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Julien Tiersot: Berlioziana

 12. [Ouvertures]

    Cette page présente les trois articles publiés par Julien Tiersot dans la série Berlioziana avec les sous-titres “Ouverture de Waverley ”, “Ouvertures des Francs-Juges, du Roi Lear et du Carnaval Romain”, et “Ouverture du Corsaire ”. Voir la page principale Julien Tiersot: Berlioziana.

    Note: pour les lettres de Berlioz citées par Tiersot on a ajouté entre crochets des renvois au numérotage de la Correspondance Générale, par exemple [CG no. 2978].

Le Ménestrel, 17 Septembre 1905

Le Ménestrel, 24 Septembre 1905

Le Ménestrel, 8 Octobre 1905

Le Ménestrel, 17 Septembre 1905, p. 301

OUVERTURE DE WAVERLEY

    Cette œuvre peu connue, et qui est, avec l’Impériale (et aussi Benvenuto Cellini, que nous n’avons jamais eu l’occasion d’entendre en Allemagne), la seule composition orchestrale de Berlioz à l’exécution de laquelle il ne nous ait jamais été donné d’assister, est pourtant importante dans l’histoire de la production de son auteur, car elle a été publiée par lui sous le no d’Op. 1. Par ce chiffre, à la vérité, il prétendait simplement remplacer une autre œuvre précédemment publiée sous la même cote, et qu’il voulait détruire, les Huit scènes de Faust : le manuscrit nous dira qu’au moment où il l’écrivit il l’avouait déjà pour son œuvre 4e. L’ouverture des Francs Juges même, éditée sous le no d’Op. 3, est antérieure. Les Mémoires disent en effet : « Je composai (au commencement de 1827) mon premier grand morceau instrumental : l’ouverture des Francs-Juges. Celle de Waverley lui succéda bientôt après ». Et Berlioz n’a jamais cessé de déclarer que l’ouverture des Francs-Juges est sa première œuvre d’orchestre (voir notamment sa lettre à Mme Estelle F***, du 16 février 1865 [CG no. 2978]).

    L’autographe ne nous apprendra rien sur ces particularités. Il ne porte ni date, ni rien qui en tienne lieu. On y lit, à la vérité, cette dédicace :

A Monsieur Brown, témoignage d’une vive et inaltérable amitié.

        HECTOR BERLIOZ.

   Ce 16 avril 1839.

    Mais cette date-ci, contemporaine de l’édition, est postérieure de douze années à la composition, et ne peut rien nous dire d’utile sur elle.

    Le manuscrit porte les traces de nombreuses corrections : cela n’a rien de surprenant si l’on songe qu’il s’agit d’un essai de jeunesse que l’auteur, le publiant beaucoup plus tard, n’a voulu avouer qu’après y avoir apporté des perfectionnements. Voyons d’abord la première page : elle nous fournira déjà des observations intéressantes.

    Le titre était libellé en premier lieu de la manière suivante :

WAVERLEY
Grande Ouverture caractéristique
par
HECTOR BERLIOZ
Œuvre 1er.

    Des traits de plume ont biffé plusieurs de ces mots, et le titre est devenu :

Grande Ouverture
de
WAVERLEY
Dédiée au Colonel Marmion (1)
et composée
par
HECTOR BERLIOZ
Œuvre 1er.

    Au-dessous de ces mots sont écrits en épigraphe ces deux vers anglais :

… Dreams of love and Lady’s charms
Give place to honour and to arms.
                    (Waverley, WALTER SCOTT.)

    Or, ce titre et cette épigraphe n’occupent guère plus d’un tiers de la page : toute la partie inférieure est remplie par un long texte français, formé de phrases empruntées au roman. C’était évidemment, dans la pensée du jeune compositeur, le programme nécessaire à la compréhension de l’œuvre symphonique. Mais il est bien vrai qu’il pécha ici par excès de zèle : les idées contenues dans cette page littéraire sont d’une diversité qu’on ne retrouve pas dans le développement musical du morceau, composé suivant les plus sages règles classiques, et il en est certaines dont rien absolument n’est exprimé par la symphonie. Berlioz eut donc raison de supprimer ce programme, et de le remplacer par les deux vers de la ballade anglaise, qui représentent bien plus exactement le sentiment contenu dans son œuvre musicale.

    Il n’était pourtant pas inutile de connaître cette particularité, l’essai malheureux d’un commentaire littéraire pour l’ouverture de Waverley étant, dans tous les cas, la première tentative de « musique à programme » faite par le futur auteur de la Symphonie fantastique et de la Chasse royale des Troyens.

