LES OUVRIERS FONDEURS (rentrent d’un air sombre en habit de travail. Ils portent des pelles, des pioches, des marteaux)
A l’atelier rentrons sans plus attendre,
Jamais de repos!
Allons tous reprendre
Le dur labeur de nos fourneaux.
Le maître sans gêne
Nous laisse la peine,
A nous le malheur,
Au maître l’honneur!
(Ils entrent au fond dans l’atelier de fonderie)
(Entrent Teresa et Ascanio, encore costumé en moine brun, ils ont l’air agité. Ils cherchent dans la chambre de droite s’ils aperçoivent Cellini. Teresa soulève le coin du rideau du fond et entre dans la fonderie. Elle rentre l’air découragé.)
TERESA
Il n’a pas reparu! ciel! aura-t-il pu fuir?
ASCANIO
En doutez-vous?
Allons courage, il va venir
Tra la la la.
(Ascanio entre dans la chambre de droite en quittant son habit de moine)
TERESA
Cette gaîté me désespère
Qu’ai-je fait en quittant mon père?
Chœur d’ouvriers fondeurs
LE CHŒUR (derrière le rideau du fond)
Bienheureux les matelots,
Ces enfants des flots!
Oh!
(Francesco et Bernardino rangent divers objets dans l’atelier.)
FRANCESCO
Allons! encor cette chanson plaintive!
LE CHŒUR
Sur la mer joyeusement
Ils suivent le vent.
Oh!
FRANCESCO
Toujours avec cet air quelque malheur arrive.
LE CHŒUR
Et quand sombre leur vaisseau,
L’onde est leur tombeau.
Oh!
BERNARDINO
Funeste présage
Que ce chant-là!
FRANCESCO
Jamais mon ouvrage ne réussira
S’ils perdent courage.
(en se tournant vers le fond du théâtre et s’adressant aux ouvriers)
C’est d’un fleuve de métaux
Que nous sommes matelots!
Régner sur l’onde est un jeu,
Quand on règne sur le feu!
FRANCESCO ET BERNARDINO
Allons, enfants, du cœur!
Redoublez tous de vigueur!
Mélangez le fer et l’étain;
Au succès nous boirons demain!
LE CHŒUR
Bienheureux les matelots,
Ces enfants des flots!
(Francesco et Bernardino entrent dans la fonderie. Teresa se lève et se dirige vers la porte de gauche où elle reste à regarder au dehors pendant tout l’air d’Ascanio.)
ASCANIO (entre en gambadant)
Tra, la, la, la, la, la...
Mais qu’ai-je donc? Tout me pèse et m’ennuie!
Mon âme est triste, mais bah! tant pis!
Quand vient la mélancolie,
Que d’ennui j’ai le cœur pris,
Tra, la, la, la... moi je chante et je ris,
Moi soudain je m’étourdis.
C’est donc ce soir que pour Florence
Tous les trois nous partons enfin
Sans redouter la sotte engeance
Du Cardinal qui dès demain
Ameutera tout le peuple romain.
Tra, la, la, la, la, la...
Mais qu’ai-je donc, etc.
Ah! ah! ah! ah! la bonne scène!
(contrefaisant Balducci)
– A moi, soldats! on nous l’entraîne.
(contrefaisant Cellini)
– Chut, Teresa, venez, c’est moi!
(contrefaisant Teresa)
– Grand Dieu, que vais je faire!
Suivre un amant, laisser mon père!
(contrefaisant Cellini)
– Venez, c’est moi, soyez prudente!
(contrefaisant Teresa)
– Un moine, un capucin!
(contrefaisant Fieramosca)
– Venez, c’est moi, la foule augmente!
(contrefaisant Teresa)
– Un autre! il prend ma main!
(à voix ordinaire)
Mais voilà le canon qui tonne
La nuit se fait, notre chance est bonne!
Et Teresa, ah, ah, ah!
Moitié riant moitié pleurant, prend mon bras,
Et s’enfuit en courant!
Et lui, perdu, parmi la foule disparu, ah, ah, ah!
Quelle nuit, ah cher maître, l’étrange nuit!
Mais qu’ai-je donc, etc.
TERESA
Ah, qu’est-il devenu? Jésus! où peut-il être?
ASCANIO
Il ne peut tarder à paraître,
Teresa, n’ayez pas d’effroi.
TERESA
Il est pris! il est pris ou mort, je vous le jure!
ASCANIO
Ni l’un ni l’autre;
Mon maître n’est pas homme à servir de pâture
Aux estafiers du Pape, aux sbires de la loi.
TERESA
Mais qui peut l’arrêter?
