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Berlioz à Meylan

La maison de Madame Gautier, grand-mère d’Estelle Fornier

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    Beaucoup plus haut dans Meylan que la maison de Nicolas Marmion et l’église Saint-Victor se trouvait la maison de Madame Gautier. Berlioz la décrit dans son récit de sa première rencontre avec Estelle Dubœuf, plus tard Estelle Fornier (Mémoires, chapitre 3):

Dans la partie haute de Meylan, tout contre l’escarpement de la montagne, est une maisonnette blanche, entourée de vignes et de jardins, d’où la vue plonge sur la vallée de l’Isère; derrière sont quelques collines rocailleuses, une vieille tour en ruine, des bois, et l’imposante masse d’un rocher immense, le Saint-Eynard; une retraite évidemment prédestinée à être le théâtre d’un roman. C’était la villa de madame Gautier, qui l’habitait pendant la belle saison avec ses deux nièces, dont la plus jeune s’appelait Estelle. Ce nom seul eût suffi pour attirer mon attention; il m’était cher déjà à cause de la pastorale de Florian (Estelle et Némorin) dérobée par moi dans la bibliothèque de mon père, et lue en cachette, cent et cent fois. Mais celle qui le portait avait dix-huit ans, une taille élégante et élevée, de grands yeux armés en guerre, bien que toujours souriants, une chevelure digne d’orner le casque d’Achille, des pieds, je ne dirai pas d’Andalouse, mais de Parisienne pur sang, et des... brodequins roses! ... Je n’en avais jamais vu... Vous riez!... Eh bien, j’ai oublié la couleur de ses cheveux (que je crois noirs pourtant) et je ne puis penser à elle sans voir scintiller, en même temps que les grands yeux, les petits brodequins roses.

En l’apercevant, je sentis une secousse électrique; je l’aimai, c’est tout dire. Le vertige me prit et ne me quitta plus. Je n’espérais rien... je ne savais rien.... mais j’éprouvais au cœur une douleur profonde. Je passais des nuits entières à me désoler. Je me cachais le jour dans les champs de maïs, dans les réduits secrets du verger de mon grand-père, comme un oiseau blessé, muet et souffrant. La jalousie, cette pâle compagne des plus pures amours, me torturait au moindre mot adressé par un homme à mon idole. J’entends encore en frémissant le bruit des éperons de mon oncle quand il dansait avec elle! Tout le monde, à la maison et dans le voisinage, s’amusait de ce pauvre enfant de douze ans brisé par un amour au-dessus de ses forces. Elle-même qui, la première, avait tout deviné, s’en est fort divertie, j’en suis sûr. […]

Non, le temps n’y peut rien... d’autres amours n’effacent point la trace du premier...

J’avais treize ans, quand je cessai de la voir...

    Berlioz avait trente ans quand il revit Estelle brièvement, juste à son retour d’Italie (1832). À cette occasion sa mère lui avait malicieusement demandé de remettre une lettre à Madame Fornier au bureau du courrier de la diligence lors de son passage en provenance de Vienne. Il ne savait pas que la destinataire était en fait Estelle Dubœuf (Mémoires, chapitre 3):

À [l’arrivée de la diligence], je m’approche la lettre à la main, demandant Mme F*******. « C’est moi, monsieur! » me dit une voix. C’est elle! me dit un coup sourd qui retentit dans ma poitrine. Estelle!... encore belle!... Estelle!... la nymphe, l’hamadryade du Saint-Eynard, des vertes collines de Meylan! C’est son port de tête, sa splendide chevelure, et son sourire éblouissant!... mais les petits brodequins roses, hélas! où étaient-ils?... On prit la lettre. Me reconnut-on? je ne sais. La voiture repartit; je rentrai tout vibrant de la commotion [...] »

    Berlioz retourna à Meylan en 1848 pendant une visite à La Côte Saint-André après la mort de son père, « pour y pleurer avec mes sœurs dans la maison paternelle ». Avant de rentrer à Paris il voulait aussi revoir Grenoble et la maison de son grand-père maternel à Meylan. Les Mémoires racontent longuement cet épisode (chapitre 58):

Je voulus (singulière soif de douleurs) saluer le théâtre de mes premières agitations passionnées; je voulus enfin embrasser mon passé tout entier, m’enivrer de souvenirs, quelle que dût en être la navrante tristesse. Mes sœurs, comprenant que je devais désirer être seul dans ce pieux pèlerinage, où allaient naître pour moi tant d’impressions qui ont leur pudeur et redoutent même les plus chers témoins, restèrent à La Côte….

Arrivé à Meylan, devant l’habitation de mon grand-père, vendue depuis peu à l’un de ses fermiers, j’ouvre la porte, j’entre et n’y trouve personne. Le nouveau propriétaire s’était installé dans une récente construction, à l’autre extrémité du jardin.
Je m’introduis alors dans le salon, où se groupait autrefois la famille, quand nous venions passer quelques semaines auprès de notre aïeul. Le salon était toujours dans le même état, avec ses peintures grotesques et ses fantastiques oiseaux en papier de toutes couleurs collés contre le mur.

