3. PROGRAMMES, PROLOGUES ET PRÉFACES
Cette page présente les huit articles publiés par Julien Tiersot dans la série Berlioziana avec le sous-titre “Programmes, prologues et préfaces”. Voir la page principale Julien Tiersot: Berlioziana.
Note: pour les lettres de Berlioz citées par Tiersot on a ajouté entre crochets des renvois au numérotage de la Correspondance Générale, par exemple [CG no. 149].
Le Ménestrel, 26 Juin 1904, p. 203-205
Le maître de la musique à programme a pu à bon droit, tant sa tentative était neuve, éprouver quelque hésitation lorsqu’il lui fallut déterminer la forme exacte d’une œuvre telle que la Symphonie fantastique, véritable roman, composé de littérature et de musique, dont le texte écrit expose le sommaire, tandis que l’orchestre en trace les développements psychologiques et pittoresques. D’autres avant lui avaient connu ces difficultés. La question du pouvoir expressif de la musique est encore aujourd’hui trop discutée pour que les initiateurs de génie qui en trouvèrent intuitivement la solution n’aient pas eu quelques appréhensions lorsqu’ils réalisèrent pour la première fois la partie de la tâche qui leur était le moins familière, celle qui consistait à rédiger leur programme littéraire. Il en fut ainsi pour celui qui fut le grand modèle de Berlioz, Beethoven. L’on assure que presque toutes ses grandes œuvres lui furent inspirées par des idées étrangères à la pure musique ; cependant il n’en a presque jamais fait part au public. Une fois pourtant il voulut sortir de cette réserve : or, les documents originaux de la Symphonie pastorale nous offrent le spectacle instructif de ses tâtonnements.
Le manuscrit autographe de cet ouvrage, ancêtre glorieux de toute symphonie à programme, porte seulement le titre, suivi de quelques mots explicatifs :
Sinfia 6ta Da Luigi van Beethoven. — Sensations agréables et sereines qui s’éveillent chez l’homme arrivant à la campagne.
Au concert où elle fut donnée pour la première fois, elle était annoncée en ces termes :
Une symphonie sous le titre : Souvenir de la vie des champs.
La partition gravée lui donne enfin son titre définitif de Symphonie pastorale, et inscrit au début de chaque mouvement les sous-titres explicatifs qui nous sont connus : « Éveil de sensations sereines en arrivant à la campagne. — Scène près du ruisseau. — Joyeuse réunion de paysans. — Orage, tempête. — Chant de berger, sentiments joyeux et reconnaissants après la tempête. » Et, au verso de la première page, on lit cette observation par laquelle se montre clairement l’intention de Beethoven : « Plutôt une expression de sentiments qu’une peinture. »
L’on ne s’étonnera pas que les programmes de symphonies de Berlioz portent les traces de remaniements analogues, et bien plus considérables en raison de l’importance plus grande encore de ses commentaires littéraires.
Par une heureuse fortune, nous possédons sur la Symphonie fantastique toute une série de documents originaux (dont plusieurs ne sont pas connus) qui nous permettent de suivre la pensée de l’auteur depuis la conception première jusqu’à la réalisation définitive que consacra, longtemps après, la publication de l’ouvrage.
Ces documents sont les suivants :
1° Un manuscrit autographe de quatre pages comprenant, entièrement rédigé, le programme de l’Épisode de la vie d’un artiste. Symphonie fantastique en 5 parties.
2° Une lettre à Humbert Ferrand, du 16 avril 1830, contenant les confidences de Berlioz à son ami le jour même où il vient de terminer son œuvre.
3° Un article du Figaro du 21 mai 1830, annonçant la première audition projetée pour le 30 mai suivant (audition qui n’eut pas lieu) et donnant in extenso le programme de la symphonie.
4° Deux éditions différentes du programme distribué dans la salle du Conservatoire au concert du 5 décembre 1830, où eut lieu la première audition de la Symphonie fantastique.
5° Le programme du concert du 9 décembre 1830.
6° Le programme imprimé en tête de la partition gravée.
Ces diverses rédactions présentent toutes entre elles des différences parfois assez notables. Considérons-les l’une après l’autre.
Mais d’abord, rappelons en quelques mots les circonstances dans lesquelles fut composée la Symphonie fantastique.
Il en est question, pour la première fois, dans la correspondance de Berlioz, le 2 janvier 1830 : à cette date, il mande à Humbert Ferrand, qu’il veut, pour son prochain concert, faire « une immense composition instrumentale » [CG no. 149]. A la fin du mois, le 30, il précise, annonçant à sa sœur (lettre inédite à ce jour) qu’il donnera un concert au théâtre des Nouveautés le jour de l’Ascension, pour lequel il écrira « une immense composition instrumentale d’un genre nouveau au moyen de laquelle il tâchera d’impressionner fortement son auditoire » [CG no. 151].
Une semaine après (6 février), dans le paroxysme de sa passion pour miss Smithson, qui, à ce moment, lui a donné quelque espoir, il entretient Ferrand de sa « grande symphonie (Épisode de la vie d’un artiste) où le développement de son infernale passion doit être peint. — Je l’ai toute dans la tête, ajoute-t-il, mais je ne puis rien écrire » [CG no. 152].
Deux mois et demi plus tard (le 16 avril), faisant confidence au même ami des imputations (reconnues plus tard pour calomnieuses) qui l’éloignent maintenant de miss Smithson et ont changé son amour en mépris, il s’exprime ainsi : « Je viens de sanctionner ma résolution par un ouvrage qui me satisfait complètement et dont voici le sujet, qui sera exposé dans un programme et distribué dans la salle le jour du concert » [CG no. 158]. Il transcrit tout au long ce projet de programme.
Outre d’assez notables différences dans le détail, cette rédaction du texte littéraire de la Symphonie fantastique offre une particularité qui la distingue de toutes les autres (1). Sous le coup du désespoir que lui a causé sa rupture momentanée avec Henriette, Berlioz a prétendu faire de l’œuvre d’amour un monument de haine. Pour cela, il a rédigé le commentaire de la dernière partie (Songe d’une nuit du Sabbat) en des termes méprisants pour celle qui, au début, réalisait « l’idéal de beauté et de charmes que son cœur appelait depuis longtemps ». — « Il se voit environné, dit-il dans sa description fantastique, d’une foule dégoûtante de sorciers, de diables, réunis pour fêter la nuit du sabbat. Ils appellent au loin. Enfin arrive la mélodie, qui n’a encore paru que gracieuse, mais qui alors est devenue un air de guinguette trivial, ignoble ; c’est l’objet aimé qui vient au sabbat pour assister au convoi funèbre de sa victime. Elle n’est plus qu’une courtisane digne de figurer dans une telle orgie… »
Les biographes ont tiré de ces observations des conséquences parfois forcées au point d’en être inexactes. Je pense avoir remis les choses au point en avançant qu’il ne faut voir dans cette déviation de l’idée première qu’un simple effet de la subtilité d’une imagination souffrante, que la Symphonie fantastique, inspirée par Henriette Smithson, ne fut pas, comme on l’a prétendu trop ingénieusement, offerte en hommage après coup à une autre femme, et qu’elle ne mérite à aucun titre le qualificatif, d’ailleurs agréable, de « musique à feux tournants » dont l’a décorée un critique.
A ce propos, je voudrais ouvrir une parenthèse afin de préciser, s’il se peut, quelle exacte contribution est de nature à apporter à l’histoire la connaissance des lettres intimes des hommes célèbres. Je serais, certes, le dernier à vouloir diminuer la valeur de ces documents. Les lettres constituent un genre de pièces vraiment précieuses pour combler des lacunes, préciser des détails de dates, de faits, etc. ; en outre elles projettent sur la pensée de l’écrivain des lumières que les paroles ou les faits de sa vie publique n’apportent pas toujours avec assez d’abondance. Cependant, reconnaissons que ces paroles ou ces faits publics, lorsqu’ils furent clairement manifestés, ont plus d’importance que les confidences contenues dans les lettres, car ils constituent des actes, tandis que les lettres ne contiennent, le plus souvent, que des pensées.
Prenons, par exemple, une des parties de la correspondance de Berlioz dont la divulgation a donné lieu aux discussions les plus passionnées et aux condamnations les plus sévères. Je lisais récemment, sous la signature d’un de nos critiques musicaux les plus hautement estimés, que rien ne pouvait effacer le crime des paroles prononcées par lui à la suite de la chute de Tannhäuser à Paris. L’on sait que ces paroles ont été consignées uniquement dans des lettres écrites à son fils et à ses amis Massart. — Dans le même temps, il est vrai, un autre critique qualifiait semblablement crime le fait d’avoir livré à la publicité ces lettres, qui n’étaient pas destinées à cela. On est facilement criminel pour notre austère critique musicale. Est-il besoin de dire que je ne m’associe ni à l’un ni à l’autre de ces arrêts sévères ? Tout d’abord, loin de blâmer les personnes qui nous ont fait connaître des lettres écrites par Berlioz à l’une des époques les plus intéressantes de sa vie, je les en loue au contraire grandement et ne trouve rien d’indiscret dans cette communication, car c’est grâce à elle que nous avons pu connaître l’état d’âme exact de l’écrivain, et cela appartient à l’histoire. Quant à l’autre condamnation, je ne l’accepte pas davantage, par la raison qu’on n’est pas criminel par pensée, mais par action, et qu’une lettre écrite à un ami, à un fils, n’est que l’expression d’une pensée, et ne constitue pas un acte.
Ah ! si le reproche était retourné contre Wagner, et qu’on lui eût fait grief des actes publics qu’il a commis à l’égard de Berlioz, — depuis les articles d’éreintement que, tout en l’appelant son bon ami, il écrivait sur lui de Paris aux journaux d’Allemagne, puis les pages de son principal ouvrage d’esthétique où il le traite de mécanicien musical sans idéal vraiment artistique, enseveli sous les décombres de ses machines, etc. (des articles ou des livres ne sont pas comme de simples lettres : ils constituent, eux, des actes), pour terminer par les intrigues de cour (dues à ses amis plutôt qu’à lui-même, soit !) qui eurent pour effet de faire prendre à Tannhäuser, sur la scène française, la place qu’attendait impatiemment l’auteur des Troyens, et sur laquelle il devait compter, lui premier, par le triple droit de l’ancienneté, de la nationalité, et, par-dessus tout, d’un génie qui n’avait à s’effacer devant aucun autre, — je comprendrais alors l’indignation, sans d’ailleurs m’y associer outre mesure, sachant bien que ces actes de Wagner furent tempérés par nombre de circonstances atténuantes. Mais des confidences intimes ne sauraient avoir une gravité pareille, et c’est passer la mesure que d’en tirer les mêmes conclusions que si les paroles prononcées avaient eu le caractère d’une manifestation publique.
Il en est exactement de même pour la lettre que Berlioz écrivit à son ami le jour où il termina la Symphonie fantastique. Cette lettre nous éclaire sur la disposition de son esprit à ce moment important de sa vie artistique, mais elle ne constitue pas l’œuvre même, et ne saurait être substituée à aucun des textes que l’auteur a élaborés en vue de la publicité. Et si l’on remarque des divergences, des contradictions même entre elle et ces autres textes, on peut, assurément, trouver dans cette comparaison matière à des observations profitables, mais on n’a pas le droit d’aller jusqu’à présenter le document comme exprimant mieux que les autres la pensée de Berlioz, sous le prétexte qu’il est le premier. Le premier, soit, — comme l’ébauche est première par rapport au tableau ; ce n’en est pas moins le tableau qui est l’œuvre et, si l’artiste a cru devoir modifier son ébauche, il en avait le droit, et nous devons respecter sa volonté.