CHŒUR DE MOINES (derrière la scène, assez loin d’abord)
Vas spirituale, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
ASCANIO
Écoutez.
(Ascanio va regarder par une fenêtre.)
TERESA
Est-ce lui?
ASCANIO
Hélas, ce bruit qui monte avec tristesse
Vers la voûte des cieux,
N’est que la voix des confréries
Qui vont, chantant des litanies,
Accomplir ici-près quelque devoir pieux.
LE CHŒUR
Vas honorabile, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA
Quelle angoisse!
ASCANIO
Espérons.
TERESA
Prions.
TERESA ET ASCANIO
Prions!
Prière
LE CHŒUR (les moines plus près)
Rosa purpurea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Sainte Vierge Marie,
Étoile du matin...
LE CHŒUR
Turris Davidica, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Que ta lueur chérie
Verse un rayon divin...
LE CHŒUR
Turris eburnea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Verse un rayon divin
Sur mon/son triste destin.
LE CHŒUR
Stella matutina, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Sainte Vierge Marie,
Étoile du matin...
LE CHŒUR (s’éloigne)
Turris eburnea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Ramène, je t’en prie
Ramène mon/son amant.
LE CHŒUR (plus loin)
Vas honorabile, Maria sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Ramène mon/un tendre amant
Près de mon/son cœur souffrant.
LE CHŒUR
Rosa purpurea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Oh! conduis mon/ramène un amant
Près de mon/Auprès d’un cœur souffrant.
LE CHŒUR (de très loin)
Stella matutina, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
CELLINI
Teresa!
TERESA ET ASCANIO
Cellini!
CELLINI
Oui, mes enfants, près de vous me voici.
TERESA
Ah! le ciel soit béni.
Vous n’êtes point blessé, j’espère?
CELLINI
Non, Dieu merci! rassurez-vous, ma chère;
Je n’ai rien eu qu’un peu de peur.
Il ma fallu tout mon bonheur
Pour me tirer d’affaire.
Ah! c’est une merveille!
TERESA ET ASCANIO
Comment?
CELLINI
Oui, prêtez-moi l’oreille,
Et vous en conviendrez, la chose est sans pareille.
Ma dague en main, protégé par la nuit,
Devant mes pas je disperse la foule;
De tous côtés, sous mes coups, à grand bruit,
Le mur vivant qui m’enfermait s’écroule,
Et je peux fuir, je fuis... mais on me suit!
Les cris de mort de cette populace,
Cet habit blanc qui la met sur ma trace,
Tout dans ma course et m’arrête et me glace!
Une seconde encor, ô désespoir!
Et je touche à ma perte!
Quand j’aperçois une porte entr’ouverte,
Je disparais. Mais aussitôt de fatigue et d’émoi,
Le cœur me manque et le sol fuit sous moi!
TERESA
Juste ciel! achève, l’effroi
Même à ton côté me dévore.
CELLINI
Quand je repris l’usage de mes sens,
Les toits luisaient aux blancheurs de l’aurore,
Les coqs chantaient et le bruit des passants
Retentissait sur le pavé sonore.
Comment rentrer chez moi sans être vu,
Sans que ma robe aux sbires me trahisse?
Des moines blancs, ô bonheur imprévu,
Passent par là se rendant à l’office.
Vêtu comme eux, dans leurs rangs je me glisse
A tout hasard... mon étoile propice
Par ce chemin les conduit, Dieu merci!
Et, mieux encor, je te retrouve ici.
TERESA
Ah! que jamais Dieu ne nous désunisse!
ASCANIO
Mais n’est-il plus de dangers à courir?
CELLINI
La mort est sur moi suspendue.
Mes amis, il faut nous enfuir.
TERESA
Nous enfuir?
CELLINI
Sur-le-champ.
ASCANIO (avec consternation et lentement)
Mais, maître... la statue?
CELLINI
Au diable ma statue, et le Pape, et la loi!
Je ne pense aujourd’hui qu’à partir au plus vite,
(à Teresa)
Avec toi, chère enfant.
Ascagne, pour la fuite
Va, cours, prépare tout.
ASCANIO
Maître, comptez sur moi
Je reviens tout de suite.
(Il sort.)
TERESA ET CELLINI
Quand des sommets de la montagne
L’aigle inquiet
Entend la voix de sa compagne
Prise au filet,
Il jette aux vents son cri de guerre,
Fond sur les rets
Et fuit avec la prisonnière,
Loin des forêts!
En vain le plomb, en vain la poudre
Sifflent dans l’air,
Son aile va devant la foudre
Comme l’éclair!
