BALDUCCI
Teresa! Teresa! Où peut-elle être?
Teresa! (l’apercevant) à la fenêtre!
Je l’ai pourtant bien défendu!
N’avez-vous donc pas entendu?
(Elle quitte la fenêtre.)
Pour prendre l’air l’heure est fort belle!
Depuis un siècle que j’appelle,
Le Pape m’attend, mon bâton!
Mes gants! ma dague! et ce carton!
C’est à damner un saint, un ange!
En vérité, c’est bien étrange
Que le Pape ainsi dérange
Un trésorier, soir et matin,
Pour Cellini, ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Aussi pourquoi, notre Saint-Père,
Prendre en Toscane un ciseleur,
Quand vous aviez Fieramosca, votre sculpteur,
Dont c’est l’affaire...
(Il sort en grommelant.)
TERESA
Enfin il est sorti tout de bon...
Ah! je respire;
Ouf! quel ennui! c’était un vrai martyre.
Chœur de masques
CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO ET MASQUES (dans la coulisse)
La la la la la
De profundis!
Carnaval père
Enterre
Ce soir un de ses fils!
De profundis!
TERESA
Dieu! serait-ce lui?
CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO ET MASQUES
Ô grands enfants
Soyez bien sages!
Ô grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs,
Hommes ni femmes ne pleurez pas,
Buvez à l’âme de Lundi gras!
TERESA
Les belles fleurs! (Elle ramasse un bouquet.) un billet!
(Elle lit.) Cellini!
Quelle imprudence! eh quoi! venir ici!
Ce soir même, ah! grand Dieu! mais mon père
Est bien loin, et l’instant est propice, que faire?
Cavatine
Entre l’amour et le devoir
Un jeune cœur est bien à plaindre,
Ce qu’il désire il doit le craindre,
Et repousser même l’espoir.
Se condamner à toujours feindre,
Avoir des yeux et ne point voir,
Comment, comment le pouvoir?
Entre l’amour et le devoir, etc.
Quand j’aurai votre âge,
Mes chers parents,
Il sera temps ’être plus sage,
Mais à dix-sept ans
Ce serait dommage
Vraiment bien dommage!
Oh! dès qu’à mon tour
Je serai grand-mère
Alors laissez faire!
Malheur à l’amour!
Ah! quand j’aurai votre âge, etc.
TERESA (avec la plus vive agitation)
Cellini!...
CELLINI
Teresa! Ne fuyez pas ma vue!
TERESA
Cellini, près de vous je ne puis pas rester.
CELLINI (avec un chagrin mêlé d’impatience)
Ah! ce langage me tue!
TERESA
Du bruit!
CELLINI
Rassurez-vous!
TERESA
Je suis perdue!
Partez!
CELLINI
Ce bruit n’est rien, sur mon honneur!
C’est le gai carnaval qui dehors parle en maître.
Laissez-le sous votre fenêtre
Agiter son grelot moqueur,
Et calmez, Teresa, calmez votre frayeur.
Trio
CELLINI
Ô Teresa, vous que j’aime plus que ma vie,
Teresa! je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l’espoir.
TERESA
Las! votre amour n’est que folie,
Cellini, un vain tourment et sans espoir!
Il faut m’oublier pour la vie
Car je ne dois plus vous revoir.
FIERAMOSCA (entrant sur la pointe du pied, un énorme bouquet à la main)
Ce n’est pas en forçant les grilles,
En jetant bas portes, verrous,
Que l’on gagne le cœur des filles;
Mais en marchant à pas de loup.
CELLINI
Non, par les saints, par la Madone!...
FIERAMOSCA
Dieu! Cellini!
Cachons-nous là.
CELLINI
Je ne puis croire, ô ma Teresa,
Qu’amour jamais vous abandonne
Aux bras de ce Fieramosca!
TERESA
Ah! me préserve ma patronne
De cette honte, de ce malheur, car je sens là
Oui, je mourrai, si l’on me donne
A ce Fieramosca.
FIERAMOSCA
Ah! si j’osais parler tout haut!
Ah! si j’osais souffler un mot!
