Site Hector Berlioz

Colin  Davis

Par

Christian Wasselin

© 2008 Christian Wasselin

    L’éternel retour ? C’est le retour perpétuel de Sir Colin Davis à Berlioz, un compositeur qui a fait sa célébrité dans les années 60, qu’il a toujours servi avec une affection, un naturel, une rigueur hors du commun, et qu’il retrouvera les 5 et 7 février prochain à la faveur d’un nouvel épisode du cycle commencé il y a plusieurs saisons déjà en compagnie de l’Orchestre National. A l’affiche, cette fois, un opéra-comique de Berlioz souvent malmené : Béatrice et Bénédict.

    Colin Davis, indissolublement lié à Berlioz ? Certes. Et ce n’est pas un hasard s’il revient à la tête de l’Orchestre National, près d’un quart de siècle après une inoubliable Damnation de Faust, pour nous offrir un Béatrice et Bénédict qu’on peut d’ores et déjà imaginer de haut vol et qui fait suite aux précédents jalons du cycle qu’il a commencé il y a quelques années (la Symphonie fantastique et Les Nuits d’été en 2005, Roméo et Juliette en 2006 et, dans quelques semaines, les 11 et 13 juin 2008, le Requiem).

    Davis a enregistré trois fois Béatrice et Bénédict, et ces trois enregistrements se ressemblent ? Raison de plus  : Davis, à l’instar de Charles X, n’a rien oublié ni rien appris avec le temps : il s’est fixé une vision des œuvres de Berlioz, une fois pour toutes, et n’en a guère changé. Et comme cette vision était lumineuse et exaltante, qui s’en plaindrait ?

    D’ailleurs, ces trois enregistrements ne se ressemblent que musicalement, par le choix des tempos, par le regard de Davis. Mais ils diffèrent par l’ambiance, par la couleur, grâce au choix des solistes : presque uniquement anglophones (Josephine Veasey, John Mitchinson, April Cantelo) dans la première version enregistrée en 1962 pour Oiseau-Lyre ; mi-anglais (Janet Baker, Robert Tear), mi-francophones (Christiane Eda-Pierre, Jules Bastin) pour la deuxième version, gravée en 1977 pour Philips ; très internationale dans la troisième version, celle de la collection LSO Live (Enkeljda Shkosa, Kenneth Tarver, Susan Gritton).

    Et puis, il y a la question des dialogues : supprimés dans les première et troisième version, largement amputés dans la deuxième ; ils seront sans doute restitués intégralement, à leur place, en toute simplicité, dans les deux concerts de février prochain. Hormis la somptueuse Joyce DiDonato, qui sera en effet Béatrice, la distribution sera essentiellement francophone et devrait faire merveille.

L’histoire d’un amour

    Tout a commencé le jour où il interpréta, au poste de clarinettiste, l’Enfance du Christ : ce jour-là, ce fut une révélation. Davis s’appropria littéralement Berlioz, qui devint son intime et dont il se fit une idée immédiatement précise et définitive. Au point que seules les distributions, depuis quarante ans, apportent des changements notables à ses interprétations et à ses enregistrements successifs des œuvres vocales de Berlioz. A-t-il eu raison avant tout le monde ?

    Car on a beau vouloir se faire l’avocat du diable, esssayer de lui trouver des failles, prétendre qu’il a occupé un terrain laissé vide par d’autres, il n’empêche : Colin Davis est qu’on le veuille ou non le chef qui depuis quarante ans a le plus fait pour Berlioz. On a cité Béatrice et Bénédict, mais qui a enregistré trois fois les Nuits d’été, l’Enfance du Christ et Harold en Italie, deux fois les Troyens, Cléopâtre et la Damnation, quatre fois la Fantastique ? Le flambeau a été repris par John Eliot Gardiner, par Roger Norrington, mais sait-on que ces chefs d’orchestre ont joué, autrefois, sous la direction de Davis ?

    Et qu’on ne lui fasse pas le procès du flegme ou de la réserve so British : encore un préjugé à démolir ! Il suffit d’avoir assisté à un concert dirigé par Davis pour mesurer à quel point il s’engage de tout son être. Il suffit aussi d’écouter un enregistrement, mettons celui du Requiem, implacable et ineffable, pour comprendre la vision qu’a Davis de la musique de Berlioz : choix des tempos (plutôt mesurés), art des contrastes et du relief (le «Rex tremendae» est vraiment ici d’une redoutable majesté), ampleur de l’ensemble, soin apporté aux détails et la matière même des silences, tout nous comble. Le drame et la prière ne font qu’un : la polyphonie des timbales est la plus terrifiante jamais enregistrée, les phrases de cordes cisaillantes (dans la reprise des fanfares du «Tuba mirum»), le «poco sf» des violoncelles et contrebasses sur lequel prend appui le crescendo final du «Lacrymosa», la pulsation des bois et l’entrelacs des cordes dans l’«Offertoire», tout nous saisit jusqu’à la lumineuse péroraison de l’«Agnus dei». Réécoutez aussi Benvenuto Cellini, et vous saurez ce qu’euphorie et fougue réglée (comme l’exige Berlioz) veulent dire.

    Si Colin Davis incarne cette double vertu de précision et de sentiment intime de la musique, on ne s’étonnera pas qu’il ait toujours dirigé Berlioz comme un disciple que le compositeur n’a jamais eu. Mais Mozart et Sibelius, pour n’en citer que deux, appartiennent aussi à son panthéon : n’ayons garde d’étiqueter un artiste dont la fantasy est aussi l’une des vertus.

Christian Wasselin

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* On trouve chez Philips et dans la collection « LSO live » (distribuée en France par Harmonia mundi) l’essentiel des enregistrements de Colin Davis consacrés à Berlioz.

Cet article a été publié dans Fantastique, le webmagazine de Radio France [le webmagazine n’existe plus].

Nous remercions vivement notre ami Christian Wasselin de nous avoir accordé la permission de reproduire cet article sur ce site.

Voyez aussi sur ce site:

Ce que je dois à Sir Colin, par Christian Wasselin

Archive des concerts –  juin 2008

Calendrier des concerts –  France: 5 et 7 février 2009

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