la version pour piano avec la version pour orchestre. La version pour piano est écrite en ré bémol, alors que la version pour orchestre est en ré, tonalité généralement plus praticable à l’orchestre, notamment pour les cordes. Coïncidence ou non, il en est de même pour le morceau pour piano de Weber, l’Invitation à la valse, orchestré par Berlioz pour des représentations de Der Freischütz à l’Opéra en 1841 (on trouvera la version pour piano ainsi que l’instrumentation de Berlioz sur ce site). En comparant la version pour piano de la marche de Meyer avec son instrumentation on peut constater que l’auteur de l’instrumentation a su mettre en valeur l’original grâce à quelques additions discrètes mais efficaces, q donnent à l’œuvre plus de couleur, de variété et de caractère. Voir en particulier les mesures 13-20 (altos, seconds violons), 36 (trompettes et cornets à pistons), 50-7 (trombones et ophicléide), 157-9, 161-3, 187-9, 191-3 (trombones), 204-10 (trompettes, cornets à pistons, trombones, ophicléide). On a évoqué ci-dessus l’écriture efficace des instruments à percussion et des timbales qui donnent plus de relief au rythme, souvent d’une manière inattendue. De façon générale la version pour orchestre montre une plus grande variété dans les nuances que la version pour piano. L’hypothèse que l’instrumentation serait effectivement de Berlioz lui-même s’en trouve sans doute renforcée, sans que l’on puisse toutefois apporter de preuve décisive.
La version pour piano est reproduite ici plus ou moins telle qu’elle se trouve dans l’édition de 1845, à l’exception de quelques erreurs évidentes qui ont été corrigées (mesure 6: main droite, la dernière croche en dessus devrait être un fa non un mi bécarre; mesure 107: main droite, deuxième temps, le sol devrait être un bécarre et non un bémol; mesure 205: main droite, la croche pointée en dessus devrait être un la bémol et non un ut; mesure 226: main droite, la dernière croche devrait être un mi bémol et non un fa). On n’a pas cherché à systématiser les nuances et articulations, qui sont présentées dans la partition imprimée avec une certaine négligence, comme le lecteur pourra le constater (la main gauche, par exemple, ne comporte pratiquement pas d’articulations).
Ni la version imprimée pour piano ni le manuscrit de la version pour orchestre necontiennent d’indication de métronome; dans cette transcription le mouvement a été fixé à noire = 112.
Marche d’Isly, version pour orchestre (durée 4'46")
— Partition en grand format
(fichier créé le 16.06.2007)
— Partition en format pdfMarche Triomphale d’Isly, version originale pour le piano (durée 4'46")
— Partition en grand format
(fichier créé le 25.06.2008)
— Partition en format pdf
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Cette page créée le 16 juin 2007, revue le 25 juin 2008 et le 1er avril 2022.