    Dans la partition, Berlioz a supprimé quelques instruments et quelques traits inutiles comme en multiplient toujours les jeunes compositeurs dans leurs premiers essais. Il lui fallait, tout d’abord, 2 petites flûtes et 2 grandes : 2 flûtes lui suffiront définitivement. Une troisième clarinette est supprimée. Pour les cordes, il avait écrit : 20 premiers violons, 20 seconds, 16 altos, 15 violoncelles, 13 contrebasses : il biffe ces chiffres, et il a raison, — à plusieurs points de vue, dont l’un est que, s’il lui eût fallu attendre un orchestre possédant 84 instruments à cordes pour jouer l’ouverture de Waverley, il aurait attendu longtemps, — et un autre, qu’un pareil déploiement de forces harmoniques n’était aucunement nécessaire à l’exécution d’une ouverture pour laquelle les ressources de l’orchestre de Méhul, par exemple, étaient exactement ce qu’il fallait.

    La première rédaction est écrite avec beaucoup de soin ; les barres de mesure sont tracées à la règle ; Berlioz manifeste ainsi, dès cette œuvre de jeunesse, son goût pour les partitions nettement et proprement écrites. Mais de nombreuses corrections, faites en surcharge, d’une encre très pâle, datant probablement de l’époque de l’édition (1839), ont altéré notablement la physionomie graphique du premier original. Ces corrections ne portent d’ailleurs que sur des détails. — Il y a dans ce manuscrit, près de la fin, une interversion de quatre pages qui doivent être insérées seize pages plus loin, au moment le plus chaud de la péroraison.

    L’ouverture de Waverley a été exécutée au premier concert donné par Berlioz dans la salle du Conservatoire, le 26 mai 1828. Nous indiquerons dans une autre partie de ce travail que cette audition n’était peut-être pas la première, et que l’œuvre avait été probablement entendue six mois auparavant dans une représentation théâtrale.

    Schumann a consacré à ce morceau un intéressant article écrit après la publication de la partition (1839). Voy. ses Écrits sur la musique et les musiciens, traduits par HENRI DE CORZON, t. I, p. 188.

___________________________________

(1) Oncle de Berlioz : l’œuvre de jeunesse devenait ainsi un souvenir de famille. 

Le Ménestrel, 24 Septembre 1905, p. 308

OUVERTURES DES FRANCS-JUGES, DU ROI LEAR
ET DU CARNAVAL ROMAIN

    Ces œuvres sont les seules compositions importantes de Berlioz dont il ne nous soit pas permis de comparer les manuscrits originaux avec les partitions gravées, car ces manuscrits ont disparu, égarés sans doute chez les éditeurs, ou mis au rebut après publication. Le cas est le même, nous l’avons déjà signalé, pour l’ouverture de Benvenuto Cellini.

    Nous n’aurons donc aucune observation à faire quant aux partitions d’orchestre. Mais, pour les réductions au piano, Berlioz lui-même a pris soin de nous renseigner sur certaines particularités qui le préoccupaient.

    L’ouverture des Francs-Juges, sa première composition d’orchestre, fut aussi son premier succès ; il la fit graver de bonne heure (1834, Richault), et elle se répandit ainsi hors de France, si bien qu’un éditeur allemand en publia, sans son assentiment, une transcription pour piano à quatre mains. Les lois sur la propriété artistique n’étaient pas, au temps de la jeunesse de Berlioz, assez strictement appliquées pour que l’auteur criât au plagiat ; aussi ne le fit-il pas ; mais il protesta, en tant qu’artiste, sur l’infidélité de l’arrangement : l’on sait qu’à cet égard il se montra toujours fort chatouilleux, qu’il s’agit des œuvres des maîtres ou des siennes propres. Il écrivit donc à l’éditeur Hoffmeister, de Leipzig, une lettre ouverte qu’il donna d’abord à la Gazette musicale, et qui a été reproduite dans sa Correspondance inédite, sous la date du 8 mai 1836 [CG no. 472]. Il s’y exprime sur le ton véhément qui lui était habituel en pareille circonstance :