C’est précisément là ce qui s’est produit pour le programme de la Symphonie fantastique. La phrase que nous avons citée, et à laquelle on avait attribué une si grande importance, en a si peu qu’elle n’a jamais été reproduite dans aucun programme imprimé, même le plus ancien. Il n’en existe même pas trace dans le brouillon qui nous a été conservé, et qui doit être à bien peu de chose près contemporain de la lettre à Humbert Ferrand.
Cette pièce inédite (qui appartient à la Bibliothèque du Conservatoire) est assurément d’un grand intérêt, car elle représente le premier jet du texte littéraire de la symphonie en tant qu’œuvre destinée au public. C’est, avons-nous dit, un brouillon : elle en a toutes les apparences, étant surchargée de ratures ; c’est en outre, sans contredit, le brouillon du premier programme imprimé : nous en trouverons la preuve certaine en les comparant l’une à l’autre. Pour l’instant, nous ne saurions mieux faire que de le transcrire in extenso.
ÉPISODE DE LA VIE D’UN ARTISTE
SYMPHONIE FANTASTIQUE
en cinq parties
NOTA. — Chaque partie de ce drame instrumental n’étant que le développement musical de situations données, l’auteur croit indispensable d’en exposer d’avance le sujet. Le programme suivant doit donc être considéré comme le texte parlé d’un opéra, servant à amener des morceaux de musique dont il motive le caractère et détermine l’expression.
PROGRAMME
L’auteur suppose qu’un jeune musicien affecté de cette maladie morale, qu’un écrivain célèbre (2) appelle le vague des passions, voit pour la premère fois une femme qui réunit tous les charmes de l’être idéal que rêvait son imagination, et en devient éperdument épris. Par une singulière bizarrerie, l’image chérie ne se présente jamais à l’esprit de l’artiste que liée à une pensée musicale, dans laquelle il trouve un certain caractère passionné, mais noble et timide, comme celui qu’il prête à l’objet aimé. — Ce reflet mélodique avec son modèle le poursuivent sans cesse comme une double idée fixe. (Telle est la raison de l’apparition constante, dans toutes les parties de la symphonie, de la mélodie qui commence le premier allegro).
Le passage de cet état de rêverie mélancolique, interrompue par quelques accès de joie sans sujet, à celui d’une passion délirante, avec ses mouvements de fureur, de jalousie, ses retours de tendresse, ses larmes, etc., etc., est le sujet de la première partie.
L’artiste est placé dans les circonstances de la vie les plus diverses, au milieu du tumulte d’une fête, dans la paisible contemplation des beautés de la nature ; mais partout, à la ville, aux champs, l’image chérie vient se présenter à lui, et jeter le trouble dans son âme.
UN BAL
DEUXIÈME PARTIE
Se trouvant un soir à la campagne, il entend deux pâtres qui dialoguent un Ranz des vaches ; ce duo pastoral, le lieu de la scène, le léger bruissement des arbres doucement agités par le vent, quelques motifs d’espérance qu’il a conçus depuis peu… tout concourt à rendre à son cœur un calme inaccoutumé et à donner à ses idées une couleur plus riante.
» Je suis seul dans le monde, se dit-il.....
» Bientôt peut-être je ne serai plus seul.....
» Mais si elle me trompait !.....
Ce mélange d’espoir et de crainte, ces idées de bonheur troublées par quelques noirs pressentiments forment le sujet de l’adagio.
SCÈNE AUX CHAMPS
TROISIÈME PARTIE
Ayant acquis la certitude que non seulement celle qu’il adore ne répond pas à son amour, mais qu’elle est incapable de le comprendre et que de plus elle s’en est rendue indigne, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, ne lui procure qu’un sommeil accompagné des plus horribles visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné, conduit au supplice et qu’il assiste à sa propre exécution. Le cortège s’avance, aux sons d’une marche, tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas graves succède, sans transition, aux éclats les plus bruyans.
A la fin de la marche, les quatre premières mesures de l’idée fixe reparaissent comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.
MARCHE DU SUPPLICE
QUATRIÈME PARTIE
CINQUIÈME PARTIE
SONGE D’UNE NUIT DE SABBAT
Il se voit au sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de diables, de monstres de toute espèce, réunis pour son enterrement.
Bruits étranges..... gémissemens, éclats de rire, cris lointains, auxquels d’autres cris semblent répondre. — La mélodie aimée reparaît encore, mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité. Ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque, c’est Elle qui vient au sabbat.
Rugissement de joie à son arrivée. Elle se mêle à l’orgie diabolique. Quelques-uns veulent commencer la ronde, les autres les arrêtent et leur imposent silence à plusieurs reprises. Enfin tous se prosternent.....
Glas funèbre.....
Des instrumens graves font entendre le plain-chant de Dies iræ, d’autres le reprennent en pressant le mouvement avec un accent de rage, les instrumens aigus le répètent encore sur un rythme plus rapide, en le parodiant d’une manière burlesque.
Ronde du sabbat.
Dans ses plus violents développements, le plain-chant du Dies iræ reparaît et sert d’accompagnement à la danse infernale.....
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(1) Il faut signaler encore une différence d’un autre genre : d’après
la lettre à M. Ferrand, la Scène aux Champs aurait été le 2e
morceau de la Symphonie, et le Bal, la 3e. Aucun des
documents postérieurs n’a maintenu cet ordre.
(2) Cet écrivain célèbre était désigné par son nom dans la
lettre à Humbert Ferrand, où la première phrase est rédigée en ces termes :
« Je suppose qu’un artiste doué d’une imagination vive, se trouvant dans
cet état de l’âme que Chateaubriand a
si admirablement peint dans René, voit
pour la première fois une femme… ».
Le Ménestrel, 3 Juillet 1904, p. 210-211
Le manuscrit de cette notice est, avons-nous dit, couvert de ratures nombreuses. Il y en a, notamment, trois lignes entières à la fin du paragraphe consacré à la seconde partie, d’autres à la fin de la quatrième partie, et encore tout au long de la cinquième ; elles sont si chargées qu’il est, la plupart du temps, impossible de lire les mots qu’elles recouvrent : à peine avons-nous pu le faire en quelques endroits, dans la plupart desquels nous n’avons relevé que des corrections de style sans importance. Pourtant, l’une d’elles, dans le dernier tableau, précise un détail intéressant : c’est, à la fin de la cérémonie fantastique qui, on l’a vu, n’est plus ici un simple rêve du sabbat, mais représente effectivement l’enterrement du personnage principal — Hector Berlioz en personne — la phrase que voici :
La cérémonie funèbre achevée, tous se forment en rond autour de la tombe de l’artiste. Ronde du sabbat, etc.
Ces mots eussent mérité de subsister : ils complètent la physionomie du tableau romantique. — Plus haut, dans la même partie, j’ai cru déchiffrer cette autre indication : « les Follets » ; le nom de ces êtres de l’autre monde qui joueront un rôle important dans la Damnation de Faust — et aussi dans Robert le Diable — a été effacé du programme de la symphonie de 1830.
Aussitôt l’œuvre achevée, Berlioz voulut la faire entendre. Il organisa à cet effet un concert au théâtre des Nouveautés (le même où trois ans auparavant il s’était engagé comme choriste). Nous n’avons pas a rappeler ici par suite de quelles circonstances ce concert ne put avoir lieu : pourtant la préparation en avait été poussée si loin que déjà les journaux l’avaient annoncée. C’est ainsi que nous avons pu trouver dans le Figaro du vendredi 21 mai 1830 (il y avait déjà un Figaro en 1830) le texte complet du programme de la Symphonie fantastique, imprimé en première page et précédé d’un article destiné à appeler sur le jeune compositeur l’attention des amateurs de musique. Toujours plein de confiance, lui-même écrivait à son père à quelques jours de là (le 28 mai) [CG no. 163] :
« Je vous envoie le Figaro de vendredi qui avait déjà annoncé le concert et inséré le programme de ma Symphonie, tel qu’il sera distribué dans la salle le jour de l’exécution. Cela fait un bruit incroyable, tout le monde achète ou vole le Figaro dans les cafés. » (Lettre inédite à ce jour.)
Bien que cet article de journal ne soit guère que ce que nous appelons aujourd’hui une réclame, il nous paraît curieux de le reproduire, en raison de son caractère de rareté et d’inédit, et parce qu’il est le premier document qu’on ait imprimé sur la première grande œuvre de Berlioz, enfin parce qu’il nous fait connaître ce que ses amis, vraisemblablement d’après ses propres suggestions, cherchaient à comprendre de son œuvre et à faire comprendre au public.
GRAND CONCERT
donné au Théâtre des Nouveautés, dimanche 30 mai, jour de la Pentecôte,
ÉPISODE DE LA VIE D’UN ARTISTE
Symphonie fantastique en cinq parties,
PAR M. HECTOR BERLIOZ
Il arrive souvent qu’un compositeur se mette devant son piano, tourmente les touches du clavier, frappe des accords, jette des croches sur des portées, sans avoir entrevu, pendant toute la durée de son travail, la moindre lueur de ce qu’on appelle en terme d’art une idée.
Plus souvent encore n’arrive-t-il pas qu’il rassemble, à grand renfort d’invitations ou d’affiches, des amis, des amateurs de musique, un orchestre : qu’il fasse exécuter son griffonnage à triple carillon, et que son auditoire trouve dans tout cela une idée, ou se méprenne sur la nature ou la portée de cette idée, si toutefois le musicien en a trouvé une ?
M. Hector Berlioz, jeune compositeur à l’imagination originale, veut jouer un jeu plus franc ; il ne veut pas compter sur les chances d’une interprétation. C’est lui-même qui analyse ses inspirations. La Symphonie dont il a composé le programme n’a pas encore été exécutée en public. Quel effet va-t-elle produire ? On peut tout au plus le deviner à l’avance ; mais le programme des différentes parties qui la composent est déjà un acte de franchise et de bizarrerie qui doivent vivement frapper.
M. Berlioz a d’ailleurs rassemblé un grand appareil de forces pour donner à sa tentative de belles chances de succès. L’orchestre des Nouveautés, dont la réputation s’est faite et consolidée en si peu de temps, renforcé de l’élite des exécutants du Conservatoire, est chargé de l’exécution de la symphonie fantastique. Tous ces musiciens, dont le nombre s’élève à cent, seront disposés sur la scène et dirigés par M. Bloc.
On doit attendre un immense effet de ce concours d’artistes qui se sont signalés avec tant d’éclat dans les concerts du Conservatoire, et qui ont donné à leur orchestre la réputation de premier orchestre exécutant d’Europe.
Cette annonce est suivie de la reproduction du programme, conforme au texte imprimé ci-dessus (à quelques détails près qui seront signalés plus loin).
L’audition du 30 mai, nous l’avons dit, n’eut pas lieu ; la première audition de la Symphonie fantastique fut donnée au Conservatoire le 5 décembre 1830, sous la direction d’Habeneck. A ce concert, on distribua dans la salle un feuillet de papier rose, imprimé sur quatre pages, reproduisant le programme littéraire. Nous en connaissons deux éditions, portant l’une et l’autre le même titre et la date du 5 décembre 1830, mais présentant entre elles une différence notable : c’est que l’une ajoute au texte explicatif une longue note qui est un véritable plaidoyer en faveur des innovations de l’auteur, et a presque l’importance d’une déclaration de principes. Bien que cette profession de foi soit encore imparfaite en la forme et qu’elle ne puisse tenir, dans l’œuvre de Berlioz, la place de la préface d’Alceste dans l’œuvre de Gluck, elle a pourtant assez d’intérêt, en raison de la circonstance où elle a été écrite, pour que nous la reproduisions au même titre que ces autres documents inédits.
