FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 21 MAI 1840 [p. 1-2]
THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Salle Favart.
Faut-il parler architecture ? Je n’y connais rien ; mais c’est justement pour ça que, suivant une opinion fort répandue, mon jugement aura plus de poids. Allons donc, et n’ayons pas plus de remords que messieurs tels et tels, quand ils parlent rhythme et mélodie. Il est seulement fâcheux que, pour cette fois, la loi du talion ne puisse avoir une application plus immédiate ; car je n’ai jamais ouï dire qu’un architecte se soit rendu coupable de critique musicale. M. Duponchel lui-même, malgré tout ce qu’on a pu dire ou penser à cet égard, a toujours été le premier a déclarer qu’il était directeur de l’Opéra, et conséquemment tout-à-fait étranger à la musique.
Ainsi mettons quelques ménagemens dans notre appréciation impartiale des dessins de M. Théodore Charpentier, qui a dirigé la reconstruction de la salle Favart. C’est vraiment aujourd’hui le règne des architectes ; on les prend non seulement pour veiller aux destinées de l’art musical, ce qui est tout simple ; mais on les emploie même à construire des théâtres, quand il y a tant de compositeurs ou d’hommes de lettres inoccupés.
M. Charpentier a cherché à rendre la nouvelle salle de l’Opera-Comique d’abord aussi commode que possible, sonore ensuite, et enfin élégante, gracieuse et bien aérée. Le but nous a semblé atteint sous presque tous les rapports. Un vaste vestibule, des corridors spacieux, huit escaliers presque tous en pierre et en fonte, un foyer qui se prolonge sur toute la façade du monument, rendront la circulation, l’arrivée et la sortie faciles pour le public.
Le chauffage et la ventilation ont été l’objet d’un soin tout particulier. De nombreux calorifères, sur un modèle nouveau et perfectionné, distribueront en hiver une égale chaleur dans toutes les parties de la salle ; dans l’été l’air froid y sera introduit en aussi grande quantité que l’exigera la température, au moyen d’un mécanisme ingénieux placé dans les caves et mis en mouvement par plusieurs chevaux. Au sujet de cette invention récente, dont l’application est faite pour la première fois à la salle Favart, nous devons avouer que, dans l’état où elle est, elle offre quelques légers inconvéniens. D’abord, ces courans d’air frais, qui se font sentir par intervalles au milieu d’une atmosphère chaude, ressemblent un peu à des vents coulis et font éprouver à beaucoup de gens une sensation de malaise incontestable. Puis le bruit des pas des chevaux faisant mouvoir la machine réfrigérante, ou celui de la machine elle-même se fait entendre sourdement dans certaines parties de la salle, de manière à fatiguer les auditeurs et à distraire leur attention.
La sonorité est bonne, l’orchestre seulement est bien enfoncé au-dessous du niveau du théâtre. Il résulte, il est vrai, de cette disposition un avantage pour les accompagnemens qui peuvent plus aisément s’effacer devant les voix, mais avec des artistes habiles et un chef d’orchestre comme M. Girard, les chanteurs n’avaient rien à redouter des instrumens. Puis l’orchestre, ainsi placé, n’a ni l’éclat ni la force dont il aurait besoin, quand il doit prendre la parole à son tour ; et d’ailleurs une autre conséquence de ce plan incliné est d’obliger les deux ou trois premiers rangs des spectateurs des stalles, à trop lever la tête pour bien voir les acteurs. Voilà une observation architecturale qui n’est pas sans portée de la part d’un musicien. Attendez, puisque je suis en train, je vous dirai encore que votre fond de décoration blanc et or, pour être d’un goût distingué, n’en est pas moins fatigant à l’œil et d’un aspect tant soit peu farineux. On a fait bien des plaisanteries là-dessus. On a parlé de moulin, de carrière à plâtre, de sépulcre blanchi. Cette dernière appellation serait d’un mauvais augure pour l’opéra-comique, si elle venait à être connue. Aussi, il ne faut pas la répéter.
