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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 27 FÉVRIER 1862 [p. 1-2].

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation du Joaillier de Saint-James, opéra-comique en trois actes, de MM. de Saint-Georges et de Leuven, musique de M. Grisar.

    Cet ouvrage fut représenté pour la première fois il y a vingt-quatre ans, dit-on, au théâtre de la Renaissance, sous le titre de Lady Melvil. La pièce, à cette époque, était déjà de MM. de Saint-Georges et de Leuven, la musique était déjà de M. Grisar ; l’une et l’autre aujourd’hui sont bien plus encore de ces heureux auteurs. Ceux-ci ont ajouté au dialogue des mots piquans, celui-là a enrichi sa partition de plusieurs morceaux d’une mélodie élégante et facile, et le caractère spécial du talent de tous les trois se manifeste ainsi dans l’ensemble plus complétement.

    Pour certains esprits, vieillir c’est mûrir.

    Pour d’autres, vieillir c’est faiblir.

    Pour tous, vieillir c’est mourir ; mourir plus ou moins lentement, mais incessamment, obstinément, et, à mon sens, fort sottement. Car qu’y a-t-il de plus sot que la mort ? Rien assurément, excepté la vie. A quoi sert la vie ? — Ah ! direz-vous, n’allez pas nous ennuyer avec un de vos accès de philosophie sépulcrale, nous recommencer vos citations de Shakspeare : La vie est un jardin où toutes les plantes montent en graine. — Etre ou n’être pas, telle est la question. — Mourir, dormir…. peut-être rêver.Hélas ! pauvre Yorick ! etc., etc. Nous savons tout cela. La vie sert à faire des opéras-comiques, et à les refaire vingt-quatre ans après les avoir faits ; voilà à quoi elle sert. Si elle se prolonge, elle sert encore à refaire de nouveau le même opéra comique vingt-quatre années après l’avoir refait. Puis, quand arrive la mort, c’est pour empêcher les refaiseurs d’opéras comiques de les refaire une troisième fois. Vous voyez donc bien qu’elle n’est point une si sotte chose, car, à force de refaire le même opéra-comique, on finirait par nous le gâter, si la mort ne venait mettre les auteurs à la raison et assurer ainsi la perfection de leur œuvre. Racontez-nous le Joaillier de Saint-James, cela vaudra mieux que de vous lancer aussi mal à propos à corps perdu dans l’infini. — Mais je vous l’ai narré déjà une fois il y a vingt-quatre ans. — Eh bien ! renarrez-nous-le une seconde fois. Puisque les auteurs refont leurs opéras-comiques, vous devez refaire vos feuilletons. — Bénédiction !….. Je renarre.

    Ce joaillier de Saint-James est un homme de talent, une sorte de demi-Benvenuto en train de faire fortune. Malheureusement pour lui, il a entrevu je ne sais où la jeune marquise de Richmond, et le voilà éperdument amoureux d’elle. Pendant une de ses absences, cette marquise, dont les beaux yeux d’amour mourir le font, vient dans l’atelier de l’orfèvre pour y acheter une parure. Un écrin magnifique est étalé sous une vitrine. Elle veut l’acheter : « Impossible, Madame, répond le premier ouvrier, mon maître a promis cette parure à la duchesse de Devonshire, qui doit l’envoyer prendre ce soir. » La marquise désappointée se retire. Au retour de l’orfèvre, Tom l’ouvrier lui raconte la visite de la marquise de Richmond et ce qui s’en est suivi : « La marquise de Richmond ! s’écrie notre amoureux, et je n’étais pas là ! et elle a désiré cette parure !… Elle donne une fête ce soir… Il faut qu’elle y paraisse parée de mes diamans, de mon ouvrage. Et moi-même il faut à tout prix que je m’y introduise pour l’admirer !… » Voici venir un grand seigneur gascon, un comte d’Estignac, qui a contracté l’habitude d’emprunter de l’argent au joaillier. « J’ai besoin, mon cher, de deux cents livres encore. Je vous autorise à me les offrir. Je veux paraître au bal de la marquise de Richmond en somptueux équipage. — Volontiers, répond le joaillier, mais à condition que vous me conduirez à cette fête et m’y présenterez comme un seigneur florentin de vos amis. — Y songez-vous ? — C’est mon dernier mot. » Le Gascon consent. Aussitôt le joaillier écrit à la marquise une lettre anonyme dans laquelle il la conjure d’accepter l’écrin qu’elle a paru désirer, et envoie le tout à l’hôtel de Richmond par une jeune fille fiancée de l’ouvrier Tom, en lui défendant expressément de répondre aux questions qu’on pourrait lui faire.

