Compte-rendu par
paru dans
Le Voleur, Quatorzième Année, No. 23, 25 avril 1841, p. 364
Le texte de cet article et l’image qui l’accompagne sont reproduits ici d’après notre exemplaire original du Voleur.
Cet article du 25 avril 1841 avait déjà été publié dans la Revue et gazette musicale de Paris du 18 avril de la même année (voir Critique Musicale, tome 4 p. 483). Mais dans la version du Voleur Berlioz a supprimé quelques mots, expressions et même des phrases entières, ce qui a pour effet d’atténuer quelque peu ses remarques.
Nous avons conservé l’orthographe et la syntaxe de Berlioz.
CONCERTS DU CONSERVATOIRE
—
PREMIER CONCERT SPIRITUEL.
Il nous a paru assez triste et douloureusement accidenté ; c’était un vrai concert du vendredi saint.
La symphonie en ré de Haydn, qui ouvrait la séance, appartient naturellement à ce genre de musique naïvement bonne et gaie qui rappelle les joies innocentes du foyer domestique et du pot-au-feu. Ça va, ça vient, sans brusquerie, sans bruit, en nég1igé du matin propre et confortable ; ça chantonne, ça dit de temps en temps son petit mot pour rire ; ça ouvre la fenêtre pour profiter d’un tiède rayon de soleil ; un pauvre passe dans la rue, on s’émeut d’une humble pitié, on lui donne un sou et un morceau de pain, et on éprouve un contentement intérieur, et on rend grâce au bon Dieu d’avoir un sou et un morceau de pain pour l’indigence. Puis on prend son parapluie, par précaution, on va au café faire sa partie de domino et déguster un pot de bière, assaisonné de quelques inoffensives médisances ; et neuf heures du soir sonnant, on rentre, on met son bonnet de coton blanc à méche, on fait sa prière, on se couche en un bon lit de plumes et l’on s’endort dans la paix du Seigneur.
L’orchestre a parfaitement compris le style et les allures de cette douce composition ; il a fait patte de velours, il a miaulé à voix basse, il a bu du lait avec une grâce charmante, sans ouvrir tout grands ses yeux fauves, sans hérisser ses longues moustaches. Le public a été enchanté. Je le crois bien ; on aime à boire, quand on les rencontre, une bouteille de bon vin avec un honnête homme. Il y a tant de pays où l’on serait obligé pour cela d’apporter l’homme et le vin !
Les fragmens de l’oratorio du Christ au mont des Oliviers étaient tout à fait de circonstance. L’introduction instrumentale est sublime et digne du sujet que l’auteur va traiter. Tout le reste cependant n’est pas à la même hauteur. L’air du Christ, par exemple, ne paraît pas avoir toute l’élévation de caractère qu’il comporte, et celui de l’ange avec son solo de flûte et ses légères vocalises semble un peu frivole pour un chant séraphique. Mais la marche des gardes du prétoire, menaçante et sombre, le chœur double, plein de mouvement et d’accent dramatique, et le finale fugué, sont des choses admirables, largement conçues et dessinées à grands traits. Marie, en veillant avec ses disciples dans le jardin des Olives, s’était sans doute enrhumé ; sa voix se brisait à chaque instant, etc., etc. Alizard (saint Pierre), en sa qualité de pêcheur, n’avait point souffert de l’humidité ; sa basse ne fut jamais plus formidable. Il avait l’air tout disposé à couper le cou et non l’oreille de Malchus. Madame Gras a chanté avec toute la grâce d’un ange affligé de la triste mission qu’il vient remplir, en présentant au Christ le calice d’amertume.
M. Léopold de Meyer est venu ensuite exécuter sur le piano un adagio de sa composition et l’ouverture du Freischütz. N’ayant jamais su faire une gamme sur cet instrument, je ne me permettrai pas, après une seule audition, de donner mon avis sur le talent de M. de Meyer. Pourtant, il faut dire que le public, qui, sous ce rapport, pour l’immense majorité du moins, est exactement dans le même cas que moi, s’est montré bien dur et bien en colère. Depuis deux ans à peu près je ne l’avais pas vu aussi repoussant.
Second calice d’amertume.
Madame Gras, ange tout à l’heure, se présente maintenant sous les traits de cette grande endiablée donna Anna, qui pousse des cris en ré majeur à faire croire qu’on l’égorge. Et tout cela pourquoi ? parce que Don Juan l’a un peu violentée. Parbleu, n’y a-t-il pas de quoi troubler le ciel et la terre ? le beau malheur ! Et puis est-ce bien sincère? Oh ! n’est pas molestée qui veut.
Quoi qu’il en soit, madame Gras a chanté en femme réellement indignée et avec toute son âme. Je n’ai jamais pu deviner ce que venait faire, après les premières mesures du thème, ce pauvre petit hautbois dans cet orchestre plein d’agitation passionnée. Cette voix enfantine forme avec le reste une étrange disparate.
L’ensemble des deux tiers du programme a donc, en définitive, laissé l’auditoire froid, triste, accablé. Mais tout d’un coup la pierre du tombeau est renversée, il en sort plein de vie, radieux, éblouissant : l’orchesre chante cet immortel poème qui a pour nom vulgaire : LA SYMPHONIE EN UT MINEUR.
SECOND CONCERT SPIRITUEL.
C’est le jour de Pâques cette fois ; l’enthousiasme, avant de remonter aux cieux, se montre à ses disciples assemblés et plus fervens que jamais. Les calices d’amertume sont épuisés. La sainte joie, l’orgueil du triomphe et l’espérance renaissent avec le printemps, après la résurrection.
Voyez plutôt :
10 Symphonie pastorale, merveilleusement rendue d’un bout à l’autre : idéal d’un chef-d’œuvre panthéiste ! ! !
20 Ave verum de Mozart : chœur angélique, virginal, céleste, divin, infiniment beau, éternel ! ! !
30 Septuor de Beethoven, exécuté par tous les instrumens à cordes de l’orchestre et les instrumens à vent doublés : charmante composition dans la première manière de l’auteur, qui donne en outre l’occasion d’admirer, avec la rare habileté de nos jeunes violons, la savante adresse de M. Habeneck à les diriger et à les faire valoir.
30 Fragmens du Judas Macchabée de Haendel : Tout est bien qui finit bien, Shakespeare l’a dit.
40 Ouverture de la Flûte enchantée de Mozart : inspiration franche et nette, type et modèle inimitable de l’emploi vraiment musical du style fugué.
En résumé, le second concert spirituel nous a donné les couronnes du martyre que nous avait fait éprouver en grande partie le premier.
H. BERLIOZ.
(Gazette musicale.)
* Peter Bloom nous écrit (communication personnelle du 24 octobre 2008; nous traduisons de l’anglais): ‘Je doute que Berlioz ait fait lui-même les changements que vous mentionnez. Comme son nom l’indique ce journal était d’ordinaire un… voleur, et je ne pense pas que la rédaction aurait consulté les auteurs avant de faire des changements à leurs textes’.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 1er octobre 2008.
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