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A TRAVERS CHANTS

Par

HECTOR BERLIOZ

XVII. ABOU-HASSAN

OPÉRA EN UN ACTE DU JEUNE WEBER

L’ENLÈVEMENT AU SÉRAIL

OPÉRA EN DEUX ACTES, DU JEUNE MOZART

LEUR PREMIÈRE REPRÉSENTATION AU THÉATRE LYRIQUE

19 mai 1859

    Abou-Hassan est une sorte de Turc amoureux d’une sorte de jeune Turque ; il a mauvaise tête et bon cœur, dit-on ; il fait des dettes. On lui donne de l’argent ; au lieu de l’employer à satisfaire ses créanciers, il achète des présents pour sa belle. Il faut payer enfin ; il ne le peut. Or le pacha son maître a pour habitude de donner 1000 piastres (je ne suis pas sûr de l’espèce de la monnaie) pour les funérailles de chacun de ses serviteurs. Abou-Hassan imagine de contrefaire le mort. Sa maîtresse (c’est peut-être bien sa femme) rivalise de zèle avec lui, et contrefait la morte. Le pacha aura donc à donner deux mille piastres. Cette somme tirera d’affaire nos amoureux. Mais le pacha découvre la ruse, il en rit, il est désarmé, il pardonne. Les amants ou les époux ressuscitent. Tout le monde est content.

    Weber avait dix-sept ans, dit-on, quand il écrivit la partition de cette pièce ingénieuse. On dit même que M. Meyerbeer l’aida tant soit peu dans son travail, mais qu’il n’avait alors, lui, que seize ans et demi. De sorte que l’auteur des Huguenots est aujourd’hui dans l’impossibilité la plus absolue de reconnaître les morceaux dont il a orné l’œuvre de son ami, et que si quelque vieux bibliophile venait lui dire avec assurance : « Cet air est de vous », il serait capable de faire la réponse du bon La Fontaine, à qui on désignait un petit jeune homme comme son fils, et qui répliqua : « C’est bien possible ! »

    Tant il y a que la partition d’Abou-Hassan contient plusieurs drôleries fort jeunes, d’assez bonne tournure, entre autres un air que Meillet a supérieurement chanté, et qu’on a redemandé avec de grandes acclamations. Meillet d’ailleurs joue son rôle tout entier avec entrain et une verve de bon goût. Il y a obtenu un succès complet de chanteur et d’acteur.

    L’opéra de l’Enlèvement au sérail est beaucoup plus vieux que celui d’Abou-Hassan, et Mozart, lorsqu’il l’écrivit, n’avait peut-être pas encore dix-sept ans. Les personnes désireuses de savoir au juste ce qu’il en est peuvent consulter le livre de M. Oulibicheff, un Russe qui savait à quelle heure précise l’auteur de Don Giovanni écrivit la dernière note de telle ou telle de ses sonates pour le clavecin, qui tombait pâmé à la renverse en entendant deux clarinettes donner l’accord de tierce majeure (ut mi) dans l’orchestre du premier venu des opéras de Mozart, et qui se levait indigné si ces deux mêmes clarinettes faisaient entendre les deux mêmes notes dans le Fidelio de Beethoven. M. Oulibicheff a conservé toute sa vie un doute cruel : il n’était pas bien sûr que Mozart fût le bon Dieu...

    L’Enlèvement est précédé d’une petite ouverture en ut majeur, d’une impayable naïveté et qui a produit peu de sensation ; c’est à peine si le parterre y a pris garde. Cela fait, ne vous en déplaise, l’éloge du parterre ; car en vérité, si tant est qu’on puisse dire à peu près la vérité là-dessus, le père Léopold Mozart, au lieu de pleurer d’admiration, comme à l’ordinaire, devant cette œuvre de son fils, eût mieux fait de la brûler et de dire au jeune compositeur : « Mon garçon, tu viens de produire là une ouverture bien ridicule ; tu as dit ton chapelet avant de la commencer, je n’en doute pas, mais tu vas m’en faire une autre, et cette fois tu diras ton rosaire pour obtenir des saints qu’ils t’inspirent mieux. » Raca ! abomination ! blasphème ! vont s’écrier tous les Oulibicheff, en déchirant leurs vêtements et en se couvrant la tête de cendres, blasphème ! abomination ! raca ! — Holà ! calmez-vous, hommes vénérables, ne déchirez pas vos vêtements, couvrez-vous la tête de poudre à poudrer, s’il vous plaît, mais non de cendres, car il n’y a pas de blasphème ni d’abomination dans l’énoncé de notre opinion ; il est aujourd’hui tout à fait prouvé que Mozart, à quinze ans surtout, n’était pas le bon Dieu. Sachez en outre que nous l’admirons plus que vous, que nous le connaissons mieux que vous, mais que notre admiration est d’autant plus vive qu’elle n’est le résultat ni d’impressions puériles ni d’absurdes préjugés.