Tant il y a, que tous ces ornemens, toutes ces draperies de loges, toutes ces arabesques, tous ces petits salons, ces fauteuils de stalles, ce plancher de foyer en mosaïque, ces garçons de café accourant au moindre coup de sonnette, me semblent très jolis, très fins, très ingénieusement conçus et très confortables, mais que la prédominance du blanc mat n’en est pas moins malencontreuse et pénible. J’ai dit.
Maintenant parlons de musique, ou de quelque chose d’approchant. L’orchestre a été un peu augmenté ; il y a dix-huit violons réels, au lieu de quatorze qu’on comptait à l’ancienne salle ; cinq altos, huit violoncelles et six contre-basses. Quand je dis violons réels, cela signifie qu’on entend dix-huit violons jouer à chaque représentation. Le système des congés accordés à tour de rôle, nécessitant, pour obtenir ce nombre d’instrumentistes, l’engagement de vingt violonistes au moins. Un véritable virtuose, M. Rémusat, l’un des meilleurs élèves de Tulou, a remplacé au pupitre de première flûte M. Leplus, qui parcourt en ce moment la province ; et M. Kœnig, l’habile corniste de Brunswick, dont le talent sur le cornet à pistons a été si bien apprécié à Paris cet hiver, notamment au grand concert de la Gazette musicale, vient d’être ajouté à la troupe déjà complète des instrumens à vent.
Quant aux choristes il n’y a rien de changé, je crois, si ce n’est dans leurs costumes, qui ont paru propres et convenables.
L’Olympe n’a point encore admis de nouveaux dieux ; il est question seulement des débuts prochains de M. Botelli, basse chantante dont on dit beaucoup de bien. Les autres divinités, à deux ou trois exceptions près, n’accordent à nos vœux que d’inégales voix, des plaisirs peu tranquilles ; mais les grands dieux sont chers, et n’en a pas qui veut. M. Crosnier annonce la reprise de quelques anciennes partitions, parmi lesquelles on remarque celle de Richard-Cœur-de-Lion, le chef-d’œuvre de Grétry. On fera très bien de rappeler ainsi au public de l’Opéra-Comique, que l’art possède de tels modèles de naïve mélodie, de style original, d’expression touchante et humoristique, et d’ingenieuse pauvreté harmonique. Mais si l’on veut encore avoir plus d’esprit que Sedaine, plus de goût et de sentiment que Grétry ; si l’on se croit obligé de récrire le dialogue, de changer le dénouement du drame, de réinstrumenter l’orchestre, de bourrer de cuivre ces simples accompagnemens, nous souhaitons de tout notre cœur que cette promesse ne soit point tenue ; car nous ne haïssons rien tant que ces indiscrets tripotages, qui ôtent aux anciennes productions leur physionomie spéciale, presque toujours pour elles la seule bonne, offensent la mémoire des morts et sont fort loin de faire honneur à l’intelligence et au sentiment artiste des vivans.
La Perruche, petit opéra en un acte, dont nous aurions dû parler plus tôt, a été arrêtée dans son vol par la clôture du théâtre de la Bourse ; on vient de la montrer de nouveau sur la scène nouvelle ; mais une interruption de quinze à vingt jours ne pouvait que nuire beaucoup à son succès. Le livret est de MM. Dumanoir et Dupin ; M. Clapisson en a écrit la musique.