    Votre arrangeur a coupé ma partition, l’a rognée, taillée et recousue de telle façon que je n’y vois plus en maint endroit qu’un monstre ridicule, dont je le prie de garder tout l’honneur pour lui seul… Il est déplorable que vous ayez chargé un pareil chirurgien de me faire d’aussi graves amputations. On ne coupe pas un membre sans en connaître l’importance générale, les fonctions spéciales, les rapports intimes et l’anatomie interne et externe. Il n’y a que le bourreau qui puisse couper le poing à un malheureux sans tenir compte des articulations, des attaches musculaires, des filets nerveux et des vaisseaux sanguins ; aussi le fait-il brutalement d’un coup de hache, et la tête du patient saute bientôt après. C’est le supplice des parricides. C’est celui, monsieur, que votre arrangeur m’a infligé. Il a fait disparaître non seulement des passages entiers, mais des fragments de phrases dont la suppression rend l’ensemble incompréhensible ou absurde. Ainsi, dans la prière en ut mineur des flûtes et clarinettes, au milieu de l’allegro, l’arrangeur n’a pas vu que cette mélodie est un adagio écrit avec les signes de l’allegro dans lequel il est jeté ; qu’une ronde y représente toujours une noire, trois rondes liées et soutenues une blanche pointée, et que par conséquent il faut quatre mesures du mouvement allegro pour former une seule mesure réelle du chant adagio. Trouvant donc cette prière trop longue, et sans tenir compte de l’action contrastante qui se passe en même temps dans le reste de l’orchestre, votre arrangeur l’a tronquée de telle sorte qu’il est impossible à présent d’y trouver aucune espèce de sens ; il a enlevé des mesures isolées qui ne représentaient en réalité qu’un temps de la grande mesure, et le rythme, tombant à faux, amène nécessairement une conclusion aussi imprévue que stupide. C’est ce dont il ne s’est pas aperçu.

    Après avoir formulé quelques autres reproches du même genre, Berlioz conclut par la déclaration suivante :

    La seule ouverture des Francs-Juges arrangée à quatre mains que je reconnaisse est celle que viennent de publier M. Richault à Paris et M. Schlesinger à Berlin ; encore celle de M. Schlesinger, bien que gravée sur un manuscrit que je lui ai adressé moi-même, diffère-t-elle un peu de l’édition de Paris en quelques endroits… Ces légères modifications m’ont été indiquées par plusieurs pianistes habiles, tels que MM. Chopin, Osborne, Schunke, Sowinski, Benedict, Eberwein, qui ont bien voulu revoir les épreuves et me donner leurs conseils.

    Un catalogue général des œuvres de Berlioz, donné par lui beaucoup plus tard (en 1852), renouvelle, en des termes plus concis, la même protestation :

Ouverture des Francs-Juges… pour le piano à quatre mains (chez Richault). Cet arrangement, fait par l’auteur aidé de trois habiles pianistes : Chopin, Benedict et Eberwein, est le seul fidèle et conforme à la partition.

    Il est au moins intéressant de voir affirmer par Berlioz la coopération de Chopin à la transcription de l’ouverture des Francs-Juges.

    Liszt a fait également une transcription de l’Ouverture des Francs-Juges, exigeant des qualités d’exécution transcendante, mais très fidèle aussi.

    Le catalogue cité signale aussi des transcriptions pour piano à quatre mains des ouvertures du Roi Lear (Richault), et du Carnaval romain (Brandus), cette dernière également pour deux pianos à quatre mains.

    Ces anciens arrangements des œuvres orchestrales de Berlioz sont devenus très rares. Nous n’en avons pas trouvé un seul exemplaire à la Bibliothèque Nationale, non plus qu’à celle du Conservatoire.

    La transcription de l’ouverture de Benvenuto Cellini a, comme celle des Francs-Juges, donné lieu à des pourparlers avec l’Allemagne, mais sur un ton moins comminatoire. Voici en effet en quels termes Berlioz commençait une lettre à Hans de Bülow, le 28 juillet 1854 :

C’est une charmante surprise que vous m’avez faite, et votre manuscrit est arrivé d’autant plus à propos que l’éditeur Brandus, qui grave en ce moment Cellini, avait déjà choisi un assez obscur tapoteur de piano pour arranger l’ouverture.
Votre travail est admirable ; c’est d’une clarté et d’une fidélité rares, et aussi peu difficile qu’il était possible de le faire sans altérer ma partition. Je vous remercie donc de tout mon cœur. [CG no. 1777]

    La transcription de l’ouverture de Benvenuto Cellini pour piano à quatre mains, par Hans de Bülow, figure encore aujourd’hui en tête des partitions de l’édition allemande de cet opéra.

    Les dates des premières auditions et les numéros de ces trois ouvertures sont :

    Les Francs-Juges, 26 mai 1828, salle du Conservatoire (premier concert de Berlioz). Op. 3.

    Le Roi Lear, 22 décembre 1833 (et non 9 novembre 1834, comme on le croit communément), même salle. Op. 4.

    Le Carnaval romain, 3 février 1844, salle Herz. Op. 9.

    Il sera parlé de l’ouverture de Rob-Roy dans une autre partie de ce travail, consacrée aux compositions de Berlioz restées inédites de son vivant.

