JOURNAL DES DÉBATS
DU 22 DÉCEMBRE 1853 [p. 3].
AU RÉDACTEUR.
Monsieur,
Le procès intenté à l’administration de l’Opéra par M. Tyczkiewicz, à propos de la représentation du Freyschütz sur ce théâtre, a fait du bruit en Allemagne, et j’en ai été informé comme tout le monde. Mais j’ignorais avant mon retour à Paris de quelle façon je me trouve mêlé à ce procès. En lisant dans le Journal des Débats la plaidoirie de Me Celliez, et en me voyant accusé d’être l’auteur des mutilations du chef-d’œuvre de Weber, j’ai éprouvé un instant d’indécision entre la colère et l’hilarité. Mais comment ne pas finir par rire d’une telle accusation lancée contre moi, dont la profession de foi en pareilles matières a été faite de tant de façons et en tant de circonstances !
Il faut que M. Celliez ait eu une grande confiance dans l’historien qu’il a consulté, pour accueillir de pareils documens en faveur de sa cause et leur donner place dans sa plaidoirie.
Me croyant néanmoins à l’abri du soupçon à cet égard, et tenant compte de la profonde indifférence du public pour de telles questions, je n’eusse point réclamé contre l’imputation de ce méfait musical. Mais j’apprends que les journaux de musique du Bas-Rhin y ajoutent foi (il faut avoir bien envie de me croire coupable !) et me maltraitent avec une violence qui les honore. L’un d’eux m’appelle brigand tout simplement. Or, voici la vérité : Les coupures, les suppressions, les mutilations dont s’est plaint à si juste titre M. Tyczkiewicz furent faites dans la partition de Weber à une époque où je n’étais même pas en France ; je ne les connus que longtemps après, par une représentation du chef-d’œuvre ainsi lacéré, et ma surprise alors égala au moins celle que j’éprouve aujourd’hui de me les voir attribuer.
Une seule fois, plus tard, lors de la mise en scène d’un nouveau ballet, le Freyschütz, qui devait lui servir de lever de rideau, paraissant trop long encore, je fus invité à me rendre à l’Opéra. Il s’agissait de raccourcir mes récitatifs. En présence des ravages déjà faits dans la partition de Weber, la prétention de conserver intacts mes récitatifs eût paru singulièrement ridicule, pour ne rien dire de plus. Je laissai donc faire, en disant que je serais honteux d’être mieux traité que le maître. Mais c’était déjà un point résolu, on m’avait appelé seulement pour indiquer les soudures à faire entre les divers tronçons du dialogue, procédé de pure politesse, car il y a à l’Opéra des soudeurs d’une rare habileté, grâce à l’extrême habitude qu’ils ont de cette sorte d’opérations.
Je suis donc étranger aux attentats commis sur la partition de Weber autant que peuvent l’être MM. les rédacteurs des gazettes musicales du Bas-Rhin, et M. Celliez et M. Tyczkiewicz lui-même. Quelle que soit l’invraisemblance de l’opinion contraire, il m’importe qu’elle ne puisse s’accréditer auprès des vrais amis de l’art en général et de ceux d’Allemagne en particulier, et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien accueillir ma juste réclamation.
Agréez, etc.,
H. BERLIOZ.
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