Cette note est placée en renvoi correspondant à la fin du premier paragraphe : « Le programme suivant doit être considéré comme le texte parlé d’un opéra, servant à amener des morceaux de musique dont il motive le caractère et l’expression. » Elle commence en ces termes :
« Il ne s’agit point en effet, ainsi que certaines personnes ont paru le croire, de donner ici la reproduction exacte de ce que le compositeur se serait efforcé de rendre au moyen de l’orchestre ; c’est justement, au contraire, afin de combler les lacunes laissées nécessairement dans le développement de la pensée dramatique par la langue musicale, qu’il a dû recourir à la prose écrite pour faire comprendre et justifier le plan de la Symphonie. L’auteur sait fort bien que la musique ne saurait remplacer ni la parole, ni l’art du dessin ; il n’a jamais eu l’absurde prétention d’exprimer des abstractions ou des qualités morales, mais des passions et des sentiments ; ni celle plus étrange encore de peindre des montagnes : il a seulement voulu reproduire le style et les formes mélodiques propres au chant de quelques-uns des peuples qui les habitent, ou l’émotion causée à l’âme, dans certaines circonstances données, par l’aspect de ces masses imposantes. Si les quelques lignes de ce programme eussent été de nature à pouvoir être récitées ou chantées entre chacun des morceaux de la symphonie, comme les chœurs des tragédies antiques, sans doute on ne se fût pas mépris de la sorte sur le sens qu’elles contiennent. Mais au lieu de les écouter il faut les lire ; et l’on ne songe pas, en adressant au musicien le singulier reproche dont il est obligé de se défendre, que s’il avait réellement sur la puissance expressive de son art les opinions exagérées et ridicules qu’on lui suppose, ce programme à ses yeux n’eût été qu’un double emploi parfaitement inutile.
» Quant à l’imitation des bruits de la nature, Beethoven, Gluck, Meyerbeer, Rossini et Weber ont prouvé par d’illustres exemples qu’elle était du domaine musical. Cependant, persuadé que l’abus en est fort dangereux, que l’usage en est fort restreint, et que ses effets les plus heureux sont toujours très voisins de la charge, l’auteur de cette symphonie n’a jamais considéré cette branche de l’art comme un but, mais comme un moyen. Et quand, par exemple, dans la Scène aux champs, il a essayé de rendre le roulement d’un tonnerre lointain au milieu du calme des éléments, ce n’est point pour le plaisir puéril d’imiter ce bruit majestueux, mais au contraire pour rendre plus sensible le silence, et redoubler ainsi l’impression de tristesse inquiète et d’isolement douloureux qu’il voudrait produire sur son auditoire à la péroraison de ce morceau. »
En ce travail purement documentaire, nous ne voulons pas discuter les idées esthétiques contenues dans l’exposé qu’on vient de lire. Nous n’en retiendrons qu’un détail qui appartient à l’histoire. Dans l’énumération des maîtres dont Berlioz invoque l’autorité, — ils sont cinq : Beethoven, Gluck, Meyerbeer, Rossini, Weber, — quatre, dont un seul vivant, étaient, au moment où il écrivait, à l’apogée de la gloire ; mais le cinquième n’avait encore produit aucune de ses grandes œuvres : Meyerbeer, dont Robert le Diable est d’un an postérieur à la Symphonie fantastique. Le fait est caractéristique, et vient à l’appui des considérations que j’ai exposées ailleurs sur les relations qui existèrent, au cours de leur vie, entre Meyerbeer et Berlioz, relations qui furent, d’abord, de la part de ce dernier, empreintes d’une véritable cordialité, à laquelle succéda un refroidissement soudain. L’observation que vient de nous suggérer la note de la Symphonie fantastique nous confirme que le premier sentiment avait sa source dans une prévention favorable, à laquelle était étrangère la connaissance de l’œuvre de Meyerbeer : c’est quand cette œuvre, et peut-être aussi la personne, furent mieux connues, que la désaffection vint...
Le Ménestrel, 10 Juillet 1904. p. 219-220
La Bibliothèque du Conservatoire possède plusieurs exemplaires de ce papier rose, qui nous apporte une impression directe, et pour ainsi dire vivante, de la première audition de la Symphonie fantastique. L’un de ces exemplaires — celui qui n’a pas la note — est inséré dans un recueil factice portant le no 308 ; les autres — édition avec note — conservés parmi d’autres papiers provenant de Berlioz, sont restés détachés, tels qu’on eût pu les distribuer dans la salle il y a soixante-quatorze ans.
Nous avons en outre retrouvé le même texte reproduit in extenso, avec l’annonce du concert, dans la Revue musicale de Fétis (2e série, t. IV, p. 39). Là, la prose de Berlioz est précédée d’une note d’un autre style, celui de l’auteur de la Biographie universelle des musiciens, et renfermant un exposé de principes tout différents, — car Fétis aussi avait ses principes. Nous venons de voir de quelle façon toute bienveillante Berlioz appréciait Meyerbeer avant de le connaître : les quelques lignes que voici nous apprendront comment, également avant de connaître son œuvre, Fétis jugeait Berlioz :
« Le sujet de cet ouvrage est une sorte de roman que M. Berlioz a imaginé, et qu’il a cru devoir faire imprimer pour faciliter l’intelligence de sa composition. C’est peut-être se tromper sur l’objet de l’art que de vouloir s’appliquer à peindre des faits matériels ou à exprimer des abstractions, et c’est déjà une preuve de son insuffisance pour ces choses que d’avoir recours à des explications de ses effets (1) ; toutefois, M. Berlioz avait un exemple d’une entreprise analogue dans la Symphonie pastorale de Beethoven ; seulement il a cru trouver dans la musique instrumentale plus de ressources que ce grand musicien ne lui en avait attribué. Nous n’insisterons donc pas sur notre opinion avant d’avoir entendu l’ouvrage de M. Berlioz… » C’est encore heureux !
Le programme du concert du 9 décembre 1832 (une grande date dans la vie de Berlioz, celle où l’Épisode de la vie d’un artiste — Symphonie fantastique, notablement remaniée, et monodrame de Lelio — fut exécutée pour la première fois dans son entier, et où fut déterminée son union avec miss Smithson) ne m’est connu que par la reproduction qu’en a donnée Mathieu de Monter dans son étude biographique parue dans l’année même de la mort de Berlioz (Revue et Gazette musicale du 19 septembre 1869). Il était encore, nous dit cet auteur, imprimé sur papier rose, mais il présentait quelques menues différences de rédaction avec les éditions précédentes.
Nous avons dit que ces divers programmes écrits, imprimés au cours des années 1830 et 1832, offrent entre eux certaines divergences. Nous avons signalé les plus importantes : achevons la comparaison en relevant les détails.
La reproduction faite ci-dessus du brouillon autographe nous servira de base.
Le paragraphe initial, précédé de l’abréviation : Nta, est remplacé, dans toutes les versions imprimées en 1830, par cet autre, précédé du titre : PROGRAMME :
« Le compositeur a eu pour but de développer, DANS CE QU’ELLES ONT DE MUSICAL, différentes situations de la vie d’un artiste. Le plan du drame instrumental, privé du secours de la parole, a besoin d’être exposé d’avance. Le programme suivant doit donc être considéré comme le texte parlé d’un opéra, servant à amener des morceaux de musique dont il motive le caractère et l’expression. »
Ce paragraphe manque dans la reproduction du programme de 1832.
Le titre du premier morceau, qui n’était pas encore trouvé quand Berlioz écrivit sa lettre à H. Ferrand non plus que son brouillon, est, dans le Figaro de mai 1830 : RÊVERIE. — EXISTENCE PASSIONNÉE. Il prend, dès les documents de la fin de 1830, sa forme définitive : RÊVERIES. — PASSIONS.
Tous les documents imprimés placent, selon l’usage, les titres en tête des paragraphes qu’ils affectent, alors que, par une disposition anormale, l’autographe avait inscrit à la suite de ces paragraphes les titres des 2me, 3me et 4me parties.
Première partie. — Les mots : « qu’un écrivain célèbre appelle » sont remplacés, en 1832 seulement, par : « qu’on appelle ». — A la fin, les mots : « ses larmes, etc., etc. » sont remplacés, dans l’un des programmes du 5 décembre 1830, par « ses consolations religieuses » ; dans l’autre, ces mots mêmes remplacent seulement les « etc. ». Le Figaro, la Revue musicale et le programme de 1832 son conformes à la rédaction originale (avec un seul etc.). — Les derniers mots du paragraphe : « la ler partie » sont remplacés partout par « le premier morceau ».
UN BAL, deuxième partie. Le programme de 1832 supprime : « se présenter à lui, et ».
SCÈNE AUX CHAMPS, troisième partie. Ici, les différences s’accusent. Les mots entre guillemets : « Je suis seul… » jusqu’à « je ne serai plus seul » sont, dans le Figaro, ainsi que dans les trois programmes du 5 décembre, remplacés par cette phrase à la troisième personne : « Il réfléchit sur son isolement, il espère bientôt n’être (ou : n’être bientôt) plus seul… » Le programme de 1832 a repris la première rédaction. — Après : « forment le sujet de l’adagio », les documents à partir de décembre 1830 ajoutent la phrase suivante : « A la fin, l’un des pâtres reprend le ranz des vaches ; l’autre ne répond plus… Bruit éloigné de tonnerre… Solitude… Silence… » (« Silence et mystère » achève le programme de 1832). Cet épisode n’existait pas plus dans le Figaro que dans l’autographe. L’addition est caractéristique, car elle semble indiquer que la reprise de la mélodie du cor anglais interrompu par le roulement des timbales n’était pas encore dans la partition lorsqu’eut lieu la première tentative d’exécution, en mai 1830 (l’on sait que la musique de la Scène aux champs a subi de notables remaniements).
MARCHE AU SUPPLICE, quatrième partie. — Les premiers mots sont une allusion à la déconvenue amoureuse de l’auteur, qui l’incita un instant à introduire dans son texte des paroles insultantes à l’adresse de son ancienne passion. Nous en verrons l’expression s’atténuer au fur et à mesure que le temps passera. La plus ancienne rédaction disait, nous l’avons vu : « Ayant acquis la certitude que, non seulement celle qu’il adore ne répond pas à son amour, mais qu’elle est incapable de le comprendre, et que de plus elle s’en est rendue indigne… » Déjà le Figaro, reproduit par la Revue musicale, remplace : « Elle s’en est rendue indigne » par « elle en est indigne », qui a un caractère d’action moins immédiate.
Puis les programmes du concert du 9 décembre 1830 (cette audition qu’on avait voulu présenter comme consacrant le sacrifice d’Henriette à Camille et l’hommage de l’œuvre à cette dernière) suppriment toute allusion amère :
« Ayant acquis la certitude que son amour est méconnu », rien de plus.
Enfin le programme du 9 décembre 1832 (la solennité musicale consacrée par la présence de l’héroïne du roman symphonique, et qui en détermina la conquête) s’exprime en des termes encore plus affaiblis : « …la certitude que celle qu’il adore ne répond pas à son amour ». — Plus loin, les mots : « ne lui procurent qu’un sommeil » sont remplacés par : « le plonge dans un sommeil ». Le reste est semblable dans toutes les versions.
