FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 3 OCTOBRE 1841 [p. 1-2]
THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Reprise de Richard Cœur-de-Lion.
Pendant l’émigration (l’émigration pour nous autres musiciens, c’est le voyage d’Italie, c’est l’exil involontaire qu’on nous inflige pour avoir eu l’insolence de remporter volontairement le prix de composition musicale à l’Institut) pendant l’émigration, dis-je, je voyageais beaucoup dans les Abbruzes, à pied, le fusil à la main. Encore le fusil n’était-il pas toujours de la partie. Lorsqu’il s’agissait de gravir quelque pic inconnu, j’avais toujours soin de laisser en bas ce bel instrument, dont les qualités excitaient assez la convoitise des Abbruzais, pour leur donner l’idée d’en détacher le propriétaire au moyen de quelques balles envoyées à sa rencontre par d’affreuses carabines embusquées traîtreusement derrière un vieux mur.
A force de fréquenter les villages de ces braves gens, j’avais fini par être fort bien avec eux. Mon nom seul ne put jamais leur devenir familier ; on m’appelait en me parlant : Signor maestro, ou, en parlant de moi : Questo signore chi suona la chitarra francese. A vrai dire, je n’avais parmi eux qu’un seul véritable ami, un gredin, un gueux, un misérable, crapuleux, sale, pâle, rampant, mendiant, lécheur, flatteur, tout ce qu’il y a de plus ignoble. On appelle cela dans le pays un brigand. Eh bien ! ce gueusard de Crispino (c’est son nom), ce bandit sans poésie, sans intelligence, sans courage et sans cœur, m’était très attaché. Il me rendait toutes sortes de services : il me procurait non seulement des tuyaux de pipe parfumés, exquis ; non seulement du plomb et de la poudre, mais des capsules même, des capsules ! dans ce pays sauvage, dépourvu de toute idée d’art, d’industrie et de garde nationale. De plus, Crispino connaissait toutes les ragazze bien peignées à dix lieues à la ronde, leurs inclinations, leurs relations, leurs ambitions, leurs passions, celles de leurs parens et de leurs amans ; il avait une note exacte des degrés de vertu et de température de chacune, et ce thermomètre était quelquefois fort amusant à consulter.
Cette affection, du reste était motivée ; j’avais, une nuit, dirigé la sérénade qu’il donnait à sa maîtresse ; j’avais chanté avec lui pour la jeune louve, en nous accompagnant de la chitarra francese, une chanson alors en vogue parmi les élégans de Tivoli ; je lui avais fait présent de deux chemises, d’un pantalon et de trois superbes coups de pieds au derrière, un jour qu’il me manquait de respect.
Crispino n’avait pas eu le temps d’apprendre à lire, et il ne m’écrivait jamais. Aussi, quand il avait quelque nouvelle intéressante à me donner hors des montagnes, il venait à Rome tout bonnement ; qu’était-ce, en effet, qu’une trentaine de lieues per un brave comme lui. Nous avions l’habitude, à l’Académie, de laisser ouvertes les portes de nos chambres : un matin en janvier (j’avais quitté les montagnes en octobre ; je m’ennuyais donc depuis trois mois), en me retournant dans mon lit, j’aperçois, debout devant moi, un grand scélérat basané, chapeau pointu, jambes cordées, qui paraissait attendre très honnêtement mon réveil ; c’était mon gredin, mon bandit, mon ami !
« Tiens, Crispin ! qu’est-tu venu faire à Rome ? — Sono venuto…. per veder lo ! — Oui pour me voir, et puis ?… — Crederei mancare al più preciso mio debito, se in questa occasione… — Quelle occasion ? — Per dire la verità… mi manca… il danaro. — A la bonne heure, voilà ce qui s’appelle dire vraiment la verità. Ah, tu n’as pas d’argent ! et que veux-tu que j’y fasse, Birbonacio ? — Per bacco, non sono birbone ! (je finis sa réponse en français) si… vous… m’appelez gueux parce que je n’ai pas le sou, vous avez raison ; mais si c’est parce que j’ai été deux ans à Civita Vecchia, vous avez bien tort. On ne m’a pas envoyé aux galères pour avoir volé, dit-il en levant la tête fièrement, mais bien pour de bons coups de carabine, pour de fameux coups de couteau, donnés dans la montagne à des étrangers (forestieri). — » Mon ami se flattait, bien sûr ; il n’avait peut-être pas tué seulement un moine. Mais enfin on voit qu’il avait le sentiment de l’honneur. Aussi, dans son indignation, n’accepta-t-il que trois piastres, une chemise et un foulard, sans vouloir attendre que j’eusse mis mes bottes pour lui donner le reste.