    La fête est commencée, la marquise éblouissante porte la parure, offerte par le joaillier. Le Gascon papillonne autour d’elle. L’idée vient à la marquise que ce gentilhomme français, que l’on dit si riche et qui lui fait la cour, pourrait bien être l’auteur de la lettre anonyme et lui avoir envoyé ce splendide présent. Elle lui fait part de son doute. Le Gascon se défend faiblement et finit par avouer qu’il a eu cette audace. Présentation du joaillier. Emotion de la marquise en reconnaissant dans ce prétendu Florentin l’inconnu qu’elle aperçut un jour dans Saint-James park et qui lui a inspiré une passion subite. Le Gascon s’aperçoit bien vite de ce qui se passe dans l’âme des deux personnages, et s’indigne d’avoir servi lui-même à les rapprocher. Le dépit l’emporte, et, sans trop s’excuser d’avoir commis un tel abus de confiance, il avoue à la marquise que le seigneur florentin qu’il a présenté à son bal n’est qu’un artisan, un joaillier dont la boutique lui doit être connue. Indignation, humiliation, douleur de la grande dame. Fureur du joaillier, qui provoque le Gascon.

    Mais pendant que ceci se passait au palais de Richmond, l’intendant de la duchesse de Devonshire était venu chez le joaillier réclamer la parure, dont le prix avait été en partie payé d’avance. L’ouvrier Tom, se désespérant de ne plus la trouver et de voir ainsi son maître accusé de manque de foi, la jeune fille qui servit d’intermédiaire au joaillier avoue tout à son fiancé. « Il l’a donnée à la marquise de Richmond ! s’écrie-t-il. Il n’avait pas le droit de la donner. Il ignorait que la duchesse eût déjà payé un si fort à-compte. Il faut que je retrouve j’écrin, que je le rapporte, quand je devrais me perdre pour y parvenir ! » Or le brave Tom fait ce qu’il dit, il court à l’hôtel de Richmond, s’introduit masqué par une fenêtre, et, pendant un évanouissement de la marquise, s’empare des bijoux et s’enfuit. Le tumulte est au comble quand la marquise revient à elle. Le malheureux joaillier est accusé d’avoir fait disparaître les diamans et arrêté. « C’est un nouveau Cardillac, dit le Gascon ; il a la passion des bijoux et ne recule devant aucun moyen pour ressaisir ceux qu’il a vendus. »

    Ainsi finit le second acte. Au troisième, le joaillier a été remis en liberté. Une main généreuse a fourni caution pour lui. On devine que c’est celle de la marquise. Une entrevue a lieu entre le Gascon et le joaillier devant la maison de campagne de la marquise. Violente explication. Le Gascon refuse de se battre. « Vous n’avez donc pas reçu ma lettre ? dit le joaillier. — Je l’ai reçue. Très bien ! très bien ! le roman est ingénieux. Vous prétendez que je puis me mesurer avec vous, que vous êtes fils d’un prince florentin exilé pour une cause politique, et qui a dû, pour vivre, se faire joaillier ; que c’est vous qui avez envoyé les diamans à la marquise, et que je suis un misérable de m’être attribué le mérite de ce présent ! Ne prétendez-vous pas aussi que je vous dois de l’argent ? A d’autres, mon cher. » La marquise sort de sa villa ; elle a tout entendu. Elle rend son estime et son amour au beau prince florentin, lui tend sa main blanche, congédie le Gascon, et la noce se fait tout de suite, en même temps que celle du brave Tom, qui était par hasard venu épouser sa petite fiancée précisément à Richmond.