CELLINI
Eh bien donc, Teresa, ma chère vie,
Au nom des saints je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l’espoir.
TERESA
Mais votre amour, Cellini, n’est que folie,
Un vain tourment et sans le moindre espoir!
Ne m’appelez plus votre amie,
Non, je ne dois plus vous revoir.
CELLINI (avec fureur)
Fieramosca!
TERESA (avec fureur)
Fieramosca! Un tel faquin!
TERESA
Qui? moi, sa femme?... je préfère
Cent fois la mort la plus amère.
FIERAMOSCA
Si j’avais ma rapière en main!
CELLINI
Ah! mourir, chère belle,
Qu’avez-vous dit là?
Cette voie est cruelle,
Ô ma Teresa!
Non, prenons l’autre route
Aux gazons fleuris,
Que jamais ne redoute
Un cœur bien épris.
TERESA
L’autre route, et laquelle?
Ne me cachez rien!
CELLINI
Ne soyez pas rebelle,
Écoutez-moi bien!
TERESA
Parlez plus bas!
CELLINI (à voix basse)
Demain soir, mardi gras...
TERESA (à voix basse)
Demain soir, mardi gras...
FIERAMOSCA
Demain, mardi gras...
CELLINI
Ah, surtout n’y manquez pas.
TERESA
Non, je n’y manquerai pas.
FIERAMOSCA
Non, je n’y manquerai pas.
CELLINI
Venez Place Colonne...
TERESA
Place Colonne...
FIERAMOSCA
Place Colonne...
CELLINI
Où notre vieux Cassandro...
TERESA
Où notre vieux Cassandro...
FIERAMOSCA
Cassandro...
CELLINI
Au peuple romain donne
Un opéra nouveau!
FIERAMOSCA
Un opéra nouveau!
CELLINI
Là, tandis qu’en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats,
Vous...
TERESA
Moi...
FIERAMOSCA
Ah!
CELLINI
Vous saisirez le bras...
TERESA
Je saisirai le bras...
FIERAMOSCA
Elle prendra le bras...
CELLINI
D’un moine en robe brune...
TERESA
D’un moine en robe brune...
FIERAMOSCA
Elle prendra le bras
D’un moine en robe brune...
CELLINI
Et d’un pénitent blanc.
TERESA
Et d’un pénitent blanc.
FIERAMOSCA
Et d’un pénitent blanc.
CELLINI
L’un sera votre amant...
TERESA
Vous, vraiment?
FIERAMOSCA
Lui.
CELLINI
Et l’autre mon élève.
TERESA
Votre élève?
FIERAMOSCA
Son élève...
CELLINI
Alors je vous enlève...
TERESA
Il m’enlève!
FIERAMOSCA
Il l’enlève!
CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...
TERESA
A Florence!
FIERAMOSCA
A Florence!
CELLINI
Couler des jours heureux.
CELLINI, TERESA
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d’espérance,
Nous partons tous les deux.
FIERAMOSCA
Tous les deux.
TERESA
Ô Cellini, se peut-il faire
Que je laisse ainsi mon père;
N’est-ce pas blesser les cieux?
CELLINI
Offenser le ciel, non, je pense,
Votre père bien plus l’offense
En voulant que sa Teresa,
Comme une fleur, tombe et s’altère
Dans l’ombre d’un couvent austère,
Ou la main d’un Fieramosca.
TERESA
Fieramosca! Fieramosca!
FIERAMOSCA
Ô trésorier! que n’es-tu là!
TERESA
Ah! c’en est fait, ma haine est trop forte;
Dans mon âme elle l’emporte.
Mon ami, prenons espoir,
A demain, à demain soir!
CELLINI
A demain soir!
FIERAMOSCA
A demain soir!
CELLINI (à demi-voix)
Faut-il redire encore l’heure et le lieu de notre
rendez-vous?
TERESA (à haute voix)
Oui, je viendrai, disons-nous?
CELLINI (à voix basse)
Plus bas, parlez plus bas!
Demain soir, mardi gras...
TERESA (à voix basse)
Demain soir, mardi gras...
