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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 21 JUIN 1840 [p. 1-2]

THÉATRE DE L’OPÉRA.

Continuation des débuts de Marié. — Reprise de Fernand Cortez.

    Les débuts de Marié dans le répertoire de Duprez excitent de plus en plus l’attention et l’intérêt du public ; et c’est un singulier sujet d’observation pour les artistes que celui des aspects variés, des physionomies quelquefois étranges, des couleurs éclatantes ou sombres que l’exécution des divers chanteurs peut prêter à un rôle. Ce n’est pas sans effroi que les compositeurs surtout reconnaissent avec quelle désespérante facilité une inspiration noble devient triviale ou disparait tout-à-fait, comment le plus impétueux élan et le mieux dirigé peut être brisé dès le début ou détourné de sa voie, et qu’il suffit de peu pour éteindre des pensées qui devraient sans peine, à ce qu’il semble, répandre la lumière autour d’elles avec la chaleur et la vie.

    Au théâtre, comme au concert, comme partout, selon les chances de l’exécution, l’auteur de la même partition peut paraître un grand artiste ou un sot, un ingénieux inventeur ou un esprit désordonné qui ne sait où il tend, un homme passionné ou un froid calculateur, il peut en vingt-quatre heures exciter l’admiration ou le mépris, l’envie ou la pitié, l’enthousiasme ou la haine, sans que son mérite réel ou le goût du public aient subi la moindre altération.

    Pour placer mes comparaisons sur un terrain où elles puissent choquer moins de susceptibilités, rappelons les vicissitudes de quelques partitions de l’école moderne allemande exécutées à Paris il y a quelques années. Supposons l’amateur le plus intelligent entrant au théâtre Favart, à une représentation de Fidelio, un jour ou Haïtzinger ne jouait pas le rôle de Florestan. En entendant la scène du caveau au second acte, livrée à un ténor dont nous avons oublié le nom et qui osa l’aborder deux fois, à coup sûr il n’aurait pas deviné que c’était là une sublime inspiration de Beethoven, et le silence glacial de la salle lui eût bien prouvé, bien indiqué que le public ne le devinait pas davantage. Cependant, à l’audition de ce morceau chanté quelques jours plus tard par l’un des plus grands musiciens et l’une des plus magnifiques voix qu’on ait jamais entendues, le même homme, ébloui, écrasé, haletant, n’eût pas su ce qu’il devait admirer davantage, de cette sensibilité profonde, de cette fidèle représentation de la nature, de la beauté de cette douleur, du terrible retentissement de ces cris d’angoisse, ou de cette merveilleuse union de la musique et du drame, de ce rayonnement furieux du génie incandescent qui bouillonne dans l’orchestre comme au théâtre, interrompt la voix frémissante du chanteur par les tendres plaintes des instrumens, et par ces accens désolés redoublant le délire du prisonnier à l’agonie, et l’entoure des images si chères de sa femme et de ses enfans qu’il croit voir groupés tout en larmes au seuil de sa maison, l’appelant et lui tendant les bras. Jamais plus hautes acclamations n’accueillirent une plus belle idée musicale mieux rendue. Haïtzinger était sublime, Beethoven planait au plus haut des cieux, et douze cents âmes émues, à des degrés différens, sans doute, mais toutes émues, se sentaient entraînées par une force irrésistible vers ce monde, hélas ! trop rarement accessible, qu’habitent le grand art et la divine poésie.

    Comparons Mme Schrœder-Devrient, et encore Haïtzinger, avec les acteurs qui ont successivement rempli à l’Odéon les rôles d’Agathe et de Max dans le Freyschütz, et convenons que le public français, avant de connaître ces deux virtuoses, n’était pas bien coupable de ne trouver dans ce chef-d’œuvre qu’une jolie walse, un chœur et une belle ouverture. Pour mon compte, après avoir entendu cent fois au théâtre et dans les concerts, la scène incomparable d’Agathe attendant son fiancé, chantée par des cantatrices françaises et italiennes d’un talent remarquable d’ailleurs, je dois avouer que sans l’orchestre, où la pensée de l’auteur s’était conservée intacte, je n’eusse pas entièrement compris la chaste véhémence de cet amour de vierge, ni distingué l’art prodigieux avec lequel l’auteur a su tantôt le contenir et le voiler, tantôt l’attiser au contraire et lui donner carrière. Et ces chœurs de chasseurs et de paysans de la forêt Noire, qui en soupçonnait ici la verve et la sauvage verdeur avant de les avoir entendu exécuter par les choristes allemands ? Ce fut une véritable révélation.

