2018
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FESTIVAL BERLIOZ 2018 EN SECONDE SEMAINE : VIF-ARGENT ET DEMI-TEINTE
Par Pierre-René Serna
- 28 août : soir : orchestre et chœur le Concert Spirituel, sous la direction d’Hervé Niquet ;
- 29 août : après-midi : récital Roger Muraro ; soir : English Baroque Soloist et Monteverdi Choir, sous la direction de John Eliot Gardiner ;
- 30 août : après-midi : récital de piano Roger Muraro ; soir : orchestre les Siècles, chœur, sous la direction de François-Xavier Roth ;
- 31 août : après-midi : récital Patrick Messina, Fabrizio Chiovetta et Henri Demarquette ; fin d’après-midi : les Lunaisiens ; soir : Orchestre révolutionnaire et romantique, sous la direction de John Eliot Gardiner.
Trois temps forts ont caractérisé les œuvres de Berlioz données lors de quatre jours de la seconde semaine du Festival Berlioz de la Côte-Saint-André, au cours de trois concerts sous l’égide d’Hervé Niquet et de ces deux soutiens emblématiques et indéfectibles du Festival, François-Xavier Roth et John Eliot Gardiner.
GARDINER EN APOTHÉOSE
Précédent de deux jours la fin de cette édition du Festival, le concert placé sous la direction de Gardiner, entièrement consacré à Berlioz, est apparu à bien des égards comme un accomplissement de la manifestation. Le programme pouvait paraître étrange a priori, qui associe Harold en Italie en seconde partie à des extraits des Troyens (Chasse royale et orage et air de Didon « Je vais mourir »), le Corsaire et la cantate Cléopâtre, au prétexte d’un artificiel intitulé « Légendes sacrées du Sud ». Mais une interprétation exceptionnelle emporte toutes éventuelles réserves.
L’attaque du concert, d’entrée avec le Corsaire, se fait éblouissante : instrumentistes debout pour un allegro jailli éperdument. La suite ne fera que confirmer cette mise en bouche épicée, avec une Chasse royale emportée (et l’appoint vocal d’instrumentistes devenus choristes pour quelques mesures), les deux moments lyriques où la mezzo Lucile Richardot confirme un chant intense mêlé d’une expression dramatique tout autant.
Après l’entracte, Harold en Italie explose littéralement. L’alto soliste revient à Antoine Tamestit, sensible dans un doigté délicat, au cours d’une pérégrination qui le mène à se promener tout au long du plateau de l’auditorium sis dans la cour du château de la Côte-Saint-André, comme un personnage rêveur et voyageur. Ce qui est tout à fait l’esprit de l’œuvre (sinon sa lettre) ! L’orchestre répond d’un seul élan, debout à nouveau pour jeter l’orgie du final, à travers ses timbres d’époque exacerbés (ophicléide inclus) sous une battue implacable. Un concert d’exception, vif-argent, comme sait en réserver Sir John Eliot ! (Concert repris le 5 septembre prochain au Royal Albert Hall de Londres dans le cadre des « Proms ».)
MESSE ET TEMPLE
Plus disparates, dans les programmes de concert mais aussi la restitution, apparaissent deux autres œuvres de Berlioz.
La Messe solennelle de toute jeunesse revient au Concert Spirituel, orchestre et chœur, sous la direction nerveuse et investie d’Hervé Niquet. Diana Axentii et Sébastien Droy délivrent un chant bien projeté, alors que le baryton-basse Mikhail Timoshenko dispose d’une émission plus limitée. Peut-être l’ensemble, orchestre et chant, semble-t-il manquer de l’ampleur souhaitée (que savait dégager Jérémie Rhorer dans cette même œuvre en janvier dernier à Paris au Théâtre des Champs-Élysées), avec des cordes chétives et de grêles forces chorales ; en raison certainement d’effectifs par trop restreints ainsi que de l’acoustique sèche de l’auditorium provisoire implanté dans la cour du château de la Côte-Saint-André.