FIERAMOSCA
Demain soir mardi gras...
CELLINI
Ah, surtout n’y manquez pas.
TERESA
Non, je n’y manquerai pas.
FIERAMOSCA
Non, je n’y manquerai pas.
CELLINI
Venez Place Colonne...
TERESA
Place Colonne...
FIERAMOSCA
Place Colonne...
CELLINI
Où notre vieux Cassandro...
TERESA
Où notre vieux Cassandro...
FIERAMOSCA
Où notre vieux Cassandro...
CELLINI
Au peuple romain donne
Un opéra nouveau.
TERESA
Donne un opéra nouveau.
FIERAMOSCA
Donne un opéra nouveau.
CELLINI
Là, tandis qu’en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats,
Vous...
TERESA
Moi...
FIERAMOSCA
Oui...
CELLINI
Vous saisirez le bras...
TERESA
Je saisirai le bras...
FIERAMOSCA
Elle prendra le bras...
CELLINI
D’un moine en robe brune...
TERESA
D’un moine en robe brune...
FIERAMOSCA
Elle prendra le bras
D’un moine en robe brune...
CELLINI
Et d’un pénitent blanc.
TERESA
Et d un pénitent blanc.
FIERAMOSCA
Et d’un pénitent blanc.
CELLINI
L’un sera votre amant...
TERESA
Vous? j’entends.
FIERAMOSCA
Lui.
CELLINI
Et l’autre mon élève.
TERESA
Son élève...
FIERAMOSCA
Son élève...
CELLINI
Alors je vous enlève...
TERESA
Il m’enlève!
FIERAMOSCA
Il l’enlève! Bien!
CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...
TERESA
A Florence!
FIERAMOSCA
A Florence!
CELLINI
Couler des jours heureux.
TERESA
Couler des jours heureux.
FIERAMOSCA
Vivre heureux!
TOUS LES TROIS
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d’espérance,
Nous partons / Ils partent tous les deux.
CELLINI
Chère et tendre promesse!
Ô moments pleins d’ivresse!
Pour mon cœur que vous êtes doux!
Amour, sous ton aile
Garde, garde ma belle
Fidèle à son rendez-vous.
FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse!
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous.
TERESA
Mère de tendresse,
Vierge que sans cesse
J’implore à genoux,
Pardonne à ma voix rebelle,
Et viens calmer celle
D’un père en courroux!
CELLINI ET TERESA
Oui, la mort éternelle?
Nous aurions bien tort!
La jeunesse doit-elle
Chercher là le port,
Quand l’amour nous apprête
Un doux avenir?
Ne tournons point la tête,
Laissons-le venir.
Vers des rives nouvelles,
Vite, éloignons-nous!
Les amours ont des ailes
Pour fuir les jaloux.
Ah ! partons tous les deux,
Fuyons loin de ces lieux,
Partons et sous d’autres cieux
Allons couler des jours heureux!
CELLINI ET TERESA
Oui, soudain pour Florence,
Le cœur plein d’espérance,
Nous partons tous les deux.
FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse!
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous.
Ma haine, en plainte éternelle
Changera, cruelle,
Vos projets si doux!
Je saurai déjouer des projets si doux,
Je saurai déranger ce charmant rendez-vous!
CELLINI, TERESA, FIERAMOSCA
A demain soir!
CELLINI (à voix basse)
Place Colonne...
TERESA (à voix basse)
Chut!
CELLINI
Près du théâtre...
TERESA
Chut!
CELLINI
Un moine blanc...
TERESA
Oui, j’y serai!
FIERAMOSCA
Bien.
Nous y serons !
CELLINI ET TERESA
Espérons...
TOUS LES TROIS
A demain !
Dialogue
TERESA
Ciel, nous sommes perdus, c’est le pas de mon père...
CELLINI
Êtes-vous sûre?
TERESA
Le voici!
FIERAMOSCA (renfermant sur lui la porte de la chambre de Teresa)
Comme un furet, moi, je me cache ici.