SONGE D’UNE NUIT DE SABBAT, cinquième partie. Le début est partout identique, jusqu’à : « Elle se mêle à l’orgie diabolique » (sauf « son enterrement » remplacé par « ses funérailles »). Rappelons que rien n’est resté de la description forte en couleurs ébauchée dans la lettre à H. Ferrand : « Il se voit environné d’une foule dégoûtante... Elle n’est plus qu’une courtisane digne de figurer dans une telle orgie. » Mais ces paroles n’ont pas seules disparu. Tout le tableau final, pourtant pittoresque, a été supprimé, à partir de : « Quelques-uns veulent commencer la ronde », et remplacé par quelques indications sommaires. Le Figaro le résume en cinq mots : « Cérémonie funèbre, ronde du sabbat ». Les autres documents n’en disent pas beaucoup plus long : « Glas funèbre, parodie burlesque du Dies iræ, ronde du sabbat. La ronde du sabbat et le Dies iræ ensemble. » Une note des deux programmes roses de 1830 veut bien nous informer enfin que le Dies iræ est un « hymne chanté dans les cérémonies funèbres de l’Église catholique ».
Nous n’avons pas compris dans cette confrontation le programme définitif imprimé dans la grande partition. C’est que celui-ci, très postérieur (2), présente avec les précédents des différences fondamentales et doit être considéré indépendamment d’eux. Tout d’abord, la Symphonie fantastique est présentée ici simplement comme première partie de l’Épisode de la vie d’un artiste, dont l’ensemble doit se terminer par la représentation scénique du monodrame de Lelio. Etant donné ce caractère théâtral, l’auteur estime indispensable que l’action soit connue du public, et cela ne peut être fait que s’il a le programme de la symphonie entre les mains. Mais à cette recommandation, Berlioz ajoute cette observation indiquant que, depuis la conception première, ses idées se sont un peu modifiées et que ses exigences sont devenues moindres :
« Si on exécute la symphonie isolément dans un concert, on peut, à la rigueur, se dispenser de distribuer le programme en conservant seulement le titre des cinq morceaux, la symphonie (l’auteur l’espère) pouvant offrir en soi un intérêt musical indépendant de toute intention dramatique ».
Une importante modification a été introduite dans l’économie générale du sujet. Jusqu’à présent, nous avons vu l’action se diviser d’elle-même en deux parties distinctes : les trois premiers morceaux exprimaient des sentiments ou traçaient des épisodes dont le héros avait pleine conscience, tandis que la Marche au supplice et la Nuit du Sabbat étaient l’effet d’un cauchemar, d’une hantise. Désormais, la symphonie tout entière sera un rêve : cela est spécifié par les premières lignes du programme définitif :
« Un jeune musicien, d’une sensibilité maladive et d’une imagination ardente, s’empoisonne avec de l’opium dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un lourd sommeil accompagné des plus étranges visions, pendant lequel ses sensations, ses sentiments, ses souvenirs se traduisent dans un cerveau malade en pensées et en images musicales, etc. »
Nous ne reproduisons pas la suite de cette dernière rédaction, bien connue de tous les habitués des concerts symphoniques ; d’ailleurs, ce nouveau point de départ étant posé, elle ne diffère de celle des programmes originaux que par des détails de pure forme littéraire.
Cette modification au plan primitif constitue-t-elle vraiment une amélioration ? On en pourrait douter. Sans doute Berlioz a pensé donner plus d’unité apparente à sa conception en la présentant dans son ensemble comme l’effet d’un rêve. Mais cette unité était-elle nécessaire, et d’ailleurs est-elle vraiment conforme à la réalité ? Si la Marche au supplice et le Sabbat peuvent être justement interprétés comme les effets d’une hallucination, les trois premiers morceaux ne donnent-ils pas, au contraire, une impression parfaitement directe et clairvoyante ? Je persiste assurément à affirmer qu’il faut respecter la volonté dernière de l’auteur, — et d’ailleurs ses dernières dispositions ne sauraient modifier en rien la compréhension de la musique. Mais je crois aussi qu’il est bon que nous ayons connu ses premières intentions, car grâce à cette connaissance il nous a été permis de pénétrer plus avant dans sa pensée.
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(1) Il semble ressortir du rapprochement
des termes que la note ajoutée à la seconde édition du programme fut écrite
en réponse à ces critiques préventives de Fétis.
(2) La partition d’orchestre de la Symphonie fantastique
parut seulement en 1846. La Revue et Gazette musicale, publiée chez
l’éditeur Brandus, l’annonça dans son numéro du 25 janvier de ladite année,
par l’entrefilet suivant : « L’Épisode de la vie d’un artiste,
cette œuvre capitale de Berlioz, depuis si longtemps attendue par toute la société
philharmonique de France, vient d’être publiée en grande partition et en
parties séparées ». Et la huitième page du même numéro annonce la
mise en vente de L’Épisode etc., Symphonie fantastique en cinq
parties.
Le Ménestrel, 17 Juillet 1904, p. 227
La deuxième symphonie de Berlioz, Harold en Italie, échappe aux observations auxquelles a donné lieu la première, par la raison qu’elle ne comporte pas de programme. Elle n’en avait pas besoin, car elle est de nature pittoresque plutôt que psychologique, et les titres des morceaux, évoquant des images familières, suffisaient à les caractériser par avance ; quant à l’état d’âme exprimé par les chants de l’alto, il est trop simple pour avoir besoin d’un long commentaire : c’est celui du rêveur solitaire circulant à travers le monde ; un nom emprunté à une œuvre littéraire connue servait aussi à le faire comprendre. Aussi bien, ce rêveur, tout le monde a compris que c’est Berlioz lui-même : le nom byronien qui a été substitué n’est là que par analogie, pour donner à l’œuvre une physionomie plus artiste ; mais le Childe-Harold du poème fut si peu l’inspirateur de la symphonie qui porte son nom, que ce nom ne fut adopté qu’après que l’œuvre fut venue au monde. Cela nous est attesté par les lettres que Berlioz écrivit à divers amis pendant l’élaboration de son œuvre ; dans toutes, il la désigne simplement par ces mots : la symphonie avec alto principal. Le 19 mars 1834, après avoir constaté qu’il y a, la veille, travaillé pendant treize heures sans quitter la plume, et spécifié que cette symphonie lui a été demandée par Paganini, il ajoute : « Je comptais ne la faire qu’en deux parties, mais il m’en est venu une troisième, puis une quatrième » [CG no. 384]. Le 15 mai suivant, offrant à Humbert Ferrand la dédicace de l’œuvre, il dit avoir achevé les trois premières parties et être sur le point de terminer la quatrième ; il cite par son titre la Marche des pèlerins chantant la prière du soir ; mais l’œuvre n’est toujours que sa « nouvelle symphonie » [CG no. 398]. Le 31 mai enfin, il écrit à d’Ortigue : « Ma symphonie sera née et baptisée avant peu » [CG no. 399], et il faut aller jusqu’au 31 août pour trouver inscrit, dans une lettre à Humbert Ferrand, le nom d’Harold [CG no. 408].
L’on sait d’autre part qu’au commencement de la même année il avait fait annoncer l’avis suivant dans son journal en quelque sorte officiel :
Paganini, dont la santé s’améliore de jour en jour, vient de demander à M. Berlioz une nouvelle composition dans le genre de la Symphonie fantastique que le célèbre virtuose compte donner à son retour en Angleterre.
Cet ouvrage serait intitulé : Les derniers instants de Marie-Stuart, fantaisie dramatique pour orchestre, chœurs et alto principal. Paganini remplira pour la première fois en public la partie d’alto (1).
Nous ignorons ce que devait être cette « symphonie dramatique avec chœurs », dans laquelle Paganini devait chanter sur l’alto le rôle de Marie Smart, et ne pouvons que constater que Berlioz a renoncé, sans doute avec raison, à réaliser cette conception singulière. Comment l’idée s’en est muée en celle d’Harold en Italie, symphonie non dramatique, et sans chœurs, mais toujours avec alto principal, destinée à être interprétée par Paganini, et dont la composition était déjà avancée six semaines après qu’avait paru l’annonce ci-dessus, nous ne le saurons pas davantage, de même que rien n’est venu nous informer si une partie quelconque de la musique de Marie Stuart était déjà composée et a passé dans Harold (2). Nous devons donc nous borner à signaler ces rapprochements, d’ailleurs significatifs.
L’idée de la « symphonie dramatique avec chœurs » ne fut réalisée par Berlioz que cinq années plus tard, et, cette fois encore, Paganini en avait été l’inspirateur. Cette symphonie fut Roméo et Juliette.
Roméo et Juliette n’a pas de programme. Le programme de la symphonie, c’est le drame de Shakespeare tout entier. Cette intention de Berlioz ressort clairement de la déclaration ironique qu’il a inscrite en tête du morceau de son œuvre auquel s’applique le plus impérieusement le qualificatif de dramatique : Roméo au tombeau des Capulets :
Le public n’a point d’imagination ; les morceaux qui s’adressent seulement à l’imagination n’ont donc point de public. La scène instrumentale suivante est dans ce cas, et je pense qu’il faut la supprimer toutes les fois que cette symphonie ne sera pas exécutée devant un auditoire auquel le cinquième acte de la tragédie de Shakespeare avec le dénouement de Garrik est extrêmement familier, et dont le sentiment poétique est très élevé. C’est dire assez qu’elle doit être retranchée quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent…
Voilà qui est entendu : avant d’écouter la symphonie de Berlioz, nous devons avoir relu le Roméo et Juliette de Shakespeare, car il faut que nous en ayons les péripéties présentes à l’esprit. Pourquoi non ? N’en faisons-nous pas autant quand nous devons entendre une œuvre de Wagner en allemand ? Et parfois, même en français, cela n’est pas superflu…
Cependant Berlioz était trop avisé, en même temps que trop ami de la lumière, pour ne pas s’efforcer d’éclairer lui-même son public. A ceux qui ne connaissaient pas Shakespeare, il voulait en donner au moins une idée.
Ce désir est la raison d’être du prologue de Roméo et Juliette.
Rappelons-nous cette phrase qu’il avait jetée dans la discussion motivée par l’annonce de sa première symphonie : « Si les quelques lignes du programme eussent été de nature à pouvoir être récitées ou chantées entre chacun des morceaux, comme les chœurs des tragédies antiques, sans doute on ne se fût pas mépris, etc. ». Ces mots eux-mêmes constituent un programme, — un programme d’art. Et c’est Roméo et Juliette qui en a réalisé l’application.
Le « Prologue en récitatif choral », dont le drame même de Shakespeare a peut-être aussi donné l’idée à Berlioz, joue donc dans cette symphonie un rôle identique à celui du programme imprimé dans la Fantastique. Or c’était encore là une tentative nouvelle et sans modèle, qui devait être pour l’auteur une cause d’hésitations. Incorporé ainsi dans l’œuvre musicale, en faisant partie intégrante, ce programme n’allait-il pas en rompre l’unité ? N’y tiendrait-il pas une place hors de proportion, sinon avec son intérêt littéraire, du moins avec son importance musicale ?
Telle que nous connaissons maintenant la symphonie, il n’apparaît pas que Berlioz ait dépassé la mesure, — encore qu’on ait déjà l’impression, quand le prologue finit, qu’il est temps qu’il s’arrête, que les préparations et précautions auxquelles il correspond sont suffisantes, et que, pour l’effet musical, il ne faudrait pas en dire plus long.
Ce n’est pourtant pas du premier coup que l’auteur a trouvé cette exacte proportion. Son prologue, lors des premières auditions de Roméo et Juliette, était sensiblement plus étendu : mieux encore, il y avait deux prologues.
Nous avions eu déjà connaissance de cette particularité par la disposition du programme imprimé en 1839, où nous avions pu lire les détails suivants :
No 1. Introduction instrumentale : Combats, tumulte, intervention du prince. — 1er PROLOGUE (petit chœur). Air de contralto. — Suite du prologue. — Scherzino vocal pour ténor solo, avec chœur. — Fin du prologue.
