2016
Cette page présente les comptes-rendus d’exécutions et représentations qui ont eu lieu en 2016. Nous remercions très vivement les auteurs de leurs précieuses contributions.
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Par Pierre-René Serna
- 20 août après-midi : intégrale des trios de Beethoven (suite), François-Frédéric Guy (piano), Tedi Papavrami (violon) et Xavier Phillips (violoncelle) ; 20 août en soirée : Ouverture des Francs-Juges, les Nuits d’été, Harold en Italie, orchestre les Siècles, François-Xavier Roth (direction), avec Anne Sofie von Otter (mezzo) et Adrien La Marca (alto).
- 21 août après-midi : intégrale des trios de Beethoven (suite et fin) ; 21 août en soirée : Roméo et Juliette, Orchestre Révolutionnaire et Romantique, Monteverdi Choir et National Youth Choir of Scotland, John Eliot Gardiner (direction), avec Julie Boulianne (soprano), Jean-Paul Fouchécourt (ténor) et Laurent Naouri (baryton).
- 28 août après-midi : intégrale Chopin pour piano solo (septième concert), Abdel Rahman El Bacha (piano) ; 28 août en soirée : Benvenuto Cellini (de concert), Orchestre du Gürzenich de Cologne, Chœur de l’Opéra de Cologne, solistes, François-Xavier Roth (direction).
« La Côte-Saint-André (…) se dressent au loin, chargés de glaciers, les pics gigantesques des Alpes. » « … derrière ces Alpes, l’Italie » (Mémoires). Le hasard de la programmation a donc voulu que les trois grands concerts de la dernière édition du Festival Berlioz évoquent cette Italie dont la Côte-Saint-André semble comme la promesse : avec Harold, Roméo et Benvenuto. Puisque ces concerts reviennent aux deux interprètes de choix que le festival s’honore d’inviter régulièrement : les chefs d’orchestre François-Xavier Roth et John Eliot Gardiner.
Mais on n’aurait garde d’oublier les concerts annexes, qui laissent une part plus congrue à Berlioz et à ses grandes œuvres, et illustrent en l’espèce (mieux) le thème choisi pour cette édition dédiée aux « sorcières ». On relève aussi le succès croissant de l’entreprise, année après année, depuis sa prise en main par Bruno Messina, avec des concerts et manifestations où le public fait le plein. Le Festival Berlioz, qui réunit accessoirement toute la presse spécialisée, s’inscrit désormais parmi les manifestations musicales courues de l’été français. Beau résultat !
Et ce, en dépit – il faut bien le déplorer – de la dégradation que subit depuis ces dernières années la petite commune : dégradation architecturale, avec nombre de bâtiments historiques à l’état de ruine ou démolis d’une année sur l’autre (à quand le tour de l’église XIXe siècle, laissée pitoyablement à l’abandon à l’entrée de la bourgade ?), et des constructions de béton et de spéculation immobilière passe-partout qui défigurent ce qui reste (et restait encore il y a une trentaine d’années) dans l’intérieur d’un ancien tracé médiéval ; jusques et compris dans un secteur théoriquement « sauvegardé », face au Musée, contrevenant à toute prescription officielle. Mais aussi, conséquence induite, la dégradation de la petite vie urbaine, où les commerces ferment, où il est dorénavant impossible de trouver un café ou restaurant, parmi les derniers encore restants, ouvert tard en soirée (et après concert), dans des ruelles désertes ou devenues mal famées. La Côte s’est convertie, le temps passant, comme une manière de banlieue, de Lyon ou de Grenoble, sans réelle vie autochtone. Triste constat ! Et réceptacle peu propice à une fête estivale !
On notera aussi, toujours au chapitre des remarques générales, la mise en sommeil, pour l’instant du moins, du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz. L’avenir dira ce qu’il en est de cette belle entreprise, créée sous l’égide de François-Xavier Roth et qui se produisait au festival depuis 2010. Mais on comprend que Roth, en lourde charge de « Generalmusikdirektor » de la Ville de Cologne depuis octobre 2015, en sus de son orchestre les Siècles, ne puisse indéfiniment multiplier ses responsabilités.