Autre relative déception, et d’autant plus pour une œuvre rare : le Temple universel, sous la direction de François-Xavier Roth. On sait qu’il s’agit de l’une des toutes dernières pages de Berlioz, écrite entre 1861 et 1868 pour ses deux versions. L’œuvre entendait célébrer l’Entente cordiale entre la France et la Grande-Bretagne, pour un vaste double chœur masculin accompagné à l’orgue (version primitive) et un simple chœur masculin a capella (seconde version). Ce sont les deux versions qui nous sont restées, mais Berlioz avait l’intention de réaliser une orchestration et des paroles en français et… en anglais, dont on a perdu la trace dans les deux cas. Puisque les paroles, prophétiques, disent : « Embrassons-nous par-dessus les frontières ! L’Europe un jour n’aura qu’un étendard. »
Cela explique le projet de ce concert : dans une adaptation des paroles en français et anglais, et une orchestration, commandée par le Festival Berlioz au jeune compositeur Yves Chauris (né en 1980). Afin de revenir aux intentions premières de Berlioz… Seulement, il faut bien reconnaître que ces belles promesses résultent un peu frustrées. Pour différentes raisons : un ensemble choral maigrichon, une trentaine de chanteurs masculins puisés pourtant à trois formations (Spirito, Jeune Chœur symphonique, Chœur d’oratorio de Lyon), alors que Berlioz prévoyait un millier de choristes ! De surcroît, un orchestre, les Siècles, lui aussi assez grêle et qui ne permet guère de juger de la pertinence de l’orchestration arrangée pour l’occasion. Et une manière d’imprécision dans l’interprétation, côté chœur surtout (chant mal coordonné sur des paroles inintelligibles, en anglais comme en français !), qui proviennent assurément d’un manque des répétitions nécessaires. Autre Berlioz en demi-teinte… La pièce sera reprise à la Philharmonie de Paris, le 24 juin 2019 par les mêmes Siècles mais des chœurs beaucoup plus étoffés, dans le cadre des célébrations de « Berlioz 2019 », qui devrait permettre de mieux apprécier cette œuvre brève mais fervente.
EN COMPAGNIE DE BERLIOZ
Puisque le Festival Berlioz ne se consacre pas uniquement au compositeur dont il porte bravement le nom, revenons sur quelques moments et quelques œuvres autres.
Ainsi une Messe des morts de Martini, inédite pour notre temps, qui tient compagnie à la Messe de Berlioz. Jean-Paul-Égide Martini (1741-1816) fut un compositeur ayant fait carrière à Paris, bien que né en Allemagne, avec un certain renom en son époque, auteur des quelques opéras et de romances, dont le célèbre Plaisir d’amour que Berlioz devait orchestrer. Sa Messe des morts date de la toute fin de sa vie, en 1815, année de sa création avant une reprise l’année suivante et avant de tomber dans l’oubli. Au reste, alors que l’on ne sait si Berlioz avait connaissance de cette œuvre précise de Martini, il connaissait le compositeur et certaines de ses partitions. Cette résurrection valait assurément d’être tentée, si l’on en juge par une musique prenante, à l’occasion pourvue d’effets saisissants. Le Concert Spirituel, orchestre et chœur, s’en fait le vibrant porte-parole sous la direction d’Hervé Niquet.
À noter que ce programme devrait être repris en juin prochain à Versailles, puis au Festival de Montpellier. Et à la suite est prévu un double enregistrement, pour chacune des œuvres (complété pour la Messe de Martini des motets ajoutés par le compositeur, ici absents du concert).
La Neuvième Symphonie de Beethoven succède pour sa part au Temple universel lors du même concert. Deux œuvres qui chantent pareillement l’appel à la fraternité entre les peuples. La symphonie se révèle, elle, accomplie à tous égards : orchestre acerbe, chœur (des trois formations au grand complet) d’un large élan, sous la direction vigilante de François-Xavier Roth. Une interprétation cette fois toute de relief, où se goûte la restitution instrumentale d’époque (la sonorité mystérieuse du troisième mouvement) et sa répartition par pupitres étagés.
