Par Julien Tiersot |
Les touristes qui, cet été, dirigeront leurs pas vers les régions du Sud-Est de la France vont trouver un nouveau motif d’arrêt dans leur course en une petite ville qui jusqu’ici n’avait guère été pour eux qu’un lieu de passage ; à l’intersection des routes dont l’une se dirige de Lyon vers les plateaux entre Isère et Drôme et dont l’autre va de l’antique ville de Vienne à Grenoble, région intermédiaire entre le Rhône aux flots bondissants et les cimes hautaines et déchiquetées des Alpes du Dauphiné, La Côte-Saint-André les arrêtera un moment. Ils n’avaient guère eu l’envie jusqu’ici de stationner dans cette petite cité provinciale. Mais voici qu’il vient d’y être procédé à l’installation d’un musée qui évoque un grand souvenir d’art.
La Côte-Saint-André est la ville natale d’Hector Berlioz, et la maison où il est venu au monde et qui a appartenu à sa famille pendant deux siècles et plus, ayant été heureusement acquise par l’Association des « Amis de Berlioz », lui revient aujourd’hui et lui sera dédié désormais d’une façon permanente et définitive. Elle a reçu, pour y être conservés et montrés à tous, les souvenirs et les reliques que des mains pieuses se sont efforcées de rassembler, et qui, provenant de lui-même ou des siens, reprendront leur place légitime entre ces murs destinés à devenir un lieu de pèlerinage artistique.
La ville, par elle-même, est déjà un musée Berlioz. Elle a peu changé depuis le siècle bientôt et demi que l’auteur de la Damnation de Faust y a vu le jour, et tout y rappelle sa vie commençante. La maison natale a toujours sa façade régulière, un peu maussade, sur la rue principale, au centre de l’agglomération. Seule a disparu la maison d’en face, démolie pour faire place au tramway : c’était autrefois celle du forgeron, le père Ferlet, qui exaspérait le jeune homme en le réveillant tous les matins à 4 heures par le bruit cadencé de son enclume, « ce qui, a conté plaisamment Berlioz, n’a pas peu contribué à développer en moi le sentiment du rythme dont mes ennemis prétendent que je suis dépourvu ».
De Sutacio, pendant son voyage en Italie, alors qu’il avait conquis de haute lutte son prix de Rome, le futur auteur de l’Enfance du Christ, décrivant un paysage bucolique, disait ceci :
« J’ai cru entendre maman, il y a quinze ans, chantant ce couplet :
Que je voudrais avoir une chaumière
Dont un verger ombrage l’alentour
Pour y passer la saison printanière
Avec ma mie et ma muse et l’amour. »
Les romances, en effet, furent à la base de l’éducation musicale de Berlioz, et sa maison en offre des témoignages caractéristiques. On trouvera dans les vitrines qui garnissent les salles les manuscrits autographes de deux romances qui furent évidemment ses premières compositions et qui ont été écrites là : l’Arabe jaloux et une Invocation à 1’amitié, dédiée à deux de ses amis côtois, dont un Rocher. Elles ont pour paroles des vers de Florian — car Florian fut le premier poète par lequel ait été initié à la poésie celui qui devait être l’auteur du retentissant Requiem et du truculent pandémonium de la Damnation : c’est qu’à ce moment il était amoureux (il le fut toute sa vie) d’une belle jeune fille qui s’appelait Estelle et dont il rêvait d’être le Némorin.
Dans ces anciens papiers de La Côte on a retrouvé bien d’autres notations du même genre, écrites de sa main enfantine, sinon toujours composées par lui : romances Empire aux mélodies desquelles il ajoutait des accompagnements de sa façon, pour la guitare ; car la guitare était son instrument, le seul dont il sût jouer, avec la flûte.
Les mêmes vitrines contiennent aussi les instruments à vent de la musique de la garde nationale de La Côte-Saint-André, où, âgé de quinze ans, il faisait sa partie, ce qui fut son début public dans l’art musical, et il n’est pas douteux que quelqu’une des flûtes exposées ait été utilisée par lui. De même, un vieil examplaire de la méthode de Devienne fut celui d’après lequel il s’exerça et où il a trouvé les petits airs favoris dont il régalait les siens : la musette de Nina, et bien d’autres.
On ne saurait omettre de mentionner des autographes de toutes les époques de la vie de Berlioz, y compris ses lettres, par lesquelles il semble nous parler lui-même directement.
Sur les murs ont repris la place qu’ils occupaient autrefois les portraits de famille : le grand-père, avocat au parlement avant la Révolution, et la femme de celui-ci, habillée et coiffée à la mode du temps de Marie-Antoinette (très bonnes peintures) ; le père d’Hector, le bon médecin, ami des philosophes, bienveillant et sérieux tout ensemble ; puis les sœurs, peintes au temps de leur jeunesse. Quant à lui, il est représenté par des images diverses, peintures et sculptures ; et, pour contribuer à faire revivre ce passé, on a ajouté les portraits des plus illustres parmi ses contemporains, ses maîtres, ses amis, ses émules, qui semblent ainsi lui faire escorte. Ensemble parfaitement conçu, aussi complet qu’évocateur, et qui fait revivre d’une façon singulièrement attachante ce passé d’art déjà lointain.
JULIEN TIERSOT.
* Cet article a été saisi d’après un exemplaire de L’Illustration du 20 juillet 1935, dans notre collection. On a respecté l’orthographe de l’original.
** Erreur pour Subiaco. Julien Tiersot renvoie ici à une lettre de Berlioz à sa famille, écrite le 10 juillet 1831 à Subiaco (Correspondance générale no. 236).
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