Il s’agit d’une grande dame, la duchesse de Marneuf, qui a la manie d’élever des animaux. La passion des Visitandines de Nevers pour Vert-Vert n’est rien, comparée à celle de notre duchesse pour sa perruche Emeraude : elle l’adore dans toute l’étendue du mot. Mais voilà qu’un matin la maison de Mme de Marneuf retentit de cris affreux ; Mme la duchesse, le sein haletant, l’œil égaré, la chevelure en désordre, appelle à son secours d’une voix déchirante. Qu’est-il donc arrivé ? Un chien enragé se serait-il introduit dans sa chambre ? un boa dans son lit ? Aurait-elle été volée par une guenon ou violée par un orang-outang ?… Toute la domesticité accourt épouvantée. La cage de la perruche est ouverte, Emeraude s’est envolée. O malheur ! ô désespoir ! désolation, profond chagrin, misant[h]ropie, mélancolie, hypocondrie, humeur noire, dégoût de la vie, mépris des hommes, des femmes et des enfans ! ô spleen incurable ! c’est M. le marquis de Champignolles, le fiancé de la veuve inconsolée, qui a eu la maladresse de laisser Emeraude prendre la clef des champs. Le malheureux ! Voilà un beau moyen de se faire aimer d’une telle femme ! Aussi on le déteste, on le méprise, on le maltraite, on l’injurie, on le hue, on le conspue, que ça ferait plaisir à voir, si l’imbécillité du marquis était mieux constatée dès le début.
Pendant que le pauvre homme se morfond à compulser les registres de tous les marchands de volailles de Paris, Bagnolet, le porteur d’eau, vient proposer à Mme de Marneuf de mettre un terme à sa tristesse. Il le peut, il a trouvé la perruche. « O le brave homme ! s’écrie la marquise ravie au cinquantième ciel, je l’embrasserais ! — Justement, c’est mon affaire, répond Bagnolet. J’ai envie de vous embrasser ; je veux savoir une fois en ma vie ce que c’est que d’embrasser une marquise ; mais il faut que j’étudie ça très bien, commodément, à mon idée. » Le sang aristocratique de la grande dame se révolte à la proposition tout à fait crue de l’Auvergnat. Elle s’indigne d’abord ; puis elle offre de l’argent, beaucoup d’argent. Elle pleure, elle sanglotte.
« Rendez-moi ma perruche ou laissez-moi mourir ! »
Bah ! le porteur d’eau n’est pas plus sensible à ses larmes qu’à celles de la fontaine des Innocens. Elle le menace, il rit ; elle le forcera de rendre Emeraude, il rit plus fort. « Je la rendrai, oui ; mais je vais auparavant lui tordre le cou. Pauvre bête ! c’est pourtant vous qui l’assassinez, marquise sans cœur et sans âme ! » Argumentation excellente, surtout de la part d’un gaillard assez bien tourné comme Bagnolet, et capable de produire la conviction dans l’esprit et l’émotion dans le cœur d’une femme qui, peut-être au fond, n’est pas horriblement contrariée d’expérimenter sur le vilain.
La double expérience a donc lieu ; un baiser à faire mourir vingt marquises donne la vie à l’infidèle oiseau. Le moins satisfait des expérimentateurs, c’est Bagnolet qui s’attendait à tomber à la renverse rien que pour toucher le bout du doigt de la grande dame, et sur qui le noble embrassement a produit un effet assez ordinaire. Il en est donc à dire : « Tiens, ce n’est que ça ! » et à regretter l’argent qu’on lui offrait d’abord, et qui lui aurait servi à épouser sa payse, femme de chambre de Mme de Marneuf ; quand M. de Champignolles, entrant à l’improviste, se croit en droit de critiquer ce duo et de voir quelques motifs de jalousie dans l’attitude des deux concertans. Ce marquis-là a une pénétration diabolique, il faut l’avouer, il y voit clair ; il n’est pas de ceux qui, en regardant l’arc de triomphe de l’Etoile, vont, en plein jour, donner du front contre l’obélisque de Louqsor. Aussi, quand on veut lui faire croire que Bagnolet n’est point un amant déguisé, qu’il est bien réellement porteur d’eau, Auvergnat, et de plus amoureux de Caroline la camériste, le marquis fait un coup de maître pour s’assurer de la vérité. Il offre à Bagnolet un billet de mille livres, s’il veut à l’instant même épouser Caroline. Billet accepté, mariage conclu, marquise ravie, marquis rentré en grâce, perruche rentrée en cage, bonheur de Caroline, mauvaises pensées de Bagnolet en saluant ses nobles protecteurs, quatuor final. Voilà bien du caquet et une bien longue analyse pour une perruche ; je me rattraperai sur la musique.