Puis, après les nos 2 (Roméo seul, etc.), 3 (le Jardin de Capulet, etc.) et 4 (la reine Mab) :
No 5. 2e PROLOGUE (petit chœur). — Convoi funèbre de Juliette, etc.
En outre, le compte rendu de la Gazette musicale, écrit par Stephen Heller sous forme de lettre à Schumann, entre dans d’assez grands détails pour nous permettre de nous faire une idée de cette disposition primitive de l’œuvre, que la partition gravée, l’autographe même (sur lequel on trouve des traces de nombreuses retouches) n’ont pas conservée.
Mais nous avons encore mieux. Nous possédons le texte original des deux prologues de Roméo et Juliette tels qu’ils furent chantés, non seulement à Paris lors des premières auditions, mais plus tard encore en Allemagne : c’est même à la faveur d’une de ces dernières exécutions que nous en avons dû la conservation, car ce document (un cahier de vingt-neuf pages non autographes, appartenant à la Bibliothèque du Conservatoire) contient à la fois les vers français chantés dans la symphonie et leur traduction allemande. Retenant seulement les premiers, nous pourrons, grâce à eux, compléter les parties conservées dans l’œuvre définitive et reconstituer ainsi les prologues originaux.
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(1) Gazette musicale de Paris du 26 janvier 1834.
(2) Nous verrons dans un autre chapitre que deux thèmes importants d’Harold
en Italie avaient figuré précédemment dans une autre œuvre de Berlioz
restée inédite.
Le Ménestrel, 24 Juillet 1904, p. 238-230
Le premier prologue commençait comme le prologue unique de la partition : « D’anciennes haines endormies ». Point de différences jusques et y compris le vers 17 : « Excitant et la danse et les éclats joyeux ». A la suite venaient les suivants, qui ont été coupés :
Poussé par un désir que nul péril n’arrête,
Roméo, sous le masque, ose entrer dans la fête,
Parler à Juliette… et voilà que tous deux…
Ils savourent tous deux l’enivrement fatal.
Tybalt, l’ardent neveu des Capulets, s’apprête
A braver Roméo que tant d’amour trahit,
Quand le vieillard, touché par la grâce et par l’âge
Du jeune Montagu, s’oppose à cet outrage,
Et désarme Tybalt qui, farouche, obéit.
Il sort en frémissant de rage
Le front plus sombre que la nuit.
On le voit : c’est tout le drame résumé par le chœur. Berlioz a fait sagement en réduisant ce récit à des indications plus sommaires, dont l’exposition des thèmes musicaux comble avantageusement les lacunes. Le texte original continuait ici par le vers que nous connaissons : « La fête est terminée, etc. », et les suivants jusqu’aux strophes du contralto solo : « Premiers transports que nul n’oublie », partie qui a été conservée intégralement. Rien non plus n’est changé aux quatre vers suivants : « Bientôt de Roméo la pâle rêverie », qui annoncent le scherzino : « Mab la messagère », non plus qu’à ce Scherzino même. Mais le premier prologue s’achevait de façon toute différente, par la déclaration significative contenue dans ces quatre vers :
Tels sont d’abord, tels sont les tableaux et les scènes
Que devant vous, cherchant des routes incertaines,
L’orchestre va tenter de traduire en accords.
Puisse votre intérêt soutenir nos efforts !
Le second prologue, venant à la suite du scherzo de la reine Mab, est entièrement nouveau pour nous, sauf le dernier vers qui sert aujourd’hui de conclusion au prologue unique :
Plus de bal maintenant, plus de scènes d’amour !
La fête de la mort commence.
Chez le vieux Capulet le deuil entre à son tour.
Juliette !… elle est morte !… et la foule en démence
S’interroge. — Écoutez !… Ses sœurs en ce moment,
Blanches à travers les ténèbres,
En murmurant des cantiques funèbres,
S’en vont déposer saintement
La jeune trépassée en son froid monument.
Roméo, que personne encore
Dans l’exil n’a pu prévenir,
Croit morte celle qu’il adore ;
Rien ne peut plus le retenir :
Il vole à Vérone… il pénètre
Dans le sombre tombeau qui dévora son cœur,
Et sur le sein glacé dont vivait tout son être
Il boit la mortelle liqueur.
Juliette s’éveille…
Elle parle… o merveille !
Oublieux de sa propre mort,
Roméo, comme dans un rêve,
Pousse un cri déchirant, cri d’extase d’abord
Qu’aussitôt l’agonie achève !…
Et Juliette au cœur se frappe sans remord.Un bruit vague et fatal remplit la ville entière.
La foule accourt au cimetière
Appelant : Juliette ! appelant : Roméo !
Les deux familles ennemies,
Dans les mêmes fureurs si longtemps affermies,
D’un saint moine, devant le lugubre tableau,
Entendent la parole austère,
Et sur les corps, objets d’amour et de douleurs,
Abjurent en ses mains la haine héréditaire
Qui fit verser, hélas ! tant de sang et de pleurs.
Le Convoi funèbre de Juliette succède immédiatement à ce deuxième prologue.
Le document duquel nous avons tiré ces renseignements nous montre encore que des vers ont été coupés dans le finale ; mais comme nous ne nous occupons ici que de ce qui peut nous éclairer sur la pensée essentielle de Berlioz, — le rapport de la symphonie avec le texte littéraire et dramatique qu’elle exprime — et que cette suppression de quelques vers dans une scène trop longue n’a aucune relation avec cette idée, nous ne les reproduirons pas.
Il est d’ailleurs encore une page qui peut nous renseigner sur la conception, encore discutée, de la symphonie dramatique Roméo et Juliette, et sur le but que Berlioz poursuivit en composant cette œuvre : c’est la préface dont il fit précéder l’édition réduite au piano par Théodore Ritter, laquelle parut pour la première fois, avec texte français et allemand, chez l’éditeur Rieter-Bidermann, à Winterthur. Non reproduite dans les éditions récentes, elle est assez peu connue pour pouvoir être citée, autant pour sa rareté que pour son importance comme programme d’art. Nous la transcrivons d’après un exemplaire de la Bibliothèque du Conservatoire portant cette dédicace autographe : A Madame Kastner, hommage de l’auteur, H. BERLIOZ.
On ne se méprendra pas sans doute sur le genre de cet ouvrage. Bien que les voix y soient souvent employées, ce n’est ni un opéra de concert, ni une cantate, mais une symphonie avec chœurs.
Si le chant y figure presque dès le début, c’est afin de préparer l’esprit de l’auditeur aux scènes dramatiques dont les sentiments et les passions doivent être exprimés par l’orchestre. C’est en outre pour introduire peu à peu dans le développement musical les masses chorales, dont l’apparition trop subite aurait pu nuire à l’unité de la composition. Ainsi le prologue, où, à l’exemple de celui du drame de Shakespeare lui-même, le chœur expose l’action, n’est chanté que par quatorze voix. Plus loin se fait entendre (hors de la scène) le chœur des Capulets (hommes) seulement ; puis, dans la cérémonie funèbre, les Capulets hommes et femmes. Au début du finale figurent les deux chœurs entiers des Capulets et des Montagus et le père Laurence ; et à la fin les trois chœurs réunis.
Cette dernière scène de la réconciliation des deux familles est seule du domaine de l’opéra ou de l’oratorio. Elle n’a jamais été, depuis le temps de Shakespeare, représentée sur aucun théâtre ; mais elle est trop belle, trop musicale, et elle couronne trop bien un ouvrage de la nature de celui-ci, pour que le compositeur pût songer à la traiter autrement.
Si dans les scènes célèbres du jardin et du cimetière le dialogue des deux amants, les a parte de Juliette et les élans passionnés de Roméo ne sont pas chantés, si enfin les duos d’amour et de désespoir sont confiés à l’orchestre, les raisons en sont nombreuses et faciles à saisir. C’est d’abord, et ce motif suffirait à la justification de l’auteur, parce qu’il s’agit d’une symphonie et non d’un opéra. Ensuite, les duos de cette nature ayant été traités mille fois vocalement et par les plus grands maîtres, il était prudent autant que curieux de tenter un autre mode d’expression. C’est aussi parce que la sublimité même de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas.
Cette préface est complétée par un dernier paragraphe, qu’il nous parait inutile de reproduire, sur la transcription au piano, et certains détails concernant la partition d’orchestre. Celle-ci, parue antérieurement, s’ouvrait aussi par une page d’ « Observations » relatives au placement des masses orchestrales et vocales, et quelques autres détails d’exécution de la symphonie ; mais cela encore est d’un intérêt trop spécial pour que nous ayons à nous y arrêter.
Le Ménestrel, 7 Août 1904, p. 252-253
La quatrième symphonie de Berlioz n’a pas de programme écrit. Son programme, c’est l’histoire même. Sa date suffit à tout dire : juillet 1840. Berlioz se rappela que, dix ans auparavant, au son de la fusillade, il avait hâté l’achèvement de la composition qui devait lui mériter le prix de Rome pour descendre dans la rue et se mêler au peuple des « Trois glorieuses ». « Je pense », écrivait-il aux siens, tout vibrant encore, au lendemain de ces journées, « je pense que le beau drapeau flotte aujourd’hui sur le clocher de La Côte comme dans toute la France. » Il n’eut qu’à évoquer ces souvenirs pour les traduire musicalement dans une œuvre faite pour le peuple, exécutée parmi le peuple, dans les rues et les boulevards de Paris, sur l’emplacement de cette Bastille détruite depuis plus de cinquante années, où s’érigeait en ce jour le monument définitif commémorant la gloire des martyrs de la Liberté.
La Symphonie funèbre et triomphale ne porta pas ce nom tout d’abord. Écrite pour le corps de musique de la Garde nationale, — dirigée par Berlioz en uniforme et battant la mesure avec un sabre, — elle fut désignée en premier lieu par le simple titre de Symphonie militaire, ainsi qu’il appert du libellé suivant d’un billet d’entrée à la répétition générale envoyé par Berlioz à Chopin et retrouvé clans les papiers de ce dernier :
Dimanche, 26 juillet, à onze heures et demie,
Salle des concerts de la rue Neuve-Vivienne,
Répétition générale de la SYMPHONIE MILITAIRE,
Composée par M. H. BERLIOZ,
Pour la fête funèbre du 28 juillet.
H. BERLIOZ.Bon pour deux personnes.
Marche funèbre, hymne d’adieu, apothéose (1).
Au reste, comme pour Harold, le titre définitif fut long à trouver. La Gazette musicale, bien placée pour recevoir les confidences de son collaborateur, varie beaucoup à cet égard. Le 19 juillet, une semaine et demie avant l’exécution, elle appelle verbeusement l’œuvre : « La composition demandée par le ministre, et qui consiste en une marche funèbre et un morceau à deux mouvements, l’Hymne d’Adieu et l’Apothéose. » Le 2 août, le compte rendu du même journal est intitulé seulement : Musique de M. Berlioz ; dans le corps de l’article, l’œuvre est désignée par les mots : « La nouvelle symphonie héroïque ». Le même numéro annonce, pour le 6 août, un concert de Berlioz dont la dernière partie est annoncée : Symphonie militaire, tandis que le programme spécial de la soirée (dont j’ai un exemplaire sous les yeux) lithographie : « Orchestre d’harmonie : Symphonie funèbre composée pour la translation des Victimes de Juillet. » Le grand festival de Berlioz à l’Opéra, le 1er novembre 1840, revient à la première dénomination en l’amplifiant : « Symphonie militaire composée pour la translation des restes des Victimes de Juillet », ainsi dit le programme original imprimé (sur lequel encore je transcris l’indication), de même que celui que reproduit la Gazette musicale. Le titre Symphonie de Juillet semble avoir été généralement adopté dans le public : c’est ainsi que Wagner désigne l’œuvre, dans l’article bien connu où, lui décernant des éloges hyperboliques, il lui sacrifierait volontiers tout le reste de la production de Berlioz. — Dix-huit mois après la première audition, la Gazette annonçait que des conscrits avaient défilé dans Paris aux sons de « la Marche du convoi de Berlioz » : à lire ce nom, on pourrait hésiter ; il s’agit pourtant bien du finale de la symphonie, dont Berlioz, dans des notes autobiographiques découvertes et publiées depuis peu, a pu dire avec raison : « Le morceau L’Apothéose est populaire à Paris. »
Le vrai titre enfin est celui que l’auteur fit graver sur la partition d’orchestre, qui parut plus tard, amplifiée ad libitum d’une partie d’instruments à cordes et d’une péroraison pour chœur à toutes voix dans le finale. Le voici :
Grande
SYMPHONIE
Funèbre et Triomphale
pour grande HARMONIE Militaire
composée pour
la translation des restes des victimes de Juillet et l’inauguration
de la colonne de la Bastille
et dédiée à S. A. R. Monseigneur
LE DUC D’ORLÉANS
par
HECTOR BERLIOZ
Op. 15.
