Le Rénovateur, 2-3 novembre 1834
Cette page présent la deuxième partie du texte originald’un
compte-rendu publié par Berlioz dans Le Rénovateur de novembre 1834,
dans lequel il traite avec humour et ironie, selon son habitude, de plusieurs de
ses propres œuvres.
Notre ami Gene Halaburt nous a généreusement envoyé cet article, avec la permission de le reproduire ici.
Avis aux lecteurs assez désœuvrés pour lire mes feuilletons.
Voilà ma maladie de concerts qui me reprend. MM. les rédacteurs du Rénovateur, en obligeants confrères, se chargent d’annoncer aux abonnés de notre inestimable journal cette nouvelle assez peu intéressante; mais comme ces messieurs auraient cru manquer de courtoisie s’ils n’eussent fait suivre l’annonce de quelque phrase flatteuse qu’on n’aurait pas manqué de m’attribuer charitablement, je crois plus loyal et plus franc d’avertir moi-même le public. Je dis avertir, et c’est le mot; car, au lieu de promettre monts et merveilles (on s’attend peut-être que je vais le faire), je vous dirai tout net que ma musique est un tissu d’extravagances et d’absurdités comme on n’en fait pas même à Charenton. Et sans parler du quatuor Sara la baigneuse, assez froide rapsodie, dans laquelle M. le prince W...... a bien voulu se charger de chanter la première basse, non plus que du trio des ciseleurs de Florence qui sera accompagné, à ce qu’on m’a dit, par trois cents petites enclumes et autant de marteaux (aimable harmonie), j’en viens tout de suite à la nouvelle symphonie en quatre parties, avec un alto principal, ayant pour titre Harold. Je vous demande de bonne foi ce que peut signifier une symphonie qui s’appelle Harold? ... La première partie a pour but de peindre des scènes de mélancolie, de bonheur et de joie; la seconde prétend nous faire assister à une marche de pélerins chantant la prière du soir; la troisième s’intitule sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, la quatrième nous traîne au milieu d’une orgie de bandits. Et toujours à travers les diverses scènes se retrouve l’alto solo, le Harold, vagabond rêveur comme le héros de Byron, caractérisé par une mélodie traînante et ennuyeuse qui se reproduit avec une désespérante uniformité. Voilà ce que c’est qu’Harold. Je ne dirai rien de la légende irlandaise à quatre voix, non plus que de la fantaisie de soprano et orchestre sur une poésie de Victor Hugo, cela pourrait encore se supporter, mais ma conscience m’oblige de dire à toutes les personnes (et le nombre en est grand), qui n’ont pas entendu les cris forcenés du Roi Lear et les farces de la Symphonie fantastico-épileptique, de consulter les malheureux auditeurs de mon concert de l’année dernière, et je doute qu’après les renseignements qu’ils leur donneront, il puisse rester dans leur esprit l’ombre du doute sur l’atrocité de ces symphonies. Elles figureront pourtant, l’une et l’autre, dans mon premier concert. Ajoutez qu’elles seront exécutées par cent trente gaillards qui n’y vont pas de main morte, et que dirigera M. Girard. Après cela, si vous passez dimanche prochain dans la rue Bergère, vers les deux heures, et que la fantaisie vous prenne d’entrer aux Menus-Plaisirs, ce n’est pas ma faute, je m’en lave les mains, vous êtes prévenus. Le marquis de Mascarille n’écrivait que pour se dérober, disait-il, aux persécutions des librairies; je ne donne des concerts que pour fair gagner quelque argent aux copistes, aux imprimeurs, aux gendarmes, aux afficheurs, au lampiste, au marchand de bois, aux ouvreuses et à ce pauvre fermier du droit des pauvres qui ne prend que le quart de la recette brute quand on ne va pas d’avance s’arranger à l’amiable avec lui.
HECTOR BERLIOZ
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* Dans la première partie de l’article Berlioz rend compte de la première exécution de l’opéra de Marliani, Marchand forain, à l’Opéra-Comique le 31 octobre 1834.
** Berlioz donna une série de trois concerts à la fin de
1834. L’exécution de Harold, prévue d’abord pour faire partie du
premier concert, dut finalement être reportée au troisième par manque de
temps pour les répétitions. (GH)
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