La partition de M. Clapisson est semée de traits heureux, de mélodies gracieuses et légères : le sens dramatique y est partout clairement exprimé, et l’instrumentation est traitée avec soin et intelligence. Ce style n’offre rien de bien neuf ni de vraiment individuel, mais il est toujours convenable et exempt de vulgarismes. Je regrette d’y trouver une phrase qui reproduit avec trop peu de déguisemens le thème célèbre de l’air de la Dona del Lago : O quante lagrime. L’air de la marquise désolée et malade d’ennui, s’évanouissant auprès de la cage vide, est d’un bon comique. On a applaudi les couplets du porteur d’eau, que Chollet chante avec verve. Il prolonge un peu trop cependant la note haute qui précède la conclusion. Le duo entre Bagnolet et Mme de Marneuf est aussi leste qu’il est permis de l’être en musique. Il contient de piquantes modulations. Je n’ai pas trouvé bien saillant l’ensemble du final. Ce petit opéra, agréable et amusant, est fort bien joué, surtout par Chollet et Mlle Prévost, qui, l’un et l’autre ont retrouvé leurs beaux jours de chant joyeux et facile.
Première représentation de Zanetta, opéra-comique en trois actes, de MM. Scribe et de Saint-Georges, musique de M. Auber.
Nous sommes toujours à l’Opéra-Comique ; c’est encore un livret, vulgairement dit poëme, à raconter. Chose passablement ennuyeuse je le jure ; à tel point que, si on me donnait le choix de revoir deux de ces opéras ou d’en décrire un seul, j’aimerais mieux en revoir deux. Cette Zanetta pourtant est une bonne fille, qui cultive les fleurs et le sentiment avec un bonheur égal. Son père, vieux soldat très fort sur le point d’honneur, a recueilli dans sa cabane un officier blessé, après un de ces fameux combats de Calabre ou de Sicile, dont nous autres, étourdis par les grands coups de canon de la République et de l’Empire, nous n’avons jamais entendu parler. Il paraît que la scène se passe quelque part en Italie, je ne sais pas au juste à quelle époque. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un roi dans ce pays-là, et même un très jeune roi qui n’a presque pas de barbe. Ce roi a une sœur, un peu moins jeune, mais douée d’un peu plus de barbe que lui. Auprès du couple royal se trouve un gros ambassadeur autrichien affligé d’une femme ravissante aimée du roi. La princesse Nisida (Nisida ! quel nom charmant ! il me rappelle une nouvelle de Cervantes que j’ai lue avec amour depuis ma quinzième jusqu’à ma vingt-cinquième année ; il me fait souvenir aussi d’une île délicieuse du golfe de Naples, située dans cette baie où Néron s’amusa jadis à mettre à l’épreuve le beau talent de sa respectable mère Agrippine pour la natation. Un vaisseau qui s’ouvre, qui se désarticule, qui se brise tout seul au milieu des ondes ! C’était peut-être original dans ce temps-là ; mais Carrier et ses noyeurs de Nantes qu’on a tant admirés, n’étaient évidemment que des plagiaires, ou tout au moins de faibles imitateurs. J’ai été bien triste et bien gai le jour où j’allai visiter l’Ile de Nisida ; il m’arriva plusieurs incidens bizarres. Je pris huit rameurs pour faire ma petite traversée ; ils me prirent, eux, à ma munificence, pour un neveu du pape ou un commis voyageur. Au lieu de bosquets d’orangers et de grottes de marbre, je trouvai dans l’île une prison de galériens. Un sergent napolitain qui m’avait conduit dans ces limbes, refusa de l’argent. Je me grisai au retour avec mes rameurs dans les bois de Pouzzoles. Nous parlâmes beaucoup du roi Murat et de l’Empereur. Ces braves marins m’assurèrent qu’un de leurs camarades avait navigué témérairement jusqu’à l’île d’Elbe. En gravissant le Pausilippe, je fus presque assassiné par deux lazzaroni, qui se trompaient d’homme et qui m’offrirent un chapelet béni en compensation de leur erreur. Plus loin, exténué de chaleur et de fatigue, je voulus sauter sur la banquette de derrière d’une calèche élégante qui passait sur la route de Naples ; une douce voix de femme donna, en français, l’ordre au cocher de m’administrer quelques coups de fouet, qui faillirent m’enlever un œil. Je revins seul, à pied, non sans avoir chanté un hymne de reconnaissance à la fière beauté qui m’avait fait flageller de la sorte. J’oubliai cependant ma rage, en voyant le soleil se coucher derrière le cap Misène, et je songeai à Virgile, et au jeune Ascagne, et à Didon, et je pleurai long-temps de toutes mes forces). Pardon de la digression, j’en serai d’autant plus bref dans mon récit.