    La pièce de l’Enlèvement est encore une pièce turque. Il y a l’éternelle esclave européenne qui résiste à l’éternel pacha. Cette esclave a une jolie suivante ; elles ont l’une et l’autre de jeunes amants. Ces malheureux s’exposent à se faire empaler pour délivrer leurs belles. Ils s’introduisent dans le sérail, ils y apportent une échelle, voire même deux échelles.

    Mais Osmin, un magot turc, homme de confiance du pacha, déjoue leurs projets, enlève une des échelles, arrête les quatre personnages et va les livrer à la fureur du pal, quand le pacha, qui est un faux Turc d’origine espagnole, apprenant que Belmont, l’amant de Constance, est le fils d’un Espagnol de ses amis qui, jadis, lui sauva la vie, se hâte de délivrer nos amoureux et de les renvoyer en Europe, où il est probable qu’ils ont ensuite beaucoup d’enfants.

    C’est aussi fort que cela.

    Vous dire que Mozart a écrit là-dessus une merveille d’inspiration serait encore plus fort. Il y a une foule de jolis petits morceaux de chant sans doute, mais aussi une foule de formules qu’on regrette d’autant plus d’entendre là que Mozart les a employées plus tard dans ses chefs-d’œuvre, et qu’elles sont aujourd’hui pour nous une véritable obsession.

    En général, la mélodie de cet opéra est simple, douce, peu originale, les accompagnements sont discrets, agréables, peu variés, enfantins ; l’instrumentation est celle de l’époque, mais déjà mieux ordonnée que dans les œuvres des contemporains de l’auteur. L’orchestre contient souvent ce qu’on appelait alors la musique turque, c’est-à-dire la grosse caisse, les cymbales et le triangle, employés d’une façon toute primitive. En outre, Mozart y a fait usage d’une petite flûte quinte, en sol (dite en la à l’époque où les flûtes ordinaires étaient appelées en ré). Quelquefois cet instrument y est réuni en trio aux deux grandes flûtes.

    Si le premier air d’Osmin portait le nom d’un compositeur vivant, on aurait le droit de le trouver assez dépourvu d’intérêt ; si les trois couplets chantés ensuite par ce personnage étaient dans le même cas, à coup sûr on ne les eût pas bissés. Le chœur, avec accompagnement de musique turque, a le caractère indiqué par le sujet. Le duo à six-huit entre Osmin et la suivante, peu coloré, peu saillant, contenant beaucoup de notes aiguës que le soprano doit lancer à ses risques et périls, est d’un effet assez disgracieux. L’allegro de l’air suivant offre une fâcheuse ressemblance avec l’air populaire parisien, En avant, Fanfan la Tulipe ! que Mozart, à coup sûr, n’a jamais connu. Il faut donc retourner la phrase, faire du blâme un éloge, et dire : le pont-neuf populaire parisien a l’honneur de ressembler au thème d’un allegro de Mozart.

    L’air de Belmont, au contraire, est mélodieux, expressif, charmant. Le quatuor, d’une naïveté extrême, prend vers la coda un peu d’animation, grâce à l’intervention d’un trait de violon rapide. Une marche avec sourdines termine bien le premier acte.

    L’air de la soubrette est malheureusement entaché de ces traits et de ces vocalisations grotesques employés par Mozart, même dans ses plus magnifiques ouvrages. C’était le goût du temps, dira-t-on ; tant pis pour le temps, et tant pis pour nous maintenant. Mozart, à coup sûr, eût mieux fait de consulter son goût à lui. La partie de soprano de ce morceau est, d’ailleurs, écrite trop constamment dans le haut. Ce défaut dut être moins sensible à l’époque où le diapason était d’un grand demi-ton plus bas que le diapason actuel.

    Les couplets fort plaisants chantés par Bataille et Froment, ont eu les honneurs du bis. L’air en d’Osmin, qui leur succède, offre cette particularité, très-remarquable chez Mozart, d’un thème rhythmé de trois en trois mesures, suivi d’une phrase rhythmée de quatre en quatre. Mozart lui-même ne croyait pas qu’il fût insensé de rhythmer une mélodie autrement que dans la forme dite carrée ?... Tout un système se trouve dérangé par ce fait. Le rôle de Belmont contient encore une gracieuse romance ; la chanson du signal, avec son accompagnement de violons en pizzicato, est piquante ; mais, à mon sens, le meilleur morceau de la partition serait le duo entre Constance et Belmont, qui la termine. Le sentiment en est fort beau, le style beaucoup plus élevé que tout ce qui précède, la forme plus grande, et les idées en sont magistralement développées.

    L’Enlèvement, au dire de presque tous nos confrères de la critique musicale, a été exécuté au Théâtre-Lyrique avec la plus scrupuleuse fidélité. On a seulement mis en deux actes la pièce qui était en trois, interverti l’ordre de succession de quelques morceaux, retiré un grand air du rôle de madame Meillet pour le faire passer dans celui de madame Ugalde, et placé entre les deux actes la fameuse marche turque si connue des pianistes qui jouent Mozart.

    Allons ! à la bonne heure ! voilà ce qu’on doit appeler une scrupuleuse fidélité ! ...

 

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