    Cet opéra-comique me semble très bien refait, et les auteurs, fût-ce dans cinquante ans, auraient tort de le refaire encore. J’en dirai autant de la musique de M. Grisar. On y a retrouvé avec le plus vif plaisir le premier chœur d’ouvriers, si bien accompagné du bruit des marteaux de ciseleur. Ce chœur charmant était resté dans toutes les mémoires. On a remarqué et vivement applaudi un grand nombre d’autres morceaux gracieux, d’un style facile, naturel, et en général accompagnés par une orchestration claire et d’une sonorité modérée. Tels sont l’air de Bernard le joaillier : « Oui mes amis », un quatuor peu développé, mais bien fait, l’air très comique du Gascon : « Je possède à Jarnac », le duo dans lequel celui-ci emprunte de l’argent a Bernard, et où se trouve un passage syllabique du plus heureux effet, l’air de la marquise de Richmond, dont le thème a de l’élégance.

    Au deuxième acte, il faut citer les couplets de Bernard :

Quel espoir abuse mon âme

dont l’expression est très tendre, et le final dont la stretta est pleine d’animation.

    Au troisième, les couplets de Tom, qu’on a redemandés à grands cris, m’ont paru d’un tour mélodique un peu commun. Il y a des accens distingués au contraire dans les couplets de la marquise, et de piquans effets rhythmiques dans le trio suivant. La romance de Bernard : « Adieu, Madame », où le cor anglais forme duo avec la voix, nous semble dans sa simplicité touchante une des meilleures inspirations de M. Grisar.

    Les principaux rôles de cet opéra rajeuni sont supérieurement joués. Mlle Monrose est une charmante marquise dont la voix et les yeux expliquent la passion du joaillier ; Montaubry (Bernard) justifie l’amour de la marquise. Il a chanté avec beaucoup d’âme, souvent même avec un style large, les parties passionnées de son rôle. Quant à Couderc (le Gascon) et à Sainte-Foy (Tom), ils ont eu l’un et l’autre un grand succès comme acteurs. Sainte-Foy l’excellent comique s’est même élevé dans certaines scènes jusqu’à des élans dramatiques fort émouvans.

    Il y a un beau décor au troisième acte. L’accueil fait au Joaillier de Saint-James inaugure bien la rentrée de M. Perrin à l’Opéra-Comique. On a beaucoup parlé du rengagement de Mme Carvalho à ce théâtre, mais rien n’est encore terminé.

Concert de M. Auguste Dupont.

    L’Europe est un vaste conservatoire de musique dout les élèves viennent concourir à Paris. De là le nombre immense de prix que Paris est censé donner, mais qu’il ne donne pas cependant. Paris est très sévère, très difficile, ennuyé, blasé. Et l’on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse quand on entend un artiste étranger vous dire naïvement : « Je viens à Paris pour me faire connaître. » Qu’il soit virtuose ou compositeur, le pauvre artiste ignore presque toujours ce qu’il faut d’efforts, de peines, de temps, d’argent et de talent pour vaincre l’indifférence générale et attirer sur soi pendant deux heures l’attention de quelques honnêtes gens intelligens. Quand il possède surtout de l’argent et du talent, il y parvient quelquefois, s’il a aussi du bonheur. Alors on l’écoute, on l’applaudit, on le discute, il a fait sensation, il a un prix au concours. Et après ? et huit jours après… on l’oublie. C’est à recommencer. Alors l’année suivante il revient. Il rencontre un des juges qui lui furent le plus favorables ; il le remercie avec effusion. « C’est moi, Monsieur, que vous avez bien voulu l’an dernier encourager si chaleureusement. — Je ne… me… souviens pas. — Oh ! je me rappellerai toujours, moi, votre bienveillance. Je suis un tel. Je donnai, au mois de février, un grand concert avec orchestre ; vous eûtes la bonté d’y assister. On y exécuta ma première symphonie, une ouverture et un concerto dont vous avez parlé avec des éloges qui m’ont rendu bien heureux. — Je n’ai pas d’idée… pardonnez-moi… il y a tant de concerts… » Et le pauvre virtuose-compositeur sent un glaçon aigu lui traverser le cœur en reconnaissant combien peu de traces a laissées son premier succès, et avec quelle rapidité s’est évanouie la fumée de sa gloire. Il a du courage, il recommence néanmoins. Il affiche son deuxième concert, et le matin du grand jour où il doit avoir lieu, deux amateurs de musique à qui il a envoyé des billets, se rencontrant, l’un dit à l’autre : « Venez-vous ce soir au concert de Dramiki ? — Dramiki ? — Oui, cet artiste polonais que vous avez tant applaudi et admiré l’hiver dernier ? Vous vous le rappelez ? — Parbleu ! qui joue de la flûte ? — Mais non, c’est un pianiste, un grand pianiste. — Ma foi non, connais pas. C’est que je le confondais avec un nommé Rousseau. »

