par
Pierre-René Serna
Cela commence et se présente d’emblée comme dans un conte, à une époque future indéterminée. Quand les orchestres auront disparu. Sauf un, situé dans le nord de… l’Espagne, dans la ville imaginaire de Lanzanor. Et au sein de cet orchestre, entre les repetitions et les concerts, les participants se réunissent au café pour discuter, de musique surtout. Cela rappelle quelque chose… Une autre fable, un autre conte, primitivement intitulé les Contes de l’orchestre…
Devenu par la suite les Soirées de l’orchestre, bien entendu. L’auteur, Enrique García Revilla, ne s’en cache pas, qui revendique cette filiation, explicitement dans l’épilogue final de Los cafés de la orquesta (les Cafés de l’orchestre), ouvrage de fiction écrit en espagnol. Car García Revilla est l’un des rares spécialistes de Berlioz en Espagne, auteur du pertinent La estética musical de Hector Berlioz et signataire des récentes traductions en espagnol des Mémoires et… des Soirées de l’orchestre (trois éditions que nous avions déjà saluées sur ce site).
C’est ainsi que Los cafés de la orquesta reprend la même identique structure, avec la présentation de la dizaine des personnages intervenants, tous membres de l’orchestre ; puis la division en quatorze séquences ou séances de café (en lieu de vingt-cinq soirées), suivant le cours de causeries ayant successivement pour thèmes et prétextes : les Variations Enigma d’Elgar, le Barbier de Séville, la Cinquième Symphonie de Mahler, la Neuvième de Beethoven, la symphonie « les Adieux » de Haydn, Stravinsky, le Requiem de Mozart, un intermède à propos de Bruckner et Wagner, trois séances dédiées à l’Enfance du Christ, le Grand Macabre de Ligeti, le Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski, la Moldau de Smetana, et enfin l’Amour sorcier de Falla. Autant de sujets suscitant les débats et excitant dialogues des commentateurs instrumentistes, à travers le comportement d’une profession que García Revilla a eu l’occasion d’éprouver, puisqu’il est lui-même altiste dans l’Orchestre symphonique de Burgos. Et parmi eux, trônant et omniprésent, un certain Benvenuto Zoil, référence et transposition limpide (ce « zoil » inversé de « lioz ») et premier hautbois de l’orchestre ; si ce n’est que le caractère du personnage fictif, « emporté » et discutailleur, ne correspond pas nécessairement au tempérament de notre héros qui déclarait « tâcher de faire froidement des choses brûlantes ».
Le tout, fourmillant de rebondissements et échanges agités, à partir d’anecdotes souvent apocryphes. Le livre verse un moment dans le roman policier, avec un meurtre (celui du « tousseur » des concerts) que l’on cherche à élucider. Mais toujours accompagné d’une bonne dose d’humour, à l’instar de son modèle littéraire. Un reflet aussi, au fil des pages et citations d’œuvres, des goûts musicaux de l’auteur, où figurent nombre de musiciens germaniques, bien peu de compositeurs français (hormis un, en majesté il est vrai), italiens (sauf Rossini, Donizetti négligemment en passant, et Gesualdo, mentionné comme nom d’un… chat) et peu d’espagnols, paradoxalement. À croire que les sœurs musicales latines n’éveillent guère les inspirations et aspirations de García Revilla.
L’ouvrage, qui a reçu en Espagne le second Prix de narration « Fray Luis de León », se destine bien évidemment aux lecteurs hispanophones. Mais il est propre à les ravir, au-delà de la référence au compositeur d’élection, par la pertinence du propos, l’engouement et l’enjouement de récits relatifs à la musique sans outrecuidance, servis d’une plume alerte et palpitante.
Pierre-René Serna
Enrique García Revilla : Los cafés de la orquesta, édition Junta de Castilla y León (Espagne, 2016).
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 9 avril 2017.
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