ODE A BERLIOZ
PAR CAMILLE SAINT-SAËNS
erlioz
! grand lutteur Prométhée invincible
Au flanc toujours rongé ! martyr résigné, cible
Aux flèches de l’envie, en butte aux cruautés
Du Destin ennemi de toutes les beautés,
Qui du génie auguste ayant fait une proie
Semble à la torturer mettre toute sa joie !
Il avait découvert un monde ! C’est un crime
Qui ne peut s’expier. Ah ! tu gravis la cime,
Tu veux escalader les cieux, Titan ! regarde :
Voici la foudre ! Pour celui qui se hasarde
Parmi l’inexploré, pas de pitié ! L’on dit
Qu’il nous apporte un art nouveau. Qu’il soit maudit !
Mais les temps sont venus : l’heure de la justice
Enfin sonne, et voyez, voyez ! la cicatrice
De la foudre déjà resplendit à son front
Comme un nimbe étoilé : le sarcasme, l’affront
Se sont unis en des clameurs d’apothéose !
Mais trop tard… le géant n’est plus. Ah ! triste chose,
Cette vie où l’on n’a que le temps de souffrir.
Vous alliez être heureux enfin, il faut mourir !
Si vous avez semé, d’autres verront la gerbe
Quand, peut-être oublié, vous dormirez sous l’herbe.
Mais l’oubli n’est pas fait pour le grand nom d’Hector
Berlioz ! Ce beau nom, vous entendrez encor,
Enfants de nos enfants, ses syllabes ailées
Sonner comme un écho des anciennes mêlées.
Il passait pour méchant. Quelle cruelle erreur !
Il avait l’âme tendre, et nul ne fut meilleur,
Je le sais. Il m’aimait ; j’ai connu son sourire.
Il savait manier le fouet de la satire,
C’est vrai ; cinglait au vif tous les profanateurs
De l’art qu’il adorait. Ainsi, sur les vendeurs
Qui profanaient le Temple, à grands coups de lanières,
Jésus, le doux Jésus, déchaînait ses colères !
Du profanum vulgus, certes, il avait l’horreur,
Et poursuivait les sots de son rire vengeur.
Virgile était son dieu ; Shakespeare, la fontaine
Où s’étanchait la soif de sa lèvre hautaine. |
APOTHÉOSE DE BERLIOZ, PAR FANTIN-LATOUR
Il y but à longs traits, et Roméo chanta
Dans l’orchestre inconnu créé par le génie ;
Et Mab l’insaisissable est prise ; l’harmonie
Étrange et délicate en son vol l’arrêta !
La plume et le pinceau sont vaincus par l’artiste
Qui peint avec des sons, fabuleux coloriste !
Il prend à Gœthe Faust et le marque à son sceau ;
Ce qu’il touche, toujours, prend un aspect plus beau;
Sur les Bergers, la Crèche, Hérode, histoire antique,
Sa voix qui s’assoupit chante un nouveau cantique.
Te Deum, Requiem, sur la Vie et la Mort
Il jette son regard : un orgue immense sort,
A son geste, des haut piliers des cathédrales,
Dont le souffle puissant nous courbe sur les dalles.
Vous tous qu’il a chanté, Roi Lear, Didon, venez !
Cassandra, Cellini, venez tous ! Amenez
Avec vous Apollon, Les Muses, les Prophètes,
Les dieux étincelants ; qu’ils planent sur nos têtes !
Pour un jour à nos yeux qu’ils revivent encor
Et tressent de leurs doigts divins les lauriers d’or !
CAMILLE SAINT-SAËNS.
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