    En revanche, ces mêmes choristes, dont le succès était si grand dans les œuvres de Beethoven et de Weber, ne produisirent qu’un effet mesquin dans celles de Mozart et de Spontini ; le terrible final de la Vestale lui-même, qu’ils voulurent exécuter une fois, perdit sa pompe antique et sa foudroyante énergie.

    Il semble que parmi les chanteurs il n’y ait pas d’organisations complètes. Oberon, le Freyschütz et Fidelio, chantés par des Italiens, seraient probablement fort grotesques ; les opéras bouffes de Cimarosa et de Rossini paraîtraient, je le crains, bien lourds et disgracieux rendus par des Allemands. Nourrit excellait dans les scènes violentes ou d’un mouvement rapide, telles que le trio de la Juive, celui de Guillaume Tell, l’air final du troisième acte d’Iphigénie en Tauride, celui du troisième acte d’Œdipe, le Roi des Aulnes, de Schubert ; il réussissait beaucoup moins bien dans celles d’un genre large et posé, quelle que fût d’ailleurs l’éminence du mérite expressif et mélodique des morceaux de cette nature. Ainsi, après la première représentation de la Juive, il avait exigé de M. Halévy la suppression de l’air : Dieu ! que ma voix tremblante, dans la scène .de la Pâque, la plus belle page de la partition, mais dont il n’avait pas compris la valeur, et dont en outre sa voix se prêtait mal à soutenir jusqu’au bout l’intérêt. Il en fût de même dans Guillaume Tell pour l’air : Asile héréditaire, qui n’était qu’à peine applaudi aux représentations où il le conservait, et qu’il retrancha enfin tout-à-fait de son rôle.

    Ce sont là précisément les triomphes de Duprez qui, malgré tout son talent, ne rendrait qu’incomplétement les morceaux de l’ancien répertoire que j’ai cités plus haut, et laisse beaucoup à desirer dans quelques uns de ceux du répertoire moderne.

    Marié, le débutant, approche de Duprez dans l’air : Asile héréditaire plus que dans toute autre partie du rôle d’Arnold ; il s’en éloigne immensément au duo du second acte : Il est donc sorti de son âme, que Duprez chante, il est vrai, avec une perfection désespérante sous tous les rapports. J’en excepte seulement la phrase si pleine de tendresse et de passion qui tombe peu à peu du sol aigu au mi de la dixième inférieure sur ces mots : Dût-elle nous perdre, nous perdre tous deux ! Marié l’accentue d’une manière incontestablement plus touchante que Duprez, et la chante d’ailleurs telle que Rossini l’écrivit, sans en dénaturer l’intention en transportant les derniers notes à l’octave supérieure au moment précis où ces chutes successives de la sur sol puis de sol sur fa et sur mi, expriment le mieux l’abattement, la force qui manque, la fatigue d’une lutte inutile et le découragement d’un amour qui s’abandonne à tous les hasards. Ce n’est pas à dire pour cela que Marié respecte le texte de ses rôles ; loin de là, il leur fait subir fréquemment d’assez graves aItérations, sans que la raison de l’incompatibilité de sa voix avec le passage changé soit là pour le justifier ; il ajoute même quelquefois à la mélodie d’horribles appogiatures qui lui font plus de tort qu’il ne croit auprès du public. Duprez a beaucoup modifié tous ses rôles, je le sais, mais il l’a fait avec la supériorité d’un chef d’école et il n’en serait encore que plus grand artiste, s’il avait su s’en abstenir :

. . . . Quand sur quelqu’un l’on prétend se régler
C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler.

    Le début de Marié dans Guillaume Tell présentait plus de danger que son essai précédent dans la Juive. Il a fort bien dit, au milieu du premier duo, la mélodie, O Mathilde ! dont il rallentit cependant, sans motif, et d’une manière fâcheuse, la dernière mesure ; la seconde phrase, O Ciel ! tu sais si Mathilde m’est chère ! a paru au contraire tout à fait manquée : il y avait de l’incertitude dans les intonations, de l’embarras dans la conclusion et une mauvaise sonorité en général.

    Je passe rapidement sur le duo avec Mathilde au second acte, qu’il a conçu à la première représentation d’une si étrange façon, chantant tout à demi-voix et sans expression, où il s’est un peu relevé le second jour, mais dont il continue à perdre, en la chantant en voix de tête, une des plus belles exclamations, Ah ! quel transport pour mon cœur ! que Duprez jette en voix de poitrine avec cette fière ivresse d’amant heureux, si entraînante et si vraie. C’est aussi grand dommage, dans le trio suivant