OUVERTURE MUSICALE
À François-Xavier Roth, donc, revient de diriger l’entrée musicale solennelle du festival (après une première journée en forme de réjouissances parmi des chemins de campagne). Prend ainsi place à la Côte-Saint-André même, un concert purement Berlioz, comme il se doit. L’ouverture des Francs-Juges (provenant du sombre opéra de toute jeunesse, achevé mais par la suite abandonné et dépecé), reste assez inhabituelle au concert, mais on n’en attendait guère un tel renouvellement. La disposition de l’orchestre, celui sur instruments et style originaux des Siècles, pique déjà l’intérêt : ses cordes au premier plan dans la répartition habituelle d’époque (violons 1 et 2 de part et d’autre), mais avec les contrebasses en arrière-fond sur une petite estrade, l’ophicléide et les trombones isolés de côté droite. D’emblée, frappe alors un relief inaccoutumé, cuivres rugissants et cordes virevoltantes ; pour ensuite se poursuivre dans un monde sonore de contrastes et d’étrangetés, à travers la crudité de ses juvéniles embardées sous la battue emportée de Roth.
Les Nuits d’été succèdent, dans une texture tout autre et un orchestre devenu infiniment subtil. Si Anne Sofie von Otter, qui a fait de ce cycle mélodique son régulier cheval de récitals, ne recèle plus exactement les élans qui ont fait naguère sa notoriété, l’émotion reste intacte (comme un suprême adieu ?). Alors même que les instrumentistes comme la soliste pâtissent de l’acoustique, peu propice à l’intimité, de l’auditorium tubulaire provisoire en semi-plein-air sis dans la cour du château. En seconde partie, Harold retrouve des accents débridés ou rêveurs, portés par l’alto inspiré d’Adrien La Marca, apparu des coulisses (joli effet de scène, apparemment non précisé par Berlioz) et un orchestre lui répondant d’un seul jet. Seul réel achoppement de ce magnifique concert : une Marche hongroise, en bis superfétatoire, délivrée à la va-vite, face à un public ravi qui applaudit à tout rompre avant les toutes dernières mesures !
ROMÉO UNIVERSEL
Le lendemain, autre concert magistral : Roméo et Juliette, porté par un Gardiner qui marque de son auguste présence le Festival Berlioz depuis trois éditions. Le concert reprend celui donné le 30 juillet dernier aux Proms londoniens, avec les mêmes forces musicales. Comme on pouvait s’y attendre, Sir John Eliot ne faillit pas à sa glorieuse réputation, sachant allier interprétation rigoureusement souveraine, respectueuse aux plus près des indications de Berlioz (y compris les paires de petites cymbales antiques sur le devant du plateau), et approche hors des conventions. C’est ainsi que la « symphonie dramatique » se complète de deux apports : le Deuxième Prologue (rétabli et orchestré par Oliver Knussen) qui précède le « Convoi de Juliette », et le froid et bref « Requiem aeternam » qui ponctue ce mouvement, psalmodié a capella par le petit chœur. Deux passages originaux, écartés ensuite par le compositeur, que Gardiner avait déjà gravés sur disque et qui constituent deux ajouts appréciables.
Pour ce qui est de l’interprétation, la seule réserve serait à émettre du côté des solistes vocaux. Julie Boulianne débite ses Strophes sans le legato phrasé ni l’expression poétique qui se devraient. Jean-Paul Fouchécourt lance un peu trop promptement son Scherzetto. Quant à Laurent Naouri, il compense par l’intelligence expressive une puissance qui fait parfois défaut dans ses Stances finales.
Côté orchestre, les imperceptibles pianissimos marqués ppp ont tendance à devenir mal perceptibles (toujours l’acoustique de l’auditorium provisoire !), mais, avec l’appoint de chœurs impressionnants, la tension générale prend au corps. Éperdument maintenue, n’était l’interruption d’applaudissements spontanés, sympathiques mais intempestifs, d’un public lourd d’attention par ailleurs comme dans l’ensemble des concerts. Jusqu’à l’éclatement du Finale, vibrant hymne de réconciliation et de paix entre les peuples rarement aussi senti et transmis, comme d’une seule voix universelle. Entre les Britanniques et Berlioz, l’accord est parfait. La prochaine édition du festival, avec pour thème prévu « Berlioz et l’Angleterre », ne saurait que le confirmer.