Voici le siège où dormait mon grand-père l’après midi, voilà son jeu de trictrac; sur le vieux buffet j’aperçois une petite cage d’osier que j’ai construite dans mon enfance; ici je vis valser mon oncle avec la belle Estelle... je me hâte de sortir.

On a labouré la moitié du verger... je cherche un banc sur lequel le soir, mon père restait des heures entières perdu dans ses rêveries, les yeux fixés sur le Saint-Eynard, ce colossal rocher calcaire, fils du dernier cataclysme diluvien. Le banc a été brisé, il n’en reste que les deux pieds vermoulus...
Là était le champ de maïs où j’allais, à l’époque de mon premier chagrin d’amour, dérober ma tristesse. C’est au pied de cet arbre que j’ai commencé à lire Cervantès.

À la montagne maintenant.

Trente-trois ans se sont écoulés depuis que je l’ai visitée pour la dernière fois. Je suis comme un homme mort depuis ce temps, et qui ressuscite. Et je retrouve en ressuscitant tous les sentiments de ma vie antérieure, aussi jeunes, aussi brûlants...
Je gravis ces chemins rocailleux et déserts me dirigeant vers la blanche maison entrevue seulement de loin, à mon retour d’Italie, seize ans auparavant, la maison où brilla la Stella.
[…]
Et traversant un champ attenant à la ferme je tombe enfin dans la bonne voie. Bientôt j’entends murmurer la petite fontaine... j’y suis... Voilà le sentier, l’allée d’arbres semblable à celle qui m’a trompé tout à l’heure... Je sens que c’est là... que je vais voir... Dieu!... l’air m’enivre... la tête me tourne... je m’arrête un instant comprimant les pulsations de mon cœur... J’arrive à la porte de l’avenue... Un monsieur en veste, le prosaïque maître de mon sanctum sans doute, est sur le seuil allumant un cigare... Il me regarde d’un air étonné. Je passe sans rien dire et continue à monter... Il faut parvenir à une vieille tour qui s’élevait autrefois au haut de la colline, et d’où je pourrai tout embrasser d’un coup d’œil.

Je monte sans me retourner, sans jeter un regard en arrière, je veux auparavant atteindre le sommet... Mais la tour! la tour! Je ne l’aperçois pas... l’aurait-on détruite... Non, la voici... on en a démoli la partie supérieure et les arbres voisins, qui ont grandi, m’empêchaient de la découvrir.
Je l’atteins enfin.

Ici près, où verdoient maintenant ces jeunes hêtres, nous nous sommes assis, mon père et moi, et j’ai joué pour lui, sur la flûte, l’air de la Musette de Nina.Là, Estelle a dû venir... J’occupe peut-être dans l’atmosphère l’espace que sa forme charmante occupa... Voyons maintenant... Je me retourne et mon regard saisit le tableau tout entier... la maison sacrée, le jardin, les arbres et plus bas la vallée, l’Isère qui serpente, au loin les Alpes, la neige, les glaciers, tout ce qu’elle a vu, tout ce qu’elle admira, j’aspire cet air bleu qu’elle a respiré... Ah!... Un cri, un cri qu’aucune langue humaine ne saurait traduire, est répété par l’écho du Saint-Eynard... Oui, je vois, je revois, j’adore... le passé m’est présent, je suis jeune, j’ai douze ans! la vie, la beauté, le premier amour, l’infini poème! je me jette à genoux et je crie à la vallée, aux monts et au ciel: « Estelle! Estelle! Estelle! » et je saisis la terre dans une étreinte convulsive, je mords la mousse... un accès d’isolement se déclare... indescriptible... furieux...

Voici le rebord d’un escarpement où je marchais quand elle s’écria: « Prenez garde! n’allez pas si près du bord!...»
C’est sur ce buisson de ronces qu’elle s’est penchée pour cueillir des mûres sauvages... Ah! là-bas, sur ce terre-plein, se trouvait une roche où se posèrent ses beaux pieds, où je la vis debout, superbe, contemplant la vallée...
Ce jour-là, je m’étais dit avec cette niaiserie du sentimentalisme enfant: « Quand je serai grand, quand je serai devenu un compositeur célèbre, j’écrirai un opéra sur l’Estelle de Florian, je le lui dédierai... j’en apporterai la partition sur cette roche, et elle l’y trouvera un matin, en venant admirer le lever du soleil. »

La maison de Madame Gautier et la fontaine sur le chemin

    Sauf indication contraire, toutes les photos sur cette page ont été prises par Michel Austin en 2009 et 2011. © Michel Austin. Tous droits réservés.
Nous remercions vivement Pepijn van Doesburg pour les photos de Meylan de 2003, dont il détient le droit de reproduction.

1. La maison de Madame Gautier

    La maison est située sur le Chemin du Bruchet; à l’époque de Berlioz elle était entourée de vignobles, et de nos jours on y trouve un petit vignoble à proximité. La maison est maintenant un gîte et propose aux vacanciers des chambres d’hôte. Elle a subi quelques modifications depuis 2003 comme on peut le voir d’après les deux séries de photos ci-dessous.