Les titres intérieurs, pour les trois monuments, sont devenus définitivement :
Marche funèbre.
Oraison funèbre.
Apothéose.
Le rédacteur du compte rendu de la Gazette musicale, après la première audition, voulant donner l’impression de l’appel fulgurant des trompettes qui commence le dernier morceau, succédant au discours musical que prononçait éloquemment, paraît-il, le trombone de Dieppo, le commentait par ce vers :
Les morts après dix ans sortent-ils du tombeau ?
Je ne sais si c’est d’après une indication donnée par Berlioz que fut faite cette citation : elle est heureuse en tout cas ; et, bien que l’auteur ne l’ait pas inscrite sur sa partition, on la pourrait donner comme formant la meilleure épigraphe et le programme le plus suggestif de la symphonie.
George Sand, exposant son état d’esprit lorsqu’elle composa le premier de ses romans qui attira sur elle l’attention publique, s’exprime ainsi :
« J’avais écrit sans suite, sans plan, et avec l’intention, dans le principe, d’écrire pour moi seule. Je ne songeais presque pas au public ; je ne me faisais pas encore une idée nette de ce qu’est la publicité. Je ne croyais nullement qu’il pût m’appartenir d’impressionner ou d’influencer l’esprit des autres. »
Certes, une pareille définition de la conception artistique ne saurait s’appliquer entièrement à Berlioz. Lui, au contraire, ayant dès l’enfance violemment subi les impressions de l’art, a toujours considéré comme la gloire la plus enviable celle d’« influencer » à son tour « l’esprit des autres ».
Mais, tout en n’écrivant pas pour lui seul, il n’a jamais cessé d’exprimer ce que lui seul ressentait, avec la même spontanéité, la même naïveté dont parle George Sand, et il ne songeait au public que pour lui faire partager ses propres sentiments.
Pour se faire comprendre, il se borna tout d’abord aux programmes, prologues et titres caractéristiques que nous connaissons.
Mais, l’expérience venant, se faisant, lui aussi, une idée plus nette de ce qu’est la publicité, il vit enfin que le public est indifférent à des confidences trop particulières, ou ne sait pas les comprendre, et qu’il faut, pour solliciter son attention, d’autres moyens, plus grossiers, sans contredit, mais plus sûrs. Il continua donc à faire ce qu’il fallait pour apprendre aux gens ce qu’ils devaient chercher dans ses œuvres ; mais il inaugura désormais un moyen que les âges suivants ont fort utilisé, et que nous connaissons par le vocable « réclame ».
Nous connaissons plusieurs pièces autographes de Berlioz qui ne sont rien autre chose que des réclames. Comme elles nous permettent d’apercevoir de quelle façon il voulait guider le public et l’amener à goûter ses œuvres, que souvent même elles nous découvrent des vues intéressantes sur ses intentions artistiques, nous ne craignons pas de reproduire ici ceux de ces documents qui sont venus à notre connaissance.
Les premiers concernent la Damnation de Faust, le chef-d’œuvre qui fit le désespoir de la vie et provoqua la ruine de son auteur. On entrevoit, par les efforts inusités dont leur nombre est l’indice, que, dès avant l’exécution, Berlioz avait un vague pressentiment du désastre : il semble se débattre au milieu d’obstacles qu’il n’avait pas encore rencontrés.
Voici d’abord une note dont l’original fait partie de la précieuse collection dauphinoise de M. Chaper, d’Eybens (près Grenoble), à l’obligeance de qui nous en devons la communication. L’autographe spécifie que le texte est extrait du Messager.
M. Berlioz vient de terminer une grande composition musicale intitulée : la Damnation de Faust, opéra-légende en 4 parties. Cet ouvrage conçu pendant le dernier et brillant voyage de M. Berlioz en Allemagne présente, dit-on, une variété de caractères et un éclat de coloris propres à justifier l’intérêt extraordinaire qu’il excite déjà dans le public musical. Roger (Faust), Herman-Léon (Méphistophélès), Henri (Brander), Mme Duflot-Maillard (Marguerite), et toutes les puissances de l’orchestre et des chœurs exécuteront sous la direction de l’auteur cette nouvelle production, dans un concert qui aura lieu à l’Opéra-Comique le dimanche 29 novembre à 1 h. 1/2. On s’inscrit dès aujourd’hui pour les loges au bureau de location.
Les catalogues d’autographes de la maison Charavay font plusieurs mentions de notes de Berlioz relatives à la Damnation de Faust. En voici une que j’ai relevée sur le catalogue qui porte le n° 249, J. Charavay :
A ESCUDIER. — Trois réclames autographes pour la Damnation de Faust, 3 pp. in-8°. Curieuses pièces.
Nous ne pensons pas être téméraire en annonçant que le texte de ces pièces est le suivant, que nous avons trouvé imprimé dans un feuilleton musical des Débats de M. Adolphe Jullien, sans doute notre confrère l’aura transcrit au vol à l’occasion de quelque vente publique, et nous en aura ainsi procuré la connaissance [CG no. 1075] :
Mon cher ami,
Voilà trois réclames telles quelles. Je suis abruti par tous les préparatifs. Nous répétons aujourd’hui toute la journée. Je tâcherai pourtant d’aller vous voir vers les quatre heures.
Tout à vous,
H. BERLIOZ.
1° Les répétitions de la Damnation de Faust se poursuivent avec activité, et l’effet qu’elles produisent excite l’enthousiasme des exécutants. C’est toujours dimanche 29 novembre, à une heure trois quarts, que ce nouvel ouvrage de M. Berlioz sera entendu sous la direction de l’auteur à l’Opéra-Comique.
Roger chante, dit-on, d’une amirable manière le rôle de Faust.
2° C’est dimanche 29 novembre, à une heure trois quarts, qu’aura lieu au théâtre de l’Opéra-Comique l’exécution du Faust de M. Berlioz. Cet opéra-légende, exécuté par Roger, Hermann-Léon, Henri, Mme Hortense Maillard, et deux cents musiciens dirigés par l’auteur, excite au plus haut point la curiosité du public musical.
3° Le Faust de M. Berlioz met en mouvement tout notre monde musical… Les répétitions préliminaires de ce grand ouvrage, qui semble s’éloigner du style et du faire des précédentes compositions de M. Berlioz, ont déjà révélé des morceaux d’un effet extraordinaire, et pour lesquels les exécutants se passionnent d’une façon inaccoutumée. C’est toujours Roger, Hermann-Léon et Mme Hortense Maillard qui sont chargés des rôles principaux. L’exécution aura lieu à l’Opéra-Comique dimanche 29 novembre, à 1 h. 3/4. Elle sera dirigée par l’auteur.
Les frères Escudier, éditeurs disparus, dont la maison connut bien des années brillantes, étaient, à ce moment, très favorables à Berlioz, qu’ils auraient volontiers « lancé », concurremment avec Verdi. Les annonces ci-dessus ne furent pourtant pas imprimées dans leur journal, la France musicale, en revanche il y parut, avant l’exécution, le texte d’une grande partie du poème, occupant deux pages entières du journal, et précédé d’une note dans laquelle était comprise une anecdote, non écrite par Berlioz, dont elle n’a pas le style, mais évidemment racontée d’après lui. Bien qu’elle soit futile, faisons lui place ici, puisque nous ne négligeons aucun détail, et que, depuis sa première publication, l’anecdote est restée inédite :
Une des plus importantes scènes de la Damnation de Faust a été écrite à Prague, pendant une répétition de sa Symphonie fantastique. Berlioz s’était attardé dans les rues tortueuses de la ville ; il était huit heures du soir, et la répétition devait commencer à sept heures. Il n’y avait plus moyen d’arriver à temps au lieu où étaient convoqués les musiciens ; que fait notre compositeur ? Sans plus s’inquiéter de ce que l’on fera sans lui, il s’arrête chez un épicier, au coin d’une rue, et là, à la flamme d’un bec de gaz, il se met à composer jusqu’à ce que le maître du logis, importuné par sa présence, vînt le prier de porter ailleurs ses papiers et ses pénates musicales (2).
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(1) KARLOVICZ, Souvenirs inédits de Chopin.
(2) Les Mémoires, en quelques mots plus concis, résument la même
scène dont ils place le lieu à Pesth, non à Prague.
Le Ménestrel, 14 Août 1904, p. 258-260
Les deux principaux journaux dont Berlioz était rédacteur, les Débats et la Gazette musicale, ne publièrent, à l’occasion de la première audition de la Damnation de Faust, que des annonces ordinaires.
Par contre, l’Illustration inséra une note dont l’intérêt est notable. Ce journal comptait parmi les organes favorables au musicien : il témoigna de ses bonnes intentions, à l’époque du Faust, par la publicité étendue qu’il fit à cette œuvre. Ce fut d’abord, la veille même de l’exécution (no du 5 décembre 1846), un long paragraphe de son Courrier, où l’ouvrage est annoncé comme contenant « des morceaux étourdissants », et où l’attention des lecteurs est appelée sur cette curiosité qu’à ses « innovations si heureuses dans le rythme et la mélodie » Berlioz a ajouté celle de vouloir « révolutionner la langue », et ce, parce qu’« à cet effet il a adapté à notre idiome des lambeaux de langue infernale, cette langue métallique et sulfureuse que les démons, au dire de Swedenborg, parlent entre eux ». Le numéro suivant (du 12 décembre) donne un compte rendu dont le rédacteur essaie visiblement d’être aimable, tout en témoignant, par la nature de l’étonnement qu’il manifeste, d’une profonde ignorance de toute musique digne de ce nom. Enfin le même numéro reproduit, illustré d’une gravure sur bois, le commencement du chœur de Gnomes et de Sylphes, et toutes les paroles de la scène.
Mais, plus de quinze jours avant la première audition (no du 21 novembre), ce périodique si dévoué à la renommée du maître avait déjà publié une note qui, insérée à la dernière page, avant le rébus, a toutes les apparences d’un communiqué. C’est évidemment une de ces réclames que Berlioz multipliait si activement dans les journaux amis : pourtant celle-ci est mieux qu’une réclame, elle a vraiment l’importance d’une déclaration. Nous la reproduirons d’autant plus volontiers qu’elle nous fixe, sans réplique possible, croyons-nous, sur les intentions de Berlioz quant au caractère de la Damnation de Faust et à l’appropriation purement lyrique et non scénique de son œuvre.
M. Berlioz vient de terminer le grand ouvrage qu’il avait entrepris pendant sa brillante tournée en Allemagne, et qui a pour titre la Damnation de Faust, opéra-légende en 4 parties.