Gagnons Florence; dans son aire
L’aigle toscan
Brave et dédaigne le tonnerre
Du Vatican.
Hâtons-nous!
Quand des sommets de la montagne, etc.
Dialogue
ASCANIO
Ah! maître!... mon cher maître!...
CELLINI
Eh bien?
ASCANIO
Voici le Trésorier avec Fieramosca...
Je les ai vus par la fenêtre!...
TERESA
Mon père!
CELLINI
Ne crains rien.
ASCANIO
Ah! mon Dieu, les voilà!
(Cellini s’empresse de cacher Teresa derrière la statue de Persée.)
BALDUCCI
Ah! je te trouve enfin,
Coureur de grand chemin,
Ravisseur, spadassin,
Misérable assassin!
CELLINI
Oh! oh! maître Giacomo, pourquoi
Cette colère et tant de bruit chez moi?
BALDUCCI
Hypocrite, rends-moi ma fille.
Elle est chez toi.
Rends-la moi!
Ou ce bâton...
CELLINI (indigné)
Malheureux!
TERESA (se jetant aux genoux de son père)
Ah! mon père! Je tombe à vos genoux!
BALDUCCI
Te voilà donc, vipère!
C’est fort bien honorer ta mère!
Fuir du logis, souiller ainsi ton nom!
A moi, Fieramosca, mon gendre!
Voici ta femme, emmène-la!
TERESA, ASCANIO, CELLINI ET FIERAMOSCA
Grand Dieu! que viens-je d’entendre?
FIERAMOSCA (timidement, s’avançant vers Teresa)
Ma femme? allons... pressons le pas!
CELLINI
Maraud, si tu touches son bras! Je...
BALDUCCI
Allons, va donc, mon gendre!
FIERAMOSCA
Moi, faire un esclandre!
CELLINI
Maraud! si tu fais un pas,
En enfer je te fais descendre!
TOUS ensemble
TERESA
Modérez-vous!
ASCANIO
Quel gendre!
FIERAMOSCA
Moi! faire un esclandre!
BALDUCCI
Mon gendre!
Sextuor
TOUS
Le cardinal! de la prudence!
Vite à genoux! paix et silence!
LE CARDINAL
A tous péchés pleine indulgence,
Ô mes enfants, relevez-vous!
De tous les droits de la puissance,
La pitié sainte et la clémence
A notre cœur sont les plus doux.
A tous péchés pleine indulgence,
Ô mes enfants, relevez-vous!
BALDUCCI ET FIERAMOSCA (se relevant)
Justice à nous, seigneur et maître!
A vos pieds saints nous venons mettre
Notre supplique... oh! vengez-nous.
LE CARDINAL
Justice? eh mais! que voulez-vous?
Mes chers amis, relevez-vous!
BALDUCCI et FIERAMOSCA ensemble
BALDUCCI
Un infâme a ravi ma fille,
Terni l’honneur de ma famille!
FIERAMOSCA
Le poignard d’un lâche ennemi
A terrassé mon noble ami!
LE CARDINAL
Et le coupable en tout ceci?
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Ô Monseigneur, il est ici, c’est Cellini!
TOUS
Cellini!
BALDUCCI et FIERAMOSCA ensemble
BALDUCCI
Voici ma fille et le coupable.
FIERAMOSCA
Voici le sang et le coupable.
TERESA, ASCANIO ET CELLINI
Non, Cellini n’est pas coupable.
LE CARDINAL
Cellini le coupable?
Un meurtre avec enlèvement!
En vérité, c’est effroyable!
Ce double crime, homme intraitable
Mérite un double châtiment.
CELLINI
Non, non, je ne suis pas coupable;
Veuillez m’entendre un seul moment.
LE CARDINAL (impatienté)
Et ma statue?
Dis-moi, qu’est-elle devenue?
CELLINI (hésitant à répondre)
Seigneur...
LE CARDINAL
Réponds!
CELLINI
Elle n’est pas fondue encor.
LE CARDINAL
Quoi! depuis le temps pas encor?
BALDUCCI
Elle n’est pas fondue encor!
TOUS
Elle n’est pas fondue encor!
LE CARDINAL
Vraiment, je suis bien débonnaire!
Un autre aura décidément
Le soin de fondre ta statue.
TERESA, ASCANIO, BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Un autre fondre sa statue!
CELLINI (stupéfait de fureur)
Un autre fondre ma statue!
Dieu! sur ma tête en ce moment
La foudre est-elle descendue?
Un autre fondre ma statue!
Ah! que la Vierge me pardonne,
Et le Saint-Père et ma patronne!
Mais nul artiste autre que moi,
Fût-il Michel-Ange, ma foi!