La maison de Madame Gautier en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La maison de Madame Gautier en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La maison de Madame Gautier en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La maison de Madame Gautier en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La vallée de l’Isère et les Alpes (chaîne de Belledonne) sont au loin.

La maison de Madame Gautier en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La vue sur la vallée de l’Isère en 2009
à partir du Chemin du Bruchet

Meylan

(Image plus grande)

Le petit vignoble est au premier plan, avec la maison de Madame Gautier par derrière.

La vue sur la vallée de l’Isère en 2009
à partir du Chemin du Bruchet

Meylan

(Image plus grande)

La vue sur la vallée de l’Isère en 2009
à partir du Chemin du Bruchet

Meylan

(Image plus grande)

Le Saint-Eynard – vue du Chemin du Bruchet en 2009

Meylan

(Image plus grande)

Le Saint-Eynard – vue du Chemin du Bruchet en 2009

Meylan

(Image plus grande)

Le Saint-Eynard, hors de vue, surplombe le chemin dans l’image suivante.

Le Chemin du Bruchet en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La photo montre la descente du Chemin du Bruchet quand on s’éloigne de la maison de Madame Gautier. La descente se poursuit dans la photo suivante ci-dessous.

2. La fontaine sur le chemin qui mène à la maison de Madame Gautier

    Au chapitre 58 de ses Mémoires Berlioz raconte sa visite à Meylan en 1848; à un moment donné il s’égare, n’ayant pas repéré une fontaine sur le chemin en montant:

Je monte, je monte, et au fur et à mesure que mon ascension se prolonge, je sens mes palpitations redoubler. Je crois reconnaître à gauche du chemin une allée d’arbres, je la suis quelque temps ; mais cette avenue aboutissant à une ferme inconnue, n’était pas celle que je cherchais.

Je reprends la route ; elle n’avait pas d’issue et se perdait dans des vignobles. Évidemment je m’étais égaré. Je voyais encore dans mes souvenirs le vrai chemin comme si j’y eusse passé la veille ; il s’y trouvait jadis une petite fontaine que je n’avais pas rencontrée… où suis-je donc ?… où est la fontaine ?… Cette erreur ne faisait qu’accroître mon anxiété.

Alors je me décide à aller me renseigner à la ferme aperçue tout à l’heure… J’entre dans la grange où j’interromps le travail des batteurs. Ils arrêtent un instant leurs fléaux à mon aspect, et je leur demande, en tremblant comme un voleur poursuivi par les gendarmes, s’ils pourraient m’indiquer le chemin de la maison autrefois habitée par Mme Gautier.

L’un des batteurs se gratte le front :

« — Mme Gautier, dit-il, il n’y a personne de ce nom dans le pays…
— Oui, une vieille dame…, elle avait deux jeunes nièces [petites-filles] qui venaient la visiter tous les ans pendant l’automne… 
— Je m’en souviens, moi, dit la femme du batteur intervenant ; tu ne te rappelles pas ?… Mam’zelle Estelle, si jolie que tout le monde s’arrêtait à la porte de l’église, le dimanche, pour la voir passer ?
— Ah ! voilà que ça me revient... oui, oui, Mme Gautier… C’est qu’il y a longtemps, voyez-vous… ; sa maison, à cette heure, est à un commerçant de Grenoble… C’est là-haut ; il faut suivre encore un peu le chemin de la fontaine, ici derrière notre vigne, et puis tourner à gauche.
— La fontaine est là ?… Oh ! à présent, je me retrouverai… Merci, merci. Je suis sûr de ne plus m’égarer… »

Et traversant un champ attenant à la ferme je tombe enfin dans la bonne voie.

Bientôt j’entends murmurer la petite fontaine… j’y suis… Voilà le sentier, l’allée d’arbres semblable à celle qui m’a trompé tout à l’heure… Je sens que c’est là… que je vais voir… Dieu !… l’air m’enivre… la tête me tourne… je m’arrête un instant comprimant les pulsations de mon cœur… J’arrive à la porte de l’avenue…

La fontaine en 2009

Meylan

(Image plus grande)

Le Chemin du Bruchet, hors de vue et plus haut à droite de cette photo, rejoint l’une des routes principales qui tourne à droite pour descendre vers la vallée (cette photo).

La fontaine en 2009

Meylan

(Image plus grande)

La fontaine en 2011

Meylan

(Image plus grande)

La fontaine en 2011

Meylan

(Image plus grande)

3. La maison de Madame Gautier en 2003

Meylan

(Image plus grande)

Meylan

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Vue à partir du Chemin du Bruchet

Meylan

(Image plus grande)

Voir aussi les pages annexes:

La maison de Nicolas Marmion, grand-père de Berlioz
Le Saint Eynard
Le Monument Berlioz

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997;
Pages Berlioz à Meylan créées le 15 avril 2004 et augmentées le 1er octobre 2009 et le 15 novembre 2011. Révision le 1er juin 2023.

© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes informations et les photos de 2009 et 2011, et Pepijn van Doesburg pour les photos de 2003 sur cette page.

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