Ce sentiment de l’honneur n’est pas le propre des brigands seulement ; nous le voyons se répandre aujourd’hui et faire des progrès remarquables parmi les artistes, les musiciens, les chanteurs surtout. Parmi ces derniers, je n’en connais pas un qui voulût s’approprier, dans un rôle quelconque, la moindre idée du compositeur, et dire : « cette phrase est de moi, l’auteur me l’a empruntée » ; mais la plupart exerçant noblement le brigandage, vous assassinent leur homme le mieux du monde, sans courir le moindre risque d’être mandés à Civita-Vecchia. Nous en sommes venus à ce point, que les chanteurs qui ne couvrent pas leur rôle de fioritures, se vantent d’une telle probité, comme Crispino se vantait de la sienne. Il semble qu’on leur doive une vraie reconnaissance pour avoir bien voulu chanter à peu près ce que le compositeur écrivit. Il est vrai que tout en poussant jusques-là le scrupule, plus d’un s’amuse à mettre des points d’orgue où il n’y en a pas, à chanter en haut ce qui est en bas, ou en bas ce qui est en haut, à couvrir les récitatifs d’appogiatures, à supprimer les élisions, faisant ainsi des vers de treize pieds, à intercaler des ah ! des oh ! dans les mélodies les plus nettement dessinées, à rallentir une mesure, à précipiter l’autre, à faire la tierce majeure dans un accord mineur, à soutenir la tonique sur l’accord de la dominante, à chanter lentement les allegro, très lentement les andante et indéfiniment les adagio, à supprimer les sauts de quinte en les remplaçant par une répercussion de la même note, à briser les tenues des conclusions de phrases par cette sottise qu’on appelle une ribattuta, à couper en deux les notes syncopées, etc., etc. ; mais tout cela n’a rien d’avilissant, ce ne sont que bons coups de carabine, fameux coups de couteau données à des étrangers [le style, le rhythme, l’expression], et le Pape eut grand tort d’envoyer ce pauvre Crispin pour deux ans aux galères.
Voyez un peu ! l’on vient de remonter à l’Opéra-Comique le chef-d’œuvre de Grétry, Richard Cœur-de-Lion, ce modèle de naïveté, cette réminiscence musicale des mœurs du moyen-âge ; et les virtuoses n’ont point brodé ces douces chansonnettes, ils nous les ont rendues telles quelles, absolument, et ils chantent en mesure, parole d’honneur ! C’est incroyable, mais cela est ! Il n’y a que le thème de l’air O Richard ! ô mon roi ! qui n’existe plus ; Masset ayant imaginé de tenir l’ut de la troisième syllabe en forme de point d’orgue, de manière à donner à cette blanche pointée la valeur de trois mesures entières, la mélodie, étendue et suspendue de la sorte, perd sa forme et son accent. Il semble, au lieu de la belle exclamation du fidèle ménestrel, que Blondel appelle de loin le roi Richard, en soutenant la voix aussi long-temps que possible pour se faire entendre plus sûrement. Mais on m’a assuré que Masset préférait cette idée à celle de Grétry. Ah ! s’il la préfère….. Au reste, c’est la seule préférence de cette nature que nous ayons remarquée ; dans tout le reste du rôle, le jeune ténor de l’Opéra-Comique a constammennt préféré les idées de Grétry aux siennes propres, d’où il est résulté que nous avons entendu celles de Grétry. Il a même supérieurement chanté et joué sur son violon la fameuse romance.
Roger n’a modifié en rien son bel air : Si l’univers entier m’oublie. Sa voix manque un peu de force et d’ampleur pour un pareil morceau ; elle est gracieuse, mais n’a point le timbre héroïque. Mme Thillon a daigné chanter très simplement la charmante ariette : Je crains de lui parler la nuit. Pourquoi donc dit-elle : Je vos aime ! au lieu de : Je vous aime ! Ce sont pourtant les trois mots que, depuis son arrivée en France, Mme Thillon a dû entendre le….. (Assez ! j’allais dire une fadeur.)