Ce titre insolite d’opéra-légende indique une œuvre destinée à être lue plutôt que représentée, et l’impossibilité de jouer convenablement au théâtre les principales scènes de divers actes, et notamment du dernier, justifie l’auteur de l’avoir choisi.
On conçoit en effet que cette partie du drame où surgit autour de Faust endormi la foule des esprits de la terre et de l’air, appelés par Méphistophélès à bercer son sommeil, et où Faust et Méphistophélès courent au galop effréné de deux chevaux pendant que de monstrueuses apparitions les poursuivent, s’adresse plutôt à l’imagination qu’aux yeux et qu’on a dû renoncer à rendre de semblables scènes dans toute leur terrible vérité.
La Damnation de Faust sera donc chantée dans un concert qui aura lieu à l’Opéra-Comique, le dimanche 29 novembre à une heure et demie ; les rôles de Faust, de Méphistophélès, de Brander et de Marguerite ont été confiés à MM. Roger, Hermann-Léon, Henri et à Mme Duflot-Maillard ; les chœurs et l’orchestre, formant un personnel de deux cents musiciens, seront dirigés par M. Berlioz.
Après l’échec de la Damnation de Faust à Paris, Berlioz chercha sa revanche au pays même de Gœthe. Là, ce ne fut plus à l’indifférence du public français qu’il se heurta, car l’œuvre souleva des discussions passionnées, suscitant, à côté de vives admirations, des critiques ardentes. A la première audition à Berlin, « le parterre, disent les Mémoires, était rempli de gens malveillants, indignés, m’a-t-on dit, qu’un Français eût l’insolence de mettre en musique une paraphrase du chef-d’œuvre national allemand ». « Des critiques allemands, dit-il dans un autre chapitre, m’attaquant avec plus de violence au sujet des modifications apportées dans mon livret au texte et au plan du Faust de Gœthe, j’eus la bêtise de leur répondre dans l’avant-propos de la Damnation de Faust. »
Cet avant-propos, présentant la défense d’un auteur coupable d’avoir commis la Damnation de Faust, répond à des critiques qu’ont perpétuées certaines intransigeances dont l’effet, si l’on s’y conformait, serait vraiment d’empêcher l’essor de toute œuvre d’art. Donc, bien qu’au lieu d’un exposé de principes généraux ou du commentaire direct d’un ouvrage il porte sur un point spécial, il contient l’exposé d’une question assez importante pour que nous croyions devoir le reproduire dans ce recueil de documents émanant de lui sur son œuvre. Cela est d’autant plus opportun que ce texte, imprimé dans la première édition, a disparu des partitions postérieurement tirées, et qu’il est inconnu aujourd’hui de la plus grande partie du public.
Le titre seul de cet ouvrage indique qu’il n’est pas basé sur l’idée principale du Faust de Gœthe, puisque, dans l’illustre poème, Faust est sauvé. L’auteur de la Damnation de Faust a seulement emprunté à Gœthe un certain nombre de scènes qui pouvaient entrer dans le plan qu’il s’était tracé, scènes dont la séduction sur son esprit était irrésistible. Mais fût-il resté fidèle à la pensée de Gœthe, il n’en eût pas moins encouru le reproche, que plusieurs personnes lui ont déjà adressé (quelques-unes avec amertume), d’avoir mutilé un monument.
En effet, on sait qu’il est absolument impraticable de mettre en musique un poème de quelque étendue, qui ne fût pas écrit pour être chanté, sans lui faire subir une foule de modifications. Et de tous les poèmes dramatiques existants, Faust, sans aucun doute, est le plus impossible à chanter intégralement d’un bout à l’autre. Or si, tout en conservant la donnée du Faust de Gœthe, il faut, pour en faire le sujet d’une composition musicale, modifier le chef-d’œuvre de cent façons diverses, le crime de lèse-majesté du génie est tout aussi évident dans ce cas que dans l’autre et mérite une égale réprobation.
Il s’ensuit, alors, qu’il devrait être interdit aux musiciens de choisir pour thèmes de leurs compositions des poèmes illustres. Nous serions ainsi privés de l’opéra de Don Juan, de Mozart, pour le livret duquel Da Ponte a modifié le Don Juan de Molière ; nous ne posséderions pas non plus son Mariage de Figaro, pour lequel le texte de la comédie de Beaumarchais n’a certes pas été respecté ; ni celui du Barbier de Séville, de Rossini, par la même raison ; ni l’Alceste de Gluck, qui n’est qu’une paraphrase informe de la tragédie d’Euripide ; ni son Iphigénie en Aulide, pour laquelle on a inutilement (et ceci est vraiment coupable) gâté des vers de Racine, qui pouvaient parfaitement entrer avec leur pure beauté dans les récitatifs. On n’eût écrit aucun des nombreux opéras qui existent sur des drames de Shakespeare. Enfin M. Spohr serait peut-être condamnable d’avoir produit une œuvre qui porte aussi le nom de Faust, où l’on trouve les personnages de Faust, de Méphistophélès, de Marguerite, une scène de sorcières, et qui pourtant ne ressemble point au poème de Gœthe.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La légende du docteur Faust peut être traitée de toutes les manières : elle est du domaine public ; elle avait été dramatisée avant Gœthe; elle circulait depuis longtemps sous diverses formes dans le monde littéraire du nord de l’Europe quand il s’en empara : le Faust de Marlow jouissait même, en Angleterre, d’une sorte de célébrité, d’une gloire réelle que Gœthe a fait pâlir et disparaître.
Ayant répondu en outre aux questions subsidiaires relatives à la Marche hongroise et à la nécessité qu’il y eut de retraduire en allemand les textes mis en musique en français et qui étaient eux-mêmes des traductions, l’auteur conclut ainsi :
Peut-être ces observations paraîtront-elles puériles à d’excellents esprits qui voient tout de suite le fond des choses et n’aiment pas qu’on s’évertue à leur prouver qu’on est incapable de mettre à sec la mer Caspienne ou faire sauter le Mont-Blanc. M. H. Berlioz n’a pas cru devoir s’en dispenser néanmoins, tant il lui est pénible de se voir accuser d’infidélité à la religion de toute sa vie, et de manquer, même indirectement, de respect au génie.
La première œuvre que, rompant un silence de près de dix années, Berlioz ait produite après la Damnation de Faust, est son Te Deum, composition grandiose et trop peu connue. Il le fit exécuter pour la première fois à l’église Saint-Eustache à l’occasion de l’ouverture de l’Exposition de 1855. La collection d’autographes de la Bibliothèque du Conservatoire conserve, sur cet ouvrage, une note écrite pour être insérée dans le journal de l’éditeur Escudier, mais qui est mieux qu’une simple réclame, exposant en un bon style les intentions expressives et la conception de l’auteur. On y verra, avec quelque étonnement peut-être, Berlioz s’y réclamer des traditions de Jean-Sébastien Bach (1).
Le Te Deum à trois chœurs de M. Berlioz qui sera exécuté dans l’église de Saint-Eustache par neuf cents musiciens, la veille de l’ouverture de l’Exposition, est une œuvre considérable, où les divers caractères du texte sacré ont donné lieu à plusieurs morceaux de musique opposés entre eux de style et d’expression. On croit en général qu’un Te Deum n’est rien autre qu’un chant pompeux d’actions de grâces. La pompe est son caractère dominant en effet. Mais plusieurs des versets dont il se compose sont de véritables prières dont l’humilité et la tristesse contrastent avec la majestueuse solennité des Hymnes. Il y a même un Miserere dans le Te Deum :
Miserere nostri, Domine, miserere nostri. Fiat misericordia tua, Domine, super nos, quemadmodum speravimus in te.
Le compositeur aura donc sans doute cherché à reproduire dans son œuvre ces accents si différents. Les moyens qu’il a employés et dont l’énumération seule étonne, semblent l’indiquer.
L’orgue n’y est pas réduit au rôle d’accompagnateur ; il se fait rarement entendre en même temps que l’orchestre. Il dialogue avec les voix et les autres instruments. Il propose le thème que ceux-ci vont avoir à traiter ; ou bien il fait entendre une conclusion grave quand un morceau est terminé, il énonce une sorte de moralité musicale pendant le silence des exécutants situés à l’autre extrémité de l’église.
Les trois chœurs sont ainsi composés :
1° Un chœur de cent voix à trois parties ;
2° Un autre chœur de cent voix à trois parties ;
3° Un chœur à l’unisson chanté par six cents enfants.Ce dernier chœur exécute le thème du Te Deum, exposé en premier lieu par l’orgue, le ramène fréquemment, et ne chante au travers de la trame harmonique de l’orchestre et des deux autres chœurs, que des phrases extrêmement larges et simples. Procédé à peu près semblable à celui de l’emploi du choral dans la Passion de Sébastien Bach.
La partition de M. Berlioz contient huit grands morceaux : doubles et triples chœurs, hymnes, prières et une marche finale d’orchestre avec harpes et orgues, pour la présentation et la bénédiction des drapeaux des exposants. Il n’y a qu’un solo, le Te ergo quæsumus ; il est pour voix de ténor. L’auteur l’a confié à un jeune chanteur, M. Perrier, doué d’une voix ravissante, dit-on, et qui se fera entendre pour la première fois ce jour-là.
M. Henri Smart, le célèbre organiste anglais qui viendra de Londres pour cette cérémonie, improvisera sur l’orgue nouveau de M. Ducroquet et exécutera plusieurs pièces de Haendel. La partie d’orgue du Te Deum sera jouée par M. Batiste organiste de Saint-Eustache.
L’Enfance du Christ n’a pas de préface : une simple note pour le placement de l’orchestre et des chœurs est gravée au commencement de la partition.
Mais la seconde partie de cette « trilogie sacrée », la Fuite en Egypte, parue séparément tout d’abord, est précédée de la Lettre à M. ELLA, directeur de l’Union musicale de Londres, au sujet de LA FUITE EN ÉGYPTE, fragments d’un mystère en style ancien, etc., où est racontée la mystification célèbre de l’attribution « à Pierre Ducré, maître de chapelle imaginaire ». Le document, reproduit d’ailleurs dans les Grotesques de la musique (sous le noble titre de Correspondance philosophique) est trop connu pour que nous ayons à le reproduire ici : il nous suffit d’en faire mention, afin de montrer de quelle variété de ressources Berlioz était capable pour la présentation de ses œuvres au public.
____________________________________
(1) Cette note, dont l’autographe est, avons-nous dit, à la Bibliothèque du Conservatoire, a été imprimée, avec quelques modifications, dans la France musicale du 22 avril 1855.
Le Ménestrel, 21 Août 1904, p. 267-268
Quant aux Troyens, même pour cette œuvre dramatique, Berlioz revient encore à l’idée du prologue qui le hantait dès sa première symphonie. Quand, par suite de ses dimensions inaccoutumées, l’épopée musicale dut être divisée en deux parties, la seconde ayant été admise à la représentation tandis que la première restait inconnue du public, Berlioz voulut pourtant qu’il subsistât quelque chose de celle-ci. Mais il ne lui suffit pas de former, des thèmes de la Prise de Troie, une page symphonique, une ouverture qui, suivant l’exposé de principes de Gluck, eût « prévenu les spectateurs de l’action qui allait être représentée et en eût formé pour ainsi dire l’argument ». Non, la langue musicale parut insuffisante au maître de la symphonie à programme ; il composa pour les Troyens à Carthage un prologue dont un Rapsode, s’accompagnant de la lyre, venait réciter les vers, tandis que l’orchestre et les chœurs évoquaient le souvenir des scènes antérieures par des fragments empruntés à la Prise de Troie, la première partie, devenue ainsi elle-même comme un monumental prologue.