Ne mettra ma statue en fonte.
La mort plutôt que cette honte!
LE CARDINAL
Ah! c’est ce que nous allons voir!
Holà! Gardes, qu’on m’obéisse!
De cet homme qu’on se saisisse
Sur-le-champ!
CELLINI (s’élançant un marteau à la main vers le modèle de la statue)
Ce plâtre entier disparaîtra,
Pas un morceau ne restera,
Non, avant que l’un d’eux me saisisse.
(Il lève le marteau pour briser la statue.)
LE CARDINAL
Arrête, arrête! enfant maudit!
TERESA, ASCANIO, BALDUCCI, FIERAMOSCA ensemble
TERESA ET ASCANIO
Ah! qu’a-t-il fait et qu’a-t-il dit!
Oser braver le prince en face!
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Quel scélérat et quel bandit!
Oser braver le prince en face!
LE CARDINAL ET BALDUCCI
Quelle audace!
LE CARDINAL
Ah! ça, démon! pour te calmer que te faut-il donc?
CELLINI
De mes fautes l’entier pardon.
LE CARDINAL
Bien, tu l’auras!
CELLINI
Je veux encore
Celle qui m’aime et que j’adore.
LE CARDINAL
Tu veux ta grâce et Teresa?
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Ô monseigneur, arrêtez-là!
LE CARDINAL
Paix!
CELLINI
Et puis je veux, outre cela,
Fondre moi-même ma statue.
LE CARDINAL
Pour ton travail quel temps faut-il?
CELLINI
S’il plaît à Dieu,
Cette heure encor m’est nécessaire.
LE CARDINAL
Te suffit-elle?
CELLINI
Oui, j’espère:
Depuis longtemps la fournaise est en feu.
LE CARDINAL
Soit, j’y consens!...
Mais, maître drôle,
Souviens-toi bien de ma parole:
Je vais entrer à l’atelier,
A l’instant je prétends juger
Si ton œuvre peut être faite.
Or, si la fonte n’a pas lieu
A la justice, de par Dieu!
Je livrerai ta tête.
Si Persée enfin n’est fondu,
Dès ce soir tu seras pendu.
C’est, je le crois, bien entendu?
LES AUTRES SAUF CELLINI
Pendu ! Si tout bientôt n’est pas fondu.
Alors le fat sera pendu/grand Dieu, eh
quoi oui/lui pendu!
CELLINI (ironiquement)
Pour mes péchés quelle indulgence!
Ô monseigneur, que de bonté! pendu!
LE CARDINAL
Oui, pendu! Holà! Gardez la porte,
Reste ici, fanfaron, je vais voir les travaux
Et si dans les fourneaux
La flamme n’est pas morte,
S’il a dit vrai, qu’on allège sa tache,
Que chacun l’aide.
(à Fieramosca)
Allons, toi même, lâche,
Donne l’exemple et montre ton savoir.
FIERAMOSCA
Qui? moi?
LE CARDINAL
J’ai dit, fais ton devoir.
(Le cardinal et sa suite entrent dans la fonderie, suivis des autres personnages. Quatre gardes se placent aux avenues de l’atelier et surveillent Cellini. Francesco et Bernardino aux dernières paroles du Cardinal, se sont empressés de saisir Fieramosca et de lui ceindre le tablier de cuir des ouvriers fondeurs.)
CELLINI (rêveur)
Seul pour lutter, seul avec mon courage.
Et Rome me regarde! Rome!... Allons, vents inhumains,
Soufflez, gonflez les flots et vogue dans l’orage
La nef de mes sombres destins!
Quelle vie, quelle vie!
Sur les monts les plus sauvages
Que ne suis-je un simple pasteur,
Conduisant aux pâturages
Tous les jours un troupeau voyageur!
Libre, seul et tranquille,
Sans labeur fatiguant,
Errant loin des bruits de la ville,
Je chanterais gaîment;
Puis le soir dans ma chaumière,
Seul, ayant pour lit la terre,
Comme aux bras d’une mère
Je dormirais content.
Sur les monts les plus sauvages, etc.
UN OFFICIER
Son Éminence attend.
LE CARDINAL
Allons, commence!
FIERAMOSCA (en fondeur accourt du fond du théâtre tout joyeux)
Du métal! du métal! Il leur faut du métal,
Ou bien ils suspendent l’ouvrage.
CELLINI
Que dis-tu, fondeur infernal?
FIERAMOSCA
Du métal!
Ou nous suspendons l’ouvrage!
FRANCESCO ET BERNARDINO (accourent effrayés)
Maître, maître!
La fonte se fige!
TOUS
La fonte se fige!
FRANCESCO ET BERNARDINO
Du métal!
CELLINI
Tout est-il fondu?
FRANCESCO ET BERNARDINO
Tout! il en faut d’autre, vous dis-je!
CELLINI
Je n’en ai plus. Je suis perdu!
TOUS
Il n’en a plus. Il est perdu!
LE CARDINAL
Le fanfaron est confondu!
BALDUCCI
Le spadassin sera pendu!
CELLINI
Attends... que faut-il que je fasse?
LES OUVRIERS
Du métal! du métal! du métal!
CELLINI (exaspéré et se jetant à genoux)
Seigneur, use de ton pouvoir!
Dans ta main est le seul remède.
Si tu ne veux pas que je cède
Au désespoir,
Aide-moi donc, puisque je m’aide!...
(avec exaltation)
Je suis sauvé! Dieu m’est en aide!...
(à Francesco et à Bernardino)
Prenez tout ce que je possède!
Courez, ne laissez rien dans l’atelier.
FRANCESCO ET BERNARDINO
Quoi! tous vos chefs-d’œuvre?
CELLINI
Courez, courez, n’importe!...
Or, argent, cuivre, bronze, emporte,
Et jette tout dans le brasier.
(Francesco et Bernardino sortent en courant. Bientôt on les voit reparaître au fond du théâtre suivis d’Ascanio et d’autres ouvriers, chargés de divers ouvrages de ciselure en or et en bronze qu’ils lancent dans la fournaise. Ascanio à l’exemple de son maître saisit un candélabre, et Cellini s’emparant de tous les ouvrages de ciselure qui sont à sa portée, va les jeter dans la fournaise.)
TERESA, LE CARDINAL, BALDUCCI, ensemble
TERESA
Hélas! la force m’abandonne!
Va-t-il malgré tout réussir?
LE CARDINAL
Vraiment! son audace m’étonne:
Va-t-il malgré tout réussir?
BALDUCCI
Ma foi! la raison l’abandonne!
Le fou se ruine à plaisir.
CELLINI
Ah! je suis fou! venez tous ignorants,
Envieux, courtisans,
Est-ce folie
Ou bien génie?
(Il frappe son moule à grands coups de pic. Les gardes s’avancent vers le Cardinal pour l’éloigner du moule que Cellini est en train de briser.)
Voyez! voyez! lisez:
(montrant l’inscription de la statue)
«Si quis te laeserit ego tuus ultor ero!»
(Au dernier coup le moule tombe en morceaux et l’on voit la statue de Persée rouge et incandescente. Entrent les femmes et les enfants des ouvriers.)
TERESA, LE CARDINAL, BALDUCCI
Ah!
(Cellini tombe à demi évanoui sur un genou contemplant avec frénésie son ouvrage.)
ASCANIO, TERESA, CELLINI, LE CARDINAL, BALDUCCI
Est-il possible? que croire?
(Les ouvriers s’approchent les premiers.)
LE CHŒUR
Viva! viva! bravo Cellini!
TOUS
Victoire!
FIERAMOSCA (fendant la foule et noir de sueur et de fumée)
Allons, allons, faites-moi place,
Ce cher ami, que je l’embrasse.
BALDUCCI
Il réussit!
Je l’avais dit!
CELLINI (à part)
C’est à qui sera le plus lâche,
Maintenant...
(haut)
Monseigneur, j’ai terminé ma tâche.
LE CARDINAL
Puisque Dieu lui-même a béni
Et tes travaux et ta hardiesse,
J’acquitte à l’instant ma promesse,
Et te pardonne, ô Cellini!
CELLINI
Ô ma Teresa!
TERESA
Ô Cellini!
(Cellini reconduit au fond du théâtre le Cardinal qui sort, et revient après l’avoir salué.)
Grand Dieu! je vous rends grâce, accordez à mon cœur
Des forces pour un tel bonheur.
FRANCESCO, BERNARDINO ET LE CHŒUR
Viva! viva!
TERESA, ASCANIO ET FIERAMOSCA
Gloire immortelle!
LES OUVRIERS
L’or comme un soleil luit,
Le rubis étincelle
Comme un feu dans la nuit.
TERESA, ASCANIO, FIERAMOSCA, FRANCESCO, BERNARDINO ET BALDUCCI
Gloire à lui!
TOUS
Les métaux, ces fleurs souterraines
Aux impérissables couleurs,
Ne brillent qu’au front des reines,
Des rois, des papes, des grands-ducs et des empereurs.
Honneur aux maîtres ciseleurs!
Tra la la la,
Honneur aux maîtres ciseleurs!
© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.