Je ne sais si à l’Opéra-Comique il est de tradition de rallentir du double le mouvement du solo du vieux Mathurin dans l’introduction, mais à coup sûr rien ne l’indique dans la partition ; peut-être est-ce encore une préférence. Je n’aurais donc que ces deux petites énormités à reprocher aux exécutans de Richard, en y ajoutant, pour l’acquit de ma conscience, le relevé de plusieurs fautes d’ensemble assez graves, mais qu’on a pas faites exprès, si M. Adam n’avait ajouté quelques instrumens à l’orchestre de Grétry. Ici se présentent deux questions : Devait-il le faire ? et comment l’a-t-it fait ? Je crois pouvoir me dispenser de répondre à la première ; il m’est arrivé souvent d’exprimer mon opinion au sujet de la vénération qu’on doit aux maîtres de toutes les écoles et de tous les temps. Il m’a toujours semblé qu’il fallait leur laisser leur style, leurs allures et même leurs manies ; qu’on aurait grand tort de traduire Montaigne en français moderne ; que ces modifications, que ces replâtrages étaient destructeurs, non seulement de tout intérêt historique dans l’art, mais de plus de la véritable physionomie des œuvres ainsi rhabillées, et enfin que c’était manquer de respect à des morts illustres que de les déclarer ainsi publiquement incapables de nous intéresser par les seules ressources de leur art spécial, inhabiles à nous émouvoir, à nous entraîner par la seule force de leur inspiration.
En répondant à la seconde question, il faut avouer que M. Adam a mis beaucoup de réserve dans ce travail difficile et ingrat. La partie de violoncelle ajoutée dans les couplets d’Antonio : La danse n’est pas ce que j’aime, se déroule gracieusement au travers des accompagnemens de Grétry, et ne gêne point du tout le chant. La petite flûte, introduite dans quelques endroits n’amène ni grand dommage ni grande amélioration. Le tremolo et le pizzicato des basses, à la dernière strophe de la romance, produisent au contraire un effet dramatique bon en soi, quoiqu’il ne soit point du tout dans les habitudes musicales de Grétry. Pour les trombones, au refrain de la chanson à boire surtout, je les trouve horribles et le parterre a été de cet avis. Ce noble instrument est uniquement propre aux grands mouvemens lyriques. Admirable dans les scènes où l’effroi domine, transformant sans peine sa terrible voix pour accompagner les graves accens d’une cérémonie religieuse, ou rassombrissant encore pour murmurer sourdement un glas funèbre, jetant ses cris furieux au milieu d’une orgie, vibrant sympathiquement au souffle des tempêtes, au fracas des élémens troublés, sonnant pour le réveil des morts ou la mort des vivans sa redoutable fanfare, le trombone, que Gluck employa avec tant de savoir et de modération, que les maîtres français qui lui succédèrent avilirent en mainte occasion en le réduisant au redoublement servile, inutile et grotesque des contrebasses, dont une foule de musiciens modernes ont fait un si immonde emploi, ne saurait, sans déroger, sans produire le contraste le plus ridicule et sans blesser toutes les convenances d’expression, venir accompagner le refrain bachique de quelques paysans en gaîté et d’un aveugle mendiant. Ceci tombe sous le sens ; et on en pourrait dire autant, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, à propos des scènes d’opéra-comique où il est introduit aujourd’hui, au grand détriment en outre des voix et des violons, dont le nombre, dans ces petits chœurs et ces maigres orchestres, leur permet à peine d’être alors entendus.
La direction de l’Opéra-Comique à dû prendre à cœur cette reprise ; les costumes, qui, en général depuis que M. Martinet en est chargé, se font remarquer par leur élégante fidélité, sont cette fois plus soignés encore que de coutume.
Masset, dont la peur paralysait les facultés, comme il lui arrive à toutes les premières représentations, semblait avoir perdu la voix au début de son air du premier acte. Il ne l’a retrouvée, je crois l’avoir déjà dit, que pour la belle romance : Une fièvre brûlante, qu’il a comprise et très bien chantée. L’effet de l’ensemble des deux voix à la fin de la dernière strophe, a été extraordinaire : c’était une véritable et profonde émotion du public, chose rare !
Début de Barroilhet dans le rôle de Guillaume Tell.
…………………………………………………………………
Qu’on le mène à Civita-Vecchia pour dix ans !
Grand silence ! tout le monde est à Bade, à Spa, à Boulogne, aux Pyrénées ; on y donne (c’est bien le mot) des matinées musicales, où les baigneurs s’obstinent à ne point aller. On fait quarante francs de recette ; on part indigné, et on va recommencer ailleurs la même expérience avec le même résultat.