Donc la princesse Nisida est l’amoureuse du comte Rodolphe, un jeune comte oisif comme il y en a tant. Cependant l’ambassadeur autrichien est venu avec la mission de demander la main de la princesse pour un empereur. Le petit roi fait la cour à Mme l’ambassadrice, et le gros baron le croit épris d’une belle Sicilienne. La princesse donne des rendez-vous nocturnes à Rodolphe, et le malin autrichien croit celui-ci épris de Zanetta la jardinière. C’est dans l’ordre. Il avait effectivement été convenu entre Rodolphe et la princesse, pour détourner tous les soupçons, que Zanetta passerait pour avoir inspiré à Rodolphe une passion romanesque, et que le comte, malgré l’énormité de la mésalliance, aurait l’air de songer à l’épouser. Mais voilà que tout en jouant à l’amour dans le jardin avec la jardinière, Rodolphe vient à perdre la partie, ou à la gagner, comme on voudra ; cela dépend du système philosophique qu’on a l’habitude de professer. Zanetta reconnaît dans Rodolphe le jeune militaire qui fut, il y a trois ans, apporté mourant chez son père, qu’elle soigna si tendrement et qu’elle aime en secret depuis lors. Peu à peu, Rodolphe s’échauffe au foyer de ce naïf amour, et en vient à faire à la princesse de grosses infidélités. Celle-ci s’en aperçoit, sa jalousie éclate. Le père de Zanetta devine à peu près tout ; il roue de coups sa chère fille ; le baron autrichien, éclairé par les imprudences de Nisida, commence à craindre pour son maître un malheur anticipé, et veut, pour l’en garantir, faire tout bonnement assassiner Rodolphe.
Le roi, pendant tous ces quiproquos, va droit son chemin, ne perd pas son temps avec Mme l’ambassadrice, et reçoit un soir au pied du pavillon qu’elle habite, un coup de fusil destiné à ce pauvre Rodolphe. « Votre majesté montait à la chambre de la baronne ? lui dit celui-ci en le revoyant. — Non, parbleu ! répond le roi, j’en descendais. » Ce mot a excité une longue et bruyante hilarité. L’Opéra-Comique tient à justifier l’inscription que porte sa toile : Castigat ridendo mores. Ce qui prouve au moins qu’il y a encore des mœurs, bonnes ou mauvaises. Et tout finit comme on le devine dès le premier acte ; Rodolphe épouse Zanetta, anoblie par le roi ; Nisida épouse le prince autrichien ; l’ambassadrice continue à exécuter des nocturnes avec sa majesté sicilienne ; et l’ambassadeur s’ébahit de n’avoir pas deviné qu’il ne devinait rien.