Le Ménestrel, 8 Octobre 1905, p. 324

OUVERTURE DU CORSAIRE

    Voilà une œuvre qui ne compte pas parmi les meilleures compositions orchestrales de son auteur. Il nous a pourtant été donné de l’entendre exécuter dans plusieurs circonstances : au Conservatoire, aux concerts de l’Opéra, et jusqu’à Grenoble pour le centenaire de Berlioz ; nous avons pu être ainsi parfaitement familiarisés avec elle. Si ces auditions répétées nous ont laissé une certaine impression d’incohérence, cette impression s’est accusée bien davantage quand nous avons examiné la partition autographe. Nous disions à propos de la Damnation de Faust que le manuscrit de ce chef-d’œuvre est le plus sale de ceux qu’a laissés Berlioz : cela est vrai si l’on s’en tient aux grands ouvrages ; mais si nous comprenons les œuvres de moindres dimensions, l’ouverture du Corsaire aura nécessairement la palme.

    Et d’abord, arrêtons-nous au titre : il le mérite. Voici ce qu’on lit :

Ouverture du
(Ici une énorme rature)
CORSAIRE…..
par HECTOR BERLIOZ
Œuvre 21.

    Le nom de l’auteur et le numéro d’œuvre sont écrits au crayon rouge. A droite du mot « Corsaire », le même crayon a biffé le mot « rouge », très lisible encore. Le titre voulu d’abord par Berlioz était donc celui de Corsaire rouge. En haut à droite de la feuille est la signature du compositeur, écrite à l’encre.

    Mais ce n’est pas tout : si chargée que soit la première rature (à l’encre), elle permet de lire les mots qu’elle recouvre. Or, ces mots sont les suivants :

La Tour de Nice.

    Voilà une constatation qui ne manquera pas d’intéresser grandement ceux qui sont bien au courant de la production de Berlioz. Ils savent qu’en 1844, à la suite du grand festival de l’Industrie dont le récit circonstancié est fait au chapitre LII des Mémoires, Berlioz, malade de surmenage, fut se reposer quelques semaines à Nice, où il se nicha dans une tour appliquée contre le rocher des Ponchettes. Cette tour lui inspira, paraît-il, une composition orchestrale, qu’il fit entendre à Paris l’hiver suivant, et qui fut unanimement blâmée. Il ne la remit plus jamais sur aucun programme, ne la publia pas, et tout le monde s’accordait à la considérer comme perdue.

    La constatation ci-dessus nous apprend qu’elle n’a pas été complètement détruite, et que l’ouverture de la Tour de Nice subsiste en partie dans celle du Corsaire.

    Les observations relatives aux deux phases de cette composition sont facilitées par un détail graphique qui permet de suivre d’un bout à l’autre du manuscrit ce qui appartient à l’une, et à l’autre. Titre et partition sont écrits de deux écritures, ou plutôt de deux plumes différentes : celle de la Tour de Nice est fine, celle du Corsaire grosse et appuyée. L’Allegro assai du début est écrit avec la plume fine : il appartenait à la Tour de Nice ; son dessin d’un cliquetis heurté devait naturellement donner prise aux critiques qui furent adressées à cette composition. A partir de la 4e page, l’autre plume écrit un développement de huit pages, comprenant entre autres tout l’Adagio sostenuto, la meilleure partie de l’ouverture du Corsaire : le perfectionnement apporté à l’œuvre primitive s’y marque nettement. Dans le développement de l’Allegro, la plume fine reparait ; les ratures se multiplient ; des collettes sont ajoutées par le copiste. Tous les thèmes, sauf celui de l’Adagio, semblent appartenir à la première composition ; mais beaucoup de pages, notamment celles qui terminent la péroraison, sont écrites à nouveau ; cependant il suffit de remonter quelques pages plus haut pour trouver, au milieu d’innombrables coupures, l’écriture première. Si c’étaient là les « coups de plume » dont a parlé Wagner à propos des symphonies de Berlioz, nous ne lui aurions pas tant reproché cette expression mal séante !

    La Bibliothèque du Conservatoire possède, outre la partition autographe complète de cette ouverture, trois feuillets (six pages) détachés, également autographes, sur chacun desquels se lit, de la main bien connue du copiste de Berlioz : Ouverture du Corsaire rouge. Ces mots, sans aucune rature, confirment les indications relatives au titre qui nous avaient été fournies par la partition elle-même.

    L’Ouverture du Corsaire a été exécutée pour la première fois aux concerts de la Société Sainte-Cécile, le 1er avril 1855. Elle a été publiée sous le no d’op. 21, pour orchestre, puis pour piano à 4 mains (Richault).

    Les constatations ci-dessus prouvent que cette œuvre n’a été ni composée ni même ébauchée à Rome en 1831, ainsi que l’ont avancé, sans produire aucun indice à l’appui de cette assertion, la plupart des biographes.

Site Hector Berlioz créé par Monir Tayeb et Michel Austin le 18 juillet 1997; page Julien Tiersot: Berlioziana créée le 1er mai 2012; cette page créée le 1er janvier 2013.

© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.

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