J’ai pourtant assisté la semaine dernière à une soirée intéressante. On y devait entendre une jeune pianiste débutante, Mlle Irma Seuriot. Cette enfant, dont l’éducation musicale a été commencée par M. Desmarest de manière à donner toute sécurité pour son avenir, prend, depuis un an à peine, des leçons de M. Bertini, et déjà son talent a acquis cette fermeté et cet élan qui font présager une virtuose. Dans le même concert M. Desmarest a exécuté, avec une verve peu commune et une justesse plus rare encore, un grand et beau solo de violoncelle, tiré d’une des œuvres les plus brillantes de M. de Bériot. Le talent de M. Desmarest grandit chaque année ; s’obstinera-t-il encore à se tenir à l’écart cet hiver ? Cette réserve, au milieu de la cohue de talens de toutes les tailles qui se disputent l’attention des dilettanti, ne manque pas d’une certaine distinction ; mais, poussée plus loin, ce serait un symptôme d’orgueil dont nous aimons à le croire exempt.
Emploi de la Musique comme moyen curatif de la folie.
Les journaux de l’Yonne ont beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de l’hospice des aliénés d’Auxerre et du traitement musical auquel ils sont soumis dans cet établissement ; la lettre suivante, que M. de Louvois nous a fait l’honneur de nous adresser récemment, contient un tableau curieux des études musicales des progrès et de la guérison graduelle de ces malheureux. M. de Louvois doit avoir observé d’autant mieux le phénomène et apprécié ses conséquences, qu’il est lui-même excellent musicien. Nous avons sous les yeux quelques unes de ses compositions, dans lesquelles il est aisé de reconnaître un style mélodique toujours exempt de vulgarisme et un sentiment très fin des beautés de l’harmonie. Voici cette lettre :
« Monsieur,
» Il y a quelques jours que j’eus la curiosité de visiter l’hospice général des aliénés à Auxerre. A ma première visite, qui eut lieu en 1840, j’avais trouvé cet établissement tenu avec ordre, propreté ; mais encore, sous le régime de l’ancien système, des loges grillées et malsaines contenaient un grand nombre de malheureux en démence, atteints plusieurs fois par jour d’accès de fureur, déchirant leurs vêtemens et rugissant dans leurs cages comme des animaux féroces.
» Jugez de ma surprise, lorsqu’entrant cette année dans l’établissement, M. Girard de Cailleux, directeur de cette maison et jeune médecin donnant les plus grandes espérances, me montra toutes les loges ouvertes, appropriées et converties en cellules dont pas un meuble n’était en désordre ; le préau commun à ces cellules était rempli de personnes libres, calmes et travaillant à différens états. Frappé de cette amélioration sensible, je demandai au directeur par quel heureux moyen il avait obtenu ce résultat.
» Par la douceur, le travail et la musique. En effet, il me conduisit hors de l’établissement, sur une montagne qui domine Auxerre, et là je vis, à mon grand étonnement, plusieurs malades qui l’année dernière avaient la camisolle [sic] de force, et qui aujourd’hui armés de pelles et de pioches travaillaient avec ardeur sans proférer une seule parole, le tout dans l’espoir d’obtenir, à la rentrée du travail, une récompense, et cette récompense, c’est la musique.
» Mais comment se fait-il, disais-je au directeur, que des vignerons, des laboureurs, trouvent autant de charmes et de consolations dans la musique, eux qui presque tous n’en avaient jamais entendu ?
» M. Girard me répondit par cette observation très juste de Cabanis : « La nature se plaît aux retours périodiques ; les rapports réguliers qui existent entre certaines vibrations sonores ne forment pas seulement une agréable symétrie ; les sons déterminés par ces vibrations ont chacun une âme, et leur combinaison produit une langue bien plus passionnée, quoique moins précise, que la langue ordinaire. Les enfans aiment le chant ; ils l’écoutent avec l’attention du plaisir long-temps avant de pouvoir articuler. Le chant les calme et dans l’état de la plus grossière culture, la voix humaine rhythmée sait déjà produire des sons pleins d’expression et de charme.
» Voilà, Monsieur, ajouta M. Girard, ce qui me fait employer la musique comme un remède physique et moral. »
» Pour me montrer l’application de cette théorie, nous entrâmes dans une salle où se trouvaient quatre divisions de malades, soprani, contr’alti, tenori et bassi, tous les exécutans atteints plus ou moins d’aliénation mentale.