HORS BERLIOZ
Toujours en marge de Berlioz : quatre cantates de Bach, servies par Gardiner, ses English Baroque Soloist (autre nom de l’Orchestre révolutionnaire et romantique, mais pour la période et la stylistique baroques) et son Monteverdi Choir, dans la fastueuse église abbatiale de Saint-Antoine (à 30 km de la Côte). Avec une ferveur à l’égal de celle du concert du surlendemain, qui justifie les mots du maestro : « Bach c’est du Berlioz ! ».
Les récitals d’après-midi dans la petite église de la Côte échoient pour une large part à Roger Muraro et son piano athlétique pour Debussy, Liszt et Messiaen (les rares et difficiles Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus, livrés par le spécialiste attitré du compositeur). Dans ce même lieu, Patrick Messina (frère de Bruno Messina, entreprenant directeur du Festival), Fabrizio Chiovetta et Henri Demarquette, forment un trio de choix, clarinette, piano et violoncelle, pour des pages de Schumann et Brahms.
AU MUSÉE
Le Musée Hector-Berlioz résonne lui aussi de musiques : dans le jardin de cette maison historique, à la charge des Lunaisiens, pour de pétulantes chansons du XIXe siècle, de Béranger entre autres, portées par le chant gouailleur et la direction efficace d’Arnaud Marzorati.
Et on n’aurait garde d’omettre l’exposition de cette année au Musée : « les Images d’un iconoclaste ». Ou un parcours de dessins, caricatures et photographies d’époque de notre héros. Et une mine de trouvailles entre des images parfois plus connues mais ici présentées dans leur état original. Pour l’anecdote, on note la gravure parue dans le Charivari en 1855, qui montre un Berlioz dirigeant un orchestre réparti sur la totalité de planète. Comme un écho au prochain Temple universel… (Exposition jusqu’au 31 décembre.)
Pierre-René Serna
À l’Opéra de Paris Bastille : un Cellini mal fondu
Représentation du 20 mars 2018 (première).
Par Pierre-René Serna
On sort quelque peu dépité, sinon hébété, de ce Benvenuto Cellini à la Bastille, qui s’inscrit dans le cycle des opéras de Berlioz programmé saison après saison par l’Opéra de Paris. Une sorte d’embrouillamini côté visuel, surtout, mais aussi – hélas ! – pour la restitution musicale.
La mise en scène, signée Terry Gilliam (venu des Monty Python, ce qui n’est pas sans signification), a été créée en 2014 à l’English National Opera de Londres, pour ensuite tourner à Amsterdam, Rome et Barcelone. L’Opéra de Paris l’accueille à son tour. On ne sait trop ce qu’il en fut des précédentes reprises, mais il est à supposer que la conception n’a pas essentiellement varié d’une scène à l’autre. Elle verse dans une lecture superficielle, qui met l’accent sur un aspect de cirque et de foire parsemé de gags prétendument drôles, mais qui surtout s’enferre dans un galimatias dont l’œuvre ne sort pas indemne. Pour s’en tenir à la trame, elle devient absolument incompréhensible pour qui n’est pas parfaitement au fait de l’intrigue. S’ajoutent des effets de bruitages divers, pétards, cris et cognements, qui ne font qu’accentuer la confusion. C’est surtout vrai du premier acte, malgré un dispositif scénique de même nature dans les deux actes, avec un gros décor gris caverneux et des costumes tout aussi laids. Dans le genre futile, auquel cet opéra a été trop souvent soumis (alors qu’il vibre d’arrière-fonds métaphysiques, comme l’a montré en son temps Tim Albery ou plus près de nous La Fura dels Baus à Cologne), on pouvait faire plus finement (comme à Münster en 2014)…
Ce qui amène à évoquer la version choisie, pour un opéra qui, comme on sait, se prête à de multiples choix possibles. Il s’agit donc ici d’une version en deux actes, peu ou prou la version de Paris, mêlant « Paris 1 » et « Paris 2 » (selon la partition éditée par Bärenreiter). Elle s’apparente à celle donnée à Amsterdam, selon le commentaire qu’en a fait sur ce site Christian Wasselin (auquel nous proposons de se reporter), avec ses satisfactions et ses incohérences. Parmi ces dernières, des coupures, insidieuses ou brutales (le duo Teresa-Cellini au deuxième acte par exemple, coupure absente à Amsterdam). Mais ce choix, d’une version plus ou moins longue et plus ou moins originale, a le mérite de revenir (plus ou moins) à la pièce telle que Berlioz l’avait initialement conçue, avec les récitatifs qui nous changent fort heureusement des dialogues parlés apocryphes qui ont trop longtemps sévi depuis Colin Davis.