Le succès de cette pièce s’annonçait très bien en commençant ; il est devenu de plus en plus calme jusqu’au dénoûment. Quelques scènes ont paru un peu accusées ; on a trouvé que les auteurs tenaient trop à mettre les points sur les i, et à appeler les choses par leur nom. Puis c’est plus long qu’on ne s’y attendait, et le public de ce théâtre n’aime guère à se coucher à minuit. La musique a partagé les vicissitudes du livret : brillante et légère dans les premiers morceaux, elle n’a pas toujours conservé la vivacité de son coloris dans les scènes suivantes. L’ouverture a été excessivement applaudie après et pendant l’exécution. Une rentrée de flûte, arpégeant l’accord de la tonique, a excité des murmures de plaisir dans toute la salle.
Les couplets à boire, au lever du rideau, ont beaucoup de distinction et une expression de mélancolie que la situation rend piquante et spirituelle. L’andante de l’air de Mlle Rossi est largement écrit, j’aime moins l’allegro. Le rôle de Mme Damoreau, plein de traits ardus et d’arabesques musicales, semble avoir été écrit pour faire briller sa prodigieuse facilité de vocalisation. Il y a beaucoup de naturel et d’originalité dans le duo entre Zanetta et Rodolphe au second acte ; un morceau d’ensemble a paru riche d’harmonie. A tout prendre, il y a loin de cette partition à celles du Domino noir et de l’Ambassadrice. Elle a néanmoins été fort applaudie.
Mocker et Couderc remplissent les rôles du roi et de Rodolphe avec autant d’intelligence que de soin. Mlle Rossi travaille, dit-on, beaucoup ; le public l’aime, elle a une voix qui lui permet de produire ces effets de demi-teintes dont le charme est si grand quand ils sont sobrement employés et ménagés avec art. Malheureusement la jeune cantatrice en abuse, et l’on croirait, dans certains passages où la force et l’éclat sont évidemment nécessaires, qu’elle les gazouille faute de pouvoir les chanter plus largement. Mme Damoreau est toujours la virtuose par excellence, mais sa voix n’a plus de sonorité ; dans les duos même les plus légèrement accompagnés on a peine à l’entendre.
Un changement de direction, deux débuts, la remise à l’étude de Fernand Cortez, tels sont les événemens qui ont agité ces jours-ci le grand club de la diplomatie musicale.
M. L. Pillet a remplacé M. Edouard Monnais ; M. Duponchel n’aura plus à s’occuper désormais que des arts plastiques, comme on dit en Allemagne ; le reste de sa tâche directoriale est bravement accepté par son collaborateur.
Il faut tenir compte à M. Wermeulen, qui paraissait dimanche pour la première fois dans le rôle de Robert, du peu de temps qu’il a pu consacrer jusqu’ici aux études difficiles de l’art du chant. Sa voix n’est pas mauvaise, il a besoin surtout de l’assouplir et d’apprendre à articuler clairement les fragmens rapides des phrases. Sa prononciation des paroles manque aussi de netteté.
Mlle Julian a débuté trois fois dans le rôle d’Alice ; la dernière épreuve lui a été plus favorable que les précédentes. Sa voix a du timbre et de l’éclat dans le haut, mais les notes du bas et du medium sont encore bien voilées, pour ne pas dire sourdes et d’une émission difficile.
On travaille avec activité à la mise en scène de Fernand Cortez ; mais voilà que M. Spontini, effrayé par la reprise de la Vestale qui eut lieu, il y a quelques années, d’une façon peu digne d’un chef-d’œuvre pareil, veut, dit-on, mettre opposition à celle de Fernand Cortez. Il serait triste pour nous d’être ainsi privés de l’entendre. L’administration de l’Opéra manifestait cependant l’intention de ne rien négliger pour que cette reprise eût lieu à la satisfaction de l’auteur et du public, du moins, quant à l’exécution des masses, quant aux costumes et aux décors. Espérons qu’il n’y a dans tout ceci qu’un malentendu, et que l’Opéra ne perdra pas l’occasion de prouver d’une façon éclatante qu’il ne garde point de rancune contre l’auteur des deux beaux ouvrages qui firent pendant vingt ans sa fortune et sa gloire.
H. BERLIOZ.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 15 janvier 2016.
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