» Le professeur, M. Brun, homme de mérite et de talent, avait écrit sur un tableau un chant à plusieurs parties, et là, une baguette à la main, demandait successivement à divers malades le nom des notes, leur valeur, leurs rapports entre elles, le système des accords, la manière de préparer et de sauver les dissonances, et toutes les réponses furent justes et sans hésitation. Immédiatement j’adressai la parole à un ancien ouvrier de chez moi qui est dans l’établissement depuis cinq ans, et qui l’année dernière avait des accès de fureur ; cet homme cependant venait de répondre à M. Brun avec une justesse remarquable ; il lui fut impossible, bien qu’il me reconnût, de suivre un raisonnement. Je lui demandai alors : Si je plaçais un fa et un la sur un utà la basse, quel serait cet accord ? — Quarte et sixte, me répondit-il à l’instant. Puis, avec une voix assez gutturale mais juste il me le fit entendre. Peu après, à un signal donné par le maître, les malades exécutèrent ensemble les quatre parties d’une courte prière d’actions de grâces que m’avait inspirée la touchante position de ces malheureux et la reconnaissance qu’ils devaient à Dieu pour l’adoucissement apporté à leurs maux par la savante philanthropie de M. le directeur Girard.
» Je termine en signalant, depuis l’année dernière, la rentrée de dix-sept malades guéris, dans leurs familles et jouissant de toutes leurs facultés intellectuelles.
» Si ces faits, Monsieur, vous paraissent dignes d’être publiés, je vous les livre comme exacts, heureux, s’ils trouvent place dans votre journal.
» Agréez, Monsieur, l’assurance de la haute considération de votre dévoué serviteur,
» Le marquis DE LOUVOIS. »
La France manquait d’un édifice monumental où l’on pût exécuter largement les chefs-d’œuvre des anciens maîtres, et qui fût exclusivement destiné à la musique sacrée.
Une élève de Choron et du Conservatoire de Musique, Mme Morineau-Ganivet a conçu le projet, à cette heure en exécution, de doter la capitale de ce nouveau temple de l’art.
Elle a voulu faire revivre cette basilique de Longchamp, élevée en 1260 par Mme Isabelle, sœur du roi saint Louis, et vers laquelle l’habitude semble, chaque année à la même époque, diriger encore l’élégante population de Paris.
Un de nos architectes distingués, M. Charpentier, auquel on doit la restauration de la salle de l’Opéra-Comique, et de celle des Italiens, place Ventadour, s’est chargé de la direction de ces travaux importans, et de reprodmre l’ancienne basilique, enrichie des détails de l’architecture du quatorzième siècle.
Dans ce but, les fondateurs de l’Oratoire de Longchamp ont fait l’acquisition d’un terrain dans une situation des plus favorables, au rond-point de la plaine de Passy (dit le Tourne bride), non loin de l’arc-de-triomphe de l’Etoile. Les constructions sont déjà fort avancées.
Les plans et devis arrêtés par l’architecte élèvent à 450,000 fr., la somme jugée nécessaire pour donner à cet édifice tout le grandiose qu’il doit comporter, et pour l’application de quelques nouvelles et précieuses découvertes d’acoustique.
Les plans et devis seront mis à la disposition d’une commission de surveillance.
Pour obtenir les capitaux nécessaires, les fondateurs de l’Oratoire, en invoquant de pieux souvenirs, font un appel aux vrais amis du grand art musical. Ils ont, en conséquence, à dater de ce jour, ouvert une souscription dont le mode sera publié incessamment et dont le produit est destiné au paiement, tant des travaux de construction de cet Oratoire, qu’à l’acquisition d’environ 34 ares de terrain à ajouter à la portion primitivement acquise.
Ils veulent en outre que l’exécution des chefs-d’œuvre de l’école religieuse soit réellement monumentale ; on parle d’une réunion de trois ou quatre cents artistes dirigés par des maîtres habiles, et exercés à loisir par de nombreuses et excellentes répétitions.
A la bonne heure, voilà qui vaut la peine d’en parler. Voilà un digne, un beau projet, et s’il y a à Paris le moindre amour de la musique, ou seulement la curiosité des grandes choses, il réussira.
H. BERLIOZ.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er juin 2014.
© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.
Retour à la page principale Berlioz: Feuilletons – Journal des Débats 1834 - 1863
Retour à la Page d’accueil
Back to main page Berlioz: Feuilletons – Journal des Débats 1834 - 1863
Back to Home Page