Côté interprétation musicale, d’emblée une ouverture terne (dans sa version finale) ne laisse rien présager d’encourageant pour la suite. Ouverture achevée sur des bruits de feux d’artifice, eux éclatants, qui oblitèrent ses dernières mesures. La suite, elle, sera un méli-mélo où disparaît la sève incomparable de cet opéra sans équivalent, entre des ensembles vocaux et des chœurs imprécis, un orchestre routinier, des couleurs fades et estompées, des articulations et arrêtes élimées, le tout dans ce constant mezzo forte que Berlioz fustige (mais souvent couvert des bruits intempestifs et parasites susmentionnés, eux fortissimo). Il n’est que d’observer la battue du chef d’orchestre, Philippe Jordan, pour s’apercevoir, avec ses gestes balancés symétriquement, qu’elle tente simplement d’assurer une mise en place qui s’échappe. Il est vrai que l’agitation brouillonne du plateau ne facilite guère l’exactitude musicale des intervenants. À brouillon scénique, brouillon musical ! Tout cela est bien désolant. Reconnaissons toutefois que cela incombe davantage au premier acte. À l’acte suivant, la coordination espérée se fait mieux sentie, avec quelques subtilités d’orchestre bien venues (l’introduction et le soutien à l’air de Cellini). Un acte, il est juste, moins complexe que les précédents entrelacs dans leurs parties enchevêtrées… Que n’y a-t-il eu un troisième acte ? qui aurait alors peut-être atteint la cohésion souhaitable et indispensable…
Car, à l’évidence, cette production n’a pas bénéficié des répétitions nécessaires à cette œuvre difficile entre toutes. Philippe Jordan est un bon chef d’orchestre, et il l’a prouvé dans maintes autres réalisations pour l’Opéra de Paris. Il n’est que de remémorer ses Maîtres Chanteurs de Nuremberg, opéra d’une texture comparable, pourléchés en 2016 dans cette même maison (pour lesquels Jordan s’était fendu d’un texte détaillé dans le programme de salle, dont l’absence ici est un signe). Ou son Béatrice et Bénédict de concert l’an passé, tout à fait honorable (à l’encontre, cependant, de son antérieure Damnation de Faust). Devant le tarabiscoté de la mise en scène, il est fort possible que les répétitions se soient axées sur elle. Au détriment de l’ajustement musical, déjà gêné par des mouvements incessants autant qu’inappropriés. En l’état, on reste loin de l’interprétation exemplaire livrée par François-Xavier Roth, à Cologne et à la Côte-Saint-André, voire de celle du petit théâtre de Münster, précitée, avec les valeureuses et impeccables forces locales. Gageons néanmoins qu’au fil des sept prochaines représentations, la restitution musicale saura probablement trouver ses marques et peu à peu un équilibre qui faisait défaut à ce qui confine à un trop sommaire galop d’essai. La chose n’est pas « sans pareille », et ce genre d’évolution réparatrice est déjà advenue…
Car la distribution des solistes vocaux ne manque pas de vertus. À commencer par le rôle-titre, qui échoit à John Osborn, ténor qui sait jouer de nuances et gagne en fermeté passant la soirée, jusqu’à son second air transmis d’une délicieuse volupté diaphane. Michèle Losier et Maurizio Muraro, présents à Amsterdam tout comme Osborn, plantent un Ascanio idéalement emporté et un Balducci grommeleur comme il sied, bien qu’un peu éteint. Pretty Yende s’empare de Teresa d’une voix bien lancée. Alors que le Pape de Marco Spotti ne possède pas exactement la profondeur sacerdotale requise. Un bon plateau vocal dans l’ensemble, qui aurait gagné à être mené avec acuité. Peut-être, comme nous disions, au long des prochaines représentations. « Espérons »…
Pierre-René Serna
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