Par
Pierre-René Serna
© 2014 Pierre-René Serna
Gerard Mortier vient de s’éteindre, dans la nuit du 8 au 9 mars 2014. Ce fut un des directeurs de maisons d’opéra parmi les plus éminents. Il est symptomatique, à cet égard, que la nouvelle de sa disparition a été relayée par tous les médias dits généralistes, sort qui n’a été quasiment jamais échu à aucun de ses collègues. Car sa forte personnalité dépassait le cadre du monde lyrique, auquel il s’est pourtant exclusivement consacré, pour être reconnue bien au-delà de ce milieu prétendument réservé au petit nombre.
Ce Belge international, né en 1943 à Gand dans une modeste famille de boulangers, allait marquer de son empreinte la Monnaie de Bruxelles, dont il fit, d’un théâtre d’aspect provincial, un Opéra phare et un rendez-vous obligé de l’art lyrique mondial. Peu après, il devait prendre en main les destinées du Festival de Salzbourg, puis de la Ruhrtiennale qu’il créa, de l’Opéra de Paris, et, enfin, du Teatro Real de Madrid. Sa politique artistique, audacieuse, ne se satisfaisait pas des conventions, avec une exigence de représentation, où musique et scène se combinaient en symbiose. Je l’avais personnellement côtoyé en de multiples occasions, et je peux dire, sans fausse modestie, qu’une sorte de connivence était née entre nous.
Car j’appréciais aussi l’individu, charmant et affable – loin de l’arrogance de moult directeurs de ce type d’institutions. Je n’étais pas le seul, au reste, quand je me remémore le petit personnel de l’Opéra de Paris (y compris les dames affectées au service des toilettes) : “ Monsieur Mortier est toujours gentilet aimable ”, ai-je souvent entendu dans leur bouche. Mais nous avions en commun une complicité : Berlioz. Sujet que j’avais eu l’occasion d’évoquer maintes fois avec lui. Je me souviens de son geste – royal, il n’y a pas d’autre mot ! – lors de la sortie de mon ouvrage Berlioz de B à Z, que je m’étais empressé de lui offrir, et dont il avait fait aussitôt exposer des exemplaires sur les guichets à côté des ventes de programmes à tous les étages de l’Opéra Bastille. Il m’avait aussi invité à rédiger des textes du programme de salle pour les Troyens dans ce théâtre en 2006, poussant même l’élégance – unique ! – jusqu’à maintenir intégralement les réserves que je m’étais autorisées à émettre sur la production.
Car Berlioz est revenu souvent dans sa programmation de directeur lyrique. Entre autres : les Troyens pour la fin de sa mandature à la Monnaie, la Damnation de Faust à Salzbourg (spectacle qui avait donné naissance au roman de Carlos Fuentes, l’Instinct d’Inez) puis de nouveaux Troyens, la Damnation pour la Ruhrtriennale, et les Troyens repris de Salzbourg à la Bastille. Il était aidé en cela par son noble complice et chef d’orchestre de grand talent, Sylvain Cambreling. Et c’est avec lui qu’il avait projeté, au Teatro Real, une autre production des Troyens pour la saison 2014-2015. Projet reporté dans l’immédiat, étant données les tristes circonstances... Il souhaitait aussi accueillir Benvenuto Cellini, du temps où il dirigeait la Bastille, et avait pris langue en ce sens avec Valery Gergiev et le Festival de Salzbourg, pour s’associer à leur réalisation. Il avait dû finalement y renoncer, et on le comprend, en raison de la mise en scène pitoyable…
C’est donc un grand directeur artistique qui vient de nous quitter, et aussi un grand défenseur de Berlioz. Un hommage se devait d’être rendu à sa mémoire et à son labeur, sur ce site dédié à ce musicien qu’il chérissait.
Pierre-René Serna
Nous remercions vivement notre ami Pierre-René Serna de nous avoir envoyé cet article.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 11 mars 2014.
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