    Les deux amateurs vont pourtant le soir entendre Dramiki. Nouveau succès, la presse le proclame un grand artiste. Cette fois on sait qu’il joue du piano et non de la flûte, et une partie des auditeurs qui l’ont applaudi ne le confondront plus l’an prochain avec un nommé Rousseau. Voilà ce qu’il a obtenu au prix de tant de persévérance, de sacrifices et de douloureux efforts. Son nom est inscrit sur le sable de ce désert mouvant qu’on appelle Paris. Dramiki a du bonheur, il ne fait pas de vent, le simoun épargne son nom. Mais il y a tant de Bédouins au désert, il y passe tant de caravanes… Le malheureux nom aura grand’peine à leur échapper. Le devoir de la critique est donc de le prononcer aussi haut que possible, puisqu’il mérite d’être connu.

    M. Auguste Dupont fut élève du Conservatoire de Bruxelles, où je crois qu’il professe maintenant. Pendant plusieurs années il remplit les fonctions d’organiste dans une très petite ville de Belgique, où il soutenait sa famille, composée de cinq personnes, en donnant des leçons de musique à 50 centimes l’heure. Après ces journées exténuantes, le malheureux artiste, profitant de l’avantage que lui laissait l’isolement de sa pauvre demeure située dans les champs, travaillait son piano pendant une partie de la nuit, s’enveloppant les jambes dans une couverture, faute de bois pour se chauffer… Les souffrances semblent avoir imprimé sur son visage un caractère grave et triste. Il parle de son art avec un rare bon sens et de son talent avec une modestie plus rare encore. Il est impossible, après l’avoir entendu causer quelques instans, de ne pas reconnaître en lui un homme distingué. Mais on ne se douterait guère, à son aspect réservé, calme et même timide, de la nature de son talent. C’est un pianiste fougueux, d’une incroyable énergie, d’une vigueur allant quelquefois jusqu’à la violence ; mais sa fougue est réglée pourtant, hâtons-nous de le dire, et les incroyables difficultés qu’il exécute ne sont jamais vaincues par lui en sacrifiant le rhythme, dont la forme reste toujours parfaitement saisissable par l’auditeur. Son jeu, dans certains cas, est d’une finesse exquise, et il dit les mélodies lentes avec une grande et belle expression. Le morceau par lequel il a terminé son concert, et qu’il appelle le staccato perpétuel, est des plus curieux. C’est en effet un trait continu dont chaque note est aussi sèche et aussi séparée de la note suivante que possible, ce qui n’empêche pas au dessin et à la contexture générale du morceau d’offrir un très vif intérêt. En deux endroits seulement, pendant cette course haletante des doigts, l’emploi de la pédale rendant subitement leur sonorité aux cordes de l’instrument, l’oreille est délicieusement affectée par un bain d’harmonie auquel on est loin de s’attendre. Ce procédé, qui n’est pas inconnu aux grands pianistes, est ici employé de la façon la plus charmante et la plus ingénieuse.