Si d’ailleurs la partition des Troyens n’a pas de préface, en revanche on lit sur la dernière page de sa première édition un « Avis » par lequel se peint tout Berlioz. Comme il ne figure plus dans les exemplaires, diversement remaniés, qui sont aujourd’hui répandus dans le public, nous en allons reproduire le texte, d’ailleurs court.
L’auteur croit devoir prévenir les chanteurs et les chefs d’orchestre qu’il n’a rien admis d’inexact dans sa manière d’écrire. Les premiers sont en conséquence priés de ne rien changer à leur rôle, de ne pas introduire des hiatus dans les vers, de n’ajouter ni broderies ni appoggiatures dans les récitatifs ni ailleurs, et de ne pas supprimer celles qui s’y trouvent (1). Les seconds sont avertis de frapper certains accords d’accompagnement dans les récitatifs, toujours sur les temps de la mesure où l’auteur les a placés, et non avant ni après.
En un mot, cet ouvrage doit être exécuté tel qu’il est.
Les accompagnateurs de la partition de piano sont aussi priés de ne pas doubler par des octaves les passages écrits en notes simples, et de n’user de la pédale qu’aux endroits où son emploi est indiqué.
H. B.
Rien à signaler, au point de vue de ce chapitre, dans les deux dernières partitions de Berlioz, la Prise de Troie et Béatrice et Bénédict.
Nous voudrions enfin mentionner quelques autres documents, en petit nombre, qui, sans être à proprement parler ni « programmes », ni « prologues », ni « préfaces », n’en eurent pas moins pour destination essentielle de figurer en tête des œuvres de Berlioz : ses dédicaces.
La plupart sont formulées par de simples noms : « A NICOLO PAGANINI (Roméo et Juliette) ; — A FRANZ LISZT (la Damnation de Faust) ; — A MON FILS Louis BERLIOZ (Lelio, souvenir bien dû par le père à l’œuvre qui lui avait valu la conquête de la mère) ; — A MESDEMOISELLES JOSÉPHINE ET NANCI SUAT (les nièces de Berlioz : la première partie de l’Enfance du Christ leur fut offerte) ; — Divo VIRGILIO (la partition des Troyens). Puis des personnages officiels, protecteurs des arts, interprètes, etc. Pas un mot de texte n’est ajouté à ces concises appellations.
Deux fois pourtant Berlioz rédigea des épitres dédicatoires, avec l’évidente intention de les faire imprimer à la première page des œuvres auxquelles elles étaient destinées ; mais, par suite de circonstances diverses, ni dans l’un, ni dans l’autre cas ce projet ne put être réalisé.
C’est pour ses deux principaux ouvrages dramatiques, Benvenuto Cellini et les Troyens, que ces dédicaces furent écrites.
La première confirme ce que nous savons, par bien d’autres témoignages, du caractère expansif de Berlioz et du vif souvenir qu’il gardait pour les services qu’il avait reçus. Gêné d’argent pendant qu’il travaillait à Cellini, il avait accepté un prêt délicatement proposé par Ernest Legouvé. « Il nous a, écrit ce dernier, donné en remerciements cent pour cent de notre argent, comme s’il ne nous l’avait pas remboursé ». Tout le monde en effet a lu la page pleine de cœur qu’il a consacrée à cet incident dans ses Mémoires.
Mais cela même ne lui suffit pas : il voulut faire mieux encore, et projeta d’offrir l’hommage de son opéra à celui qui lui avait, suivant son expression (tirée du poème), fourni le « métal ». Et, dans une lettre, datée du 31 juillet 1838 (un peu plus d’un mois avant la première représentation), il inséra un feuillet de papier à musique sur lequel il avait tracé, en travers des portées, le projet de dédicace que voici :
MON CHER LEGOUVÉ,
Vous connaissez la vie de l’homme étrange et admirable dont mon opéra porte le nom.
Vous savez que la veille du jour où devait être fondu son immortel Persée, il parcourut Florence, implorant de ceux qu’il croyait ses amis la somme nécessaire à l’achèvement de son plus bel ouvrage. Le métal lui manquait, il était pauvre alors et ne pouvait l’acheter. Tous furent sourds à la noble prière de l’artiste.
Au moment décisif, son œuvre allait être anéantie, quand, inspiré par un désespoir sublime, il saisit les vases d’or, les statuettes, les armures ciselées, travaux sans prix de ses savantes mains, et les jetant dans la fournaise, la lave ardente put étancher enfin la soif du moule qui l’attendait béant : et Persée apparut. Comme il ne devait rien qu’à lui-même, Cellini triomphant n’inscrivit auprès du corps de la Méduse terrassée que ces mots énergiques :
Si quis te lœserit, EGO tuus ultor ero ! ! !
Vous voyez que le peu de valeur de mon ouvrage n’est pas la seule différence à signaler entre l’aventure du statuaire florentin et celle du compositeur français. Car vous avez deviné que le Métal me manquerait aussi pour achever ma musique ; et sans attendre le jour où, n’ayant pas de vases d’or à jeter à la fonte, j’eusse été obligé de… me jeter ailleurs, vous êtes venu me prier d’accepter une offre généreuse qui seule pouvait me permettre de terminer ma tâche à loisir.
C’est donc votre nom, cher et digne ami, qui doit se trouver en tète de cette partition. Les vrais artistes comprendront tout ce qu’il y a d’inexprimable dans le sentiment qui m’a porté à l’y inscrire.
Je n’ai pu graver sur mon ouvrage, comme Benvenuto sur le sien : Si quelqu’un t’outrage, je te vengerai !
Cet engagement m’eût donné trop à faire et Cellini lui-même ne suffirait pas à le remplir.
H. BERLIOZ (2).
On sait la suite : Benvenuto Cellini, représenté le 3 septembre 1838, tomba, et la partition n’en fut pas publiée : l’ouverture seule parut ; elle porte le nom de Legouvé ; plus tard encore, Berlioz lui dédia son livre : A travers chants. Tout indépendantes qu’elles soient des principes d’art, ces manifestations venues du cœur sont assez significatives pour qu’il ne faille pas négliger d’en faire mention.
Pour les Troyens l’histoire est autre. En 1856, en pleine force de son génie, Berlioz, découragé par tant d’échecs, avait pris le parti de ne plus écrire. Un jour, à Weimar, il avoua à la princesse Wittgenstein qu’il portait dans sa tête le plan d’un vaste poème musical dont le sujet était tiré de l’Enéide, mais qu’il était résolu à n’y travailler jamais. A quoi la princesse, — Égérie par destination, — avait répliqué que s’il ne se mettait pas immédiatement à l’ouvrage, c’était elle qui jamais ne le reverrait. « Il n’en fallait pas tant dire pour me décider », ajoute Berlioz, qui aimait à être prié par les princesses. De fait, nous pouvons croire que cette intervention fut efficace, car les Troyens furent commencés le 5 mai 1856, — et peut-être que sans cela ils ne l’eussent été que le 15… Comme s’il y avait eu besoin de princesses pour que Berlioz produisit les Troyens !… Quoi qu’il en soit, il voulut laisser à la noble dame l’illusion de penser qu’elle avait été son inspiratrice ; peut-être lui-même eut-il la vanité de le croire ; et, quand il fut question de publier la grande partition de l’œuvre, tout en la mettant avec vénération sous l’invocation du poète, par l’hommage concis Divo Virgilio, il projeta d’adresser quelques paroles publiques, d’un ton convenable à la circonstance, à celle qui se plaisait à jouer le rôle de protectrice des « musiciens de l’avenir ».
Pas plus que celle de Benvenuto la grande partition des Troyens ne fut gravée du vivant de Berlioz. Aussi n’a-t-on pu retrouver aucune trace imprimée de l’épitre dédicatoire rédigée par lui. Mais il en fut ici de même que pour la dédicace à Legouvé ; cette épître, envoyée en manuscrit à celle qui en était l’objet, a été conservée dans ses papiers, et retrouvée après sa mort — cette fois encore par le fait de mon initiative. M’ayant été communiquée aussitôt après sa découverte, elle a été publiée pour la première fois par moi dans un périodique. Bien qu’elle ne soit plus inédite, je pense qu’il n’est point inopportun qu’elle soit reproduite ici, afin de compléter cet ensemble de documents :
A LA PRINCESSE CAROLINE DE WITTGENSTEIN
Vous souvient-il, Madame, de l’apostrophe que vous m’avez adressée un jour à Weimar ? Je venais de parler de mon désir d’écrire une vaste composition lyrique sur le 2e et le 4e livre de l’Enéide. J’ajoutai que je me garderais bien néanmoins de l’entreprendre, connaissant trop les chagrins qu’une œuvre pareille devait nécessairement me causer, en France, à notre époque, avec la bassesse de nos instincts littéraires et musicaux.
Vous m’avez alors défendu d’avoir peur. Au nom de mon honneur d’artiste, vous m’avez sommé d’exécuter ce projet, en me menaçant de me retirer votre estime si j’y manquais.
J’ai écrit les Troyens.
Sans vous et sans Virgile, cette œuvre n’existerait pas.
Vous avez parlé, en m’envoyant combattre, comme ces femmes de Sparte qui disaient à leurs fils en leur donnant un bouclier : « Reviens avec ou dessus ».
Je suis revenu, saignant et affaibli, avec le bouclier.
L’ouvrage a subi, comme moi, pendant la guerre, de cruelles blessures. J’ai eu la force de les panser. Il est guéri maintenant, le voilà tout entier. Il porte celle inscription votive : Divo Virgilio. Mais pourrait-il ne pas porter aussi votre nom ?
Qu’il vive donc sous ce double patronage !
Hector BERLIOZ.
11 mai 1865.
Il est enfin une autre dédicace, inscrite sur une partition des Troyens, qui nous semble être tout particulièrement touchante. Celle-ci est personnelle, et n’a pas été faite pour être imprimée. On la lit, tracée de la main si reconnaissante de l’auteur, sur une partition au piano complète des Troyens, dont quelques exemplaires ont été tirés antérieurement à la division de l’œuvre en deux parties : celui-ci, doublement précieux, appartient à M. Alexis Rostand, qui a eu l’obligeance de me le laisser examiner. Tout commentaire affaiblirait l’accent de ces quelques mots adressés par Berlioz à son fils ; les voici :
Mon cher Louis,
Garde cette partition, et qu’en te rappelant l’âpreté de ma carrière elle te fasse paraître plus supportable les difficultés de la tienne.
Ton père qui t’aime,
H. BERLIOZ.Paris, 29 juin 1862.
C’est sur cette parole grave, avec laquelle Berlioz, résigné ou non, se courbe devant l’inexorable arrêt du destin, que s’arrêteront nécessairement les citations, très variées, des pages par lesquelles il a commenté lui-même son œuvre et sa vie.
____________________________________
(1) Rapprocher de cette recommandation les paroles de Gluck dans l’épitre dédicatoire de Pâris et Hélène : « Une note plus ou moins soutenue, un renforcement de ton ou de mesure négligé, une appoggiature hors de place, un trille, un passage, une roulade, peuvent détruire l’effet d’une scène tout entière. Aussi, lorsqu’il s’agit d’exécuter une musique faite d’après les principes que j’ai établis, la présence du compositeur est-elle, pour ainsi dire, aussi nécessaire que le soleil l’est aux ouvrages de la nature, il en est l’âme et la vie. »
(2) Cet intéressant document, tenu caché par le destinataire pendant toute sa vie nous a été obligeamment communiqué, peu de temps après la mort d’Ernest Legouvé, par son petit-fils M. Paladilhe.
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