Par
Christian Wasselin
© 2009 Christian Wasselin
Berlioz : Critique musicale, vol. 6 (1845-1848)
Buchet-Chastel, 2008, 543 p., 49 euros.
La publication des huit volumes de la Correspondance générale de Berlioz, chez Flammarion, avait pris plus de trente ans (commencée en 1972, elle s’est achevée en 2003, sachant que les corridors berlioziens bruissent toujours de la rumeur d’un neuvième volume). Celle des feuilletons écrits de 1823 à 1863 par le compositeur, entreprise en 1996 par Buchet-Chastel sous le titre un peu réducteur de Critique musicale, avance à un rythme plus soutenu : le sixième volume, sur les dix prévus, vient en effet de paraître.
Une autre différence concerne la taille de ces livres : plus on avance dans la Correspondance en effet, plus les volumes sont épais et embrassent un nombre d’années restreint. Rien de tel concernant l’activité journalistique de Berlioz : excepté le premier, qui couvre ses dix premières années dans ce domaine, les volumes successifs réunissent chacun deux ou trois années de collaboration, et sont d’une égale épaisseur. Il est sans doute moins hasardeux de rééditer des articles déjà publiés dans des périodiques, que de réunir des lettres dispersées aux quatre vents dont on ne peut même pas évaluer le nombre exact.
Ce sixième volume, qui couvre les années 1845-1848, ne propose que des articles du Journal des Débats (pour chacune des années 1845 à 1848) et de la Revue et Gazette musicale (1848 seulement). Berlioz concentre son activité sur l’essentiel, il est vrai aussi qu’il voyage beaucoup : en octobre 1845 il se rend en Europe centrale où il conçoit La Damnation de Faust ; après l’échec de celle-ci, il part pour la Russie puis, sans transition, pour Londres, où il reste près de neuf mois (pendant lesquels il ne publie aucun article) et où il commence à écrire ses Mémoires. Années de crise donc, 1848 voyant aussi la mort du père de Berlioz et la révolution (laquelle pour Berlioz signifiait la fin prochaine de l’art et des artistes), mais aussi, paradoxalement, années de fantaisie quand on se plonge dans ces quelque cinq cents pages de textes. Outre les comptes rendus et les articles sur la vie musicale parisienne auxquels on s’attend, on trouve en effet dans ce volume les lettres reprises plus tard par Berlioz dans ses Mémoires, qui traitent de ce qu’il appelle son «Deuxième Voyage en Allemagne» (en réalité le voyage en Europe centrale que nous avons cité). Dans leur version originale publiée ici, ces lettres sont légèrement différentes ; elles sont adressées pour partie à Humbert Ferrand, pour partie à Ferdinand Friedland, et comportent la nouvelle Le Harpiste ambulant qui sera reprise, elle, dans Les Soirées de l’orchestre. On sait que Berlioz utilisa nombre de ses textes à plusieurs reprises pour les publier, plus ou moins modifiés, dans différents contextes, on sait aussi que dans son œuvre d’écrivain l’invention surgit à chaque détour de phrase. Ici, les récits de voyage de Berlioz, qui transcendent largement la critique musicale, sont d’une drôlerie et d’un allant irrésistibles, ce qui n’exclut pas, au contraire, la richesse de l’information. Les digressions ne sont pas moins savoureuses dans les articles qui appelleraient a priori de moins vastes développements (le début de l’article sur Jeanne la Folle de Clapisson, p. 426). On rêve, à la lecture de ces pages (faut-il dire de ces lettres ? de ces articles ? de ces récits d’aventure ?) à la belle liberté qui régnait alors dans la presse ou plutôt à celle que s’octroyait Berlioz. A l’heure des blogs, des quotidien dits gratuits, de la pensée formatée, des interdits proliférants et du charabia institué, relire le Journal des Débats ou la Gazette donne, au choix, des ailes ou de la nostalgie.
Ce qui n’empêche pas Berlioz, ailleurs, de nous parler avec précision des opéras qu’il voit et qu’il entend (de Zémir et Azor de Grétry au Val d’Andorre de Halévy), de s’intéresser de près à des sujets qui le passionnent depuis toujours (la facture instrumentale avec l’orgue percussion ou l’antiphonal harmonium, les salles de concert avec les projets de Barthélémy et de Sax, la formation des jeunes musiciens, etc.). Inutile de dire que la remise au goût du jour des opéras-comiques oubliés ou la taille et la nécessité des salles de concert sont des sujets qui restent étrangement ou naturellement, comme on voudra, d’une éclatante actualité.
La représentation de la musique dite classique, avec ses voix, ses instruments, ses artifices, ses conventions, a finalement peu évolué depuis deux ou trois siècles (contrairement à la reproduction de cette musique via la radio, le disque et aujourd’hui internet). Berlioz à la fois dénonce le peu d’intérêt qu’on lui porte tout en célébrant malgré tout sa capacité de survie. Serait-ce que le pire, en 2009 comme en 1848, n’est pas tout à fait à craindre ?
Christian Wasselin
Nous remercions vivement notre ami Christian Wasselin de nous avoir envoyé cet article.
Voyez aussi sur ce site:
Berlioz en Allemagne et en Europe Centrale
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 11 février 2009.
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