    Comme compositeur, M. Auguste Dupont a droit à l’estime la plus haute des connaisseurs. Son style est nerveux, la forme de ses morceaux est d’une ampleur magnifique, son harmonie claire et sonore, sa mélodie toujours distinguée. Il écrit l’orchestre magistralement, en faisant peut-être trop souvent appel aux voix formidables des instrumens de cuivre. Je l’ai entendu accuser d’avoir, dans ses traits de piano, trop imité les traits de Mendelssohn ; je n’ai pas été frappé de cette imitation, qui, en tout cas, ne prouverait pas grand’chose contre M. Dupont. Beethoven, dans les œuvres de sa première manière, n’a-t-il pas jusqu’à un certain point imité, en l’agrandissant, le style, de Mozart ? Pour moi, le concerto symphonique et la fantaisie avec variations pour piano et orchestre, de M. Dupont, sont des ouvrages de la plus grande valeur ; j’en ai été vivement impressionné. Pourquoi ne pas le dire franchement ? il y a là des choses que les plus grands maîtres seraient heureux d’avoir trouvées, des choses admirables et qu’on admirera d’autant plus qu’on les entendra plus souvent.

    L’orchestre, qui avait peu répété, comme il arrive trop souvent à Paris, a néanmoins exécuté avec ensemble, sinon avec beaucoup de finesse, ces deux ouvrages difficiles. Les cors seuls, comme il arrive encore trop souvent à Paris, ont fait entendre plusieurs notes mal posées dont l’auditoire a paru choqué. Il est incroyable que des fautes pareilles se reproduisent aussi souvent chez nous dans les orchestres de concert.

    M. Marchesi, avec sa belle voix de baryton, a chanté l’air de la Résurrection, de Handel, et celui du Mahometo secondo, de Rossini ; Mlle Murska, son élève, je crois, nous a dit d’une voix juste, mais peu sympathique, un thème varié de Proch et l’air (Non mi dir) de Don Juan, où se trouvent, dans l’allegro final, les indécentes vocalises de dona Anna éplorée, sur ces mots : Forse un giorno il ciel encora sentira a-a-a-a pietà di me. Il faut croire qu’au moment où il écrivit cet incroyable passage, Mozart était en proie à un accès de folie.

    On ne saurait jamais assez stigmatiser d’aussi monstrueuses anomalies, quand elles se trouvent dans les chefs-d’œuvre des maîtres illustres, dût-on se faire stupidement accuser de ne pas aimer ces chefs-d’œuvre ni leurs auteurs. Ainsi vous serez censé détester Gluck, ne pas admirer Alceste, si vous convenez que le chœur final « Qu’ils vivent à jamais », qu’on n’ose pas exécuter à la représentation de cet ouvrage, est une indigne et ridicule platitude. Seulement, dans Alceste, le morceau critiquable est le résultat de la paresse, ou de la fatigue, ou d’une défaillance momentanée du génie de l’auteur, tandis que le passage de Mozart, au milieu d’un air beau de tout point d’ailleurs, est une insulte gratuite faite au bon sens, un outrage indigne infligé on ne sait pourquoi, à l’amour, à la douleur, à la poésie et à la musique. La plupart des cantatrices suppriment cet air aux représentations de Don Juan, tant il leur est désagréable non pas de prendre part à ce crime contre l’expression d’un sentiment noble, mais d’exécuter des vocalises aussi dangereuses et aussi dépourvues d’effet musical. Supposons que Raphaël, auprès d’une de ses plus chastes madones, eût peint quelque groupe obscène, il n’en serait pas moins Raphaël ; mais ce qu’on pourrait dire de plus respectueux pour lui à ce sujet, c’est qu’un moment de folie avait troublé sa sublime intelligence. Mozart, dans cet endroit du Don Juan, a fait cent fois pis.

HECTOR BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 10 juin 2009.

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