BENVENUTO À VIF
Deux jours avant la clôture du festival, autre grand moment : Benvenuto Cellini. Et grande première à la Côte-Saint-André ! Il s’agit ici aussi d’une reprise, venue du spectacle donné en novembre 2015 à Cologne, mais cette fois en version de concert. C’est ainsi que l’on retrouve les mêmes participants musicaux, à une seule exception près ; à noter que ce concert prélude lui-même à une reprise du spectacle colonais (du 18 septembre au 3 octobre prochains). D’où, sous la direction d’un Roth méticuleusement déchaîné, une réalisation parfaitement rodée et aboutie de ce « super opéra » (selon le mot du maestro). Car est présentée l’impétueuse et exigeante version dite « Paris 1 », dans la multiple splendeur de ses audaces premières, et cette fois mieux fidèlement restituée qu’antérieurement à Cologne ; en omettant de façon justifiée le premier air de Cellini (des versions « Paris 2 » et « Weimar »), bien que soit toujours conservé, malencontreusement, l’air d’Ascanio du second acte (lui aussi provenant des versions ultérieures).
Le premier tableau du premier acte souffre toutefois d’un déséquilibre sonore, l’orchestre directement sur le plateau et hors de toute fosse (au sein toujours de l’auditorium de la cour du château côtois) ayant tendance à couvrir les voix solistes. Mais peu à peu l’équilibre se fait, et s’accomplit jusqu’à un second acte irradiant de tous ses ingrédients musicaux ardemment conjugués. Parmi les solistes, tous seraient à citer, au sein d’un véritable travail de troupe (comme il n’en existe pas dans les Opéras de France), d’une parfaite cohésion. Demeurent ainsi judicieusement adaptés, sinon encore mieux : Ferdinand von Bothmer, Cellini endurant et de style adéquat (avec ses aigus de tête, malgré quelques notes arrachées) ; Emily Hindrichs, à l’ardeur délicate qui sied à Teresa ; Vincent Le Texier, seul francophone de la distribution et Balducci diseur avec brio ; Katrin Wundsam, Ascanio de resplendissante facture ; Nikolay Didenko, Pape tout en onction majestueuse ; le Francesco de John Heuzenroeder ; le Cabaretier d’Alexander Fedin ; le Pompeo de Wolfgang Stefan Schwaiger… Mais aussi le Fieramosca de Miljenko Turk, le petit nouveau de la distribution, d’une irrésistible faconde bien lancée. L’orchestre et le chœur ne sont pas en reste, entre ardeurs et raffinements mêlés. Un travail approfondi magnifiquement mené ! Tout juste peut-on regretter, d’un point de vue pratique, l’absence de surtitres, qui auraient aidé les auditeurs (du moins ceux n’ayant pas déboursé pour le livret produit par le festival, du reste non toujours conforme à la version offerte) ; auditeurs quelque peu perdus, comme nous l’avons constaté autour de nous, dans la compréhension d’une trame échevelée.
RÉCITALS
En marge de ces grands concerts, s’insèrent les récitals d’après-midi dans la petite église romane de la ville. Ainsi des derniers épisodes de l’intégrale des trios de Beethoven, dans un goût musical du phrasé partagé selon Guy, Papavrami et Phillips. Une manière, par ailleurs, d’hommage déguisé à Berlioz, et à son goût réputé pour les trios beethovéniens. Ou aussi, dans la même église, l’intégrale Chopin marathon, livrée par un athlétique El Bacha sur un piano Bechstein.
BENVENUTO AU MUSÉE
Mais le festival reste l’occasion d’une visite prolongée au Musée Hector-Berlioz, toujours animé par la passion éclairée d’Antoine Troncy. C’est ainsi, en contrebas du détour obligé des salles coutumières de la belle demeure, que le Musée célèbre à sa manière Benvenuto Cellini : à travers la captivante exposition « Cellini, une Orfèvrerie musicale ». Une exposition en tous points remarquable ! Elle suit un parcours en quatre actes, ou deux actes divisés en deux tableaux : le personnage lui-même de Cellini ; la conception de Berlioz pour son opéra ; les créations de l’œuvre du vivant du compositeur ; des illustrations de mises en scènes contemporaines. À travers de nombreux documents d’époque, dont des manuscrits de lettres appartenant au fonds du Musée, des costumes sur mannequins de la production de l’Opéra de Paris en 1972 (prêt exceptionnel du Centre national du costume de scène), des images de maquettes de costumes ressorties des réserves de la bibliothèque de l’Opéra de Paris, dont certaines de la création en 1838 jusqu’ici cachées aux amateurs. Ainsi que des extraits audios et vidéos, de réalisations récentes de cet opéra, notamment à l’Opéra du Rhin en 2006, et de la récente production de l’English National Opera de Londres. (Jusqu’au 31 décembre.)
Pierre-René Serna
Site Hector Berlioz crée par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; page Comptes-rendus de concerts créée en 1999; complètement remaniée le 25 décembre 2008.
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