(Cellini courant effaré fait le geste d’ouvrir la chambre de Teresa, qui lui défend d’y entrer; Cellini se jette à tout hasard à côté de la porte d’entrée au moment où Balducci va ouvrir. La porte en s’ouvrant cache Cellini, et Balducci, surpris de voir sa fille encor levée, oublie de la refermer.)
BALDUCCI
Eh quoi, ma fille, encor dans la salle à cette heure?
Il va bientôt sonner minuit.
TERESA
Mon père, un homme...
BALDUCCI
Un homme en ma demeure!
TERESA
Un homme, quand j’allais me coucher, un grand bruit!
BALDUCCI
Un homme ici, ma chère fille, un homme!
Vite, un flambeau! Teresa, que j’assomme
Ce brigand, ce voleur de nuit.
(Il entre dans la chambre de Teresa.)
TERESA (à Cellini rapidement)
Profitez du départ de mon père,
Cellini, fuyez soudain.
CELLINI (rapidement à voix basse)
Merci, mon ange tutélaire,
A demain soir, à demain !
(Il sort.)
TERESA
De frayeur je me sens toute émue.
BALDUCCI (de l’intérieur de la chambre)
Ah, brigand, je te tiens!
TERESA
Dieu! quel bruit!
Dans ma chambre on s’était introduit?
BALDUCCI
Suis-moi, drôle, ou si non, je te tue!
(Il traîne Fieramosca sur la scène)
Quoi, c’est vous?
TERESA (vivement)
Ô capture imprévue!
FIERAMOSCA
Ce n’est point un voleur...
BALDUCCI
C’est bien pis!
Un larron de boudoir, couvert d’ambre!
Répondez ça, monsieur le beau-fils,
Qu’étiez-vous venu faire en sa chambre?
TERESA
Oui, pourquoi vous cacher dans ma chambre?
FIERAMOSCA
C’est bien simple,
(d’un air aimable)
Chez vous je venais en visite...
BALDUCCI
Impudence maudite!
FIERAMOSCA
Mais, messer Balducci, je vous dis...
BALDUCCI
C’est fini!
BALDUCCI ET TERESA
A nous, voisines et servantes!
Gaetana! Fornarina! Catarina!
Petronilla! Scolastica!
A nous, à nous
FIERAMOSCA
Écoutez-moi, cessez ce train!
LES VOISINES
On s’assomme chez le voisin;
Quel est ce bruit, pourquoi ce train?
BALDUCCI
A mon secours, un libertin,
Un coureur de femmes galantes
Est chez ma fille! entrez soudain,
Venez chasser ce libertin!
FIERAMOSCA
Je ne suis point un libertin,
Un coureur de femmes galantes.
Encore un coup, je ne suis point...etc.
BALDUCCI ET TERESA
Ah ! maintenant, gare à tes reins,
Tu vas tomber en bonnes mains.
BALDUCCI
Ce n’est que le bras féminin
Qui peut montrer le droit chemin
Aux gens de mœurs extravagantes,
Aux gens sans cœur, sans loi, ni frein.
FIERAMOSCA (épouvanté)
Aux mains des femmes... quel destin!
Suis-je Orphée en proie aux Bacchantes?
CHŒUR
Ah! maître drôle, ah! libertin!
Nous allons t’apprendre, suborneur
Les respects dus à notre honneur
Tu vas prendre un bain.
Entraînons-le dans le jardin
Et mettons-le jusqu’à demain
Sous le jet d’eau du grand bassin!
Tombez dessus, à belles mains
Ah! libertin,
Tu vas prendre un bain!
Ah! drôle, nous t’attraperons bien!
Ah!
TERESA ET BALDUCCI
Oui, très bien, jusqu’à demain
Sous le jet d’eau du grand bassin!
Tombez dessus, oui c’est très bien,
Ah! libertin!
Ah! traître! ah! drôle,
Tu vas prendre un fameux bain
Ah!
FIERAMOSCA
Quoi! qui? moi? grand Dieu!
Jusqu’à demain
Sous le jet d’eau du grand bassin!
C’est une horreur!
Quelles mégères!...
Comment sortir de leurs mains
Ah!
(Il s’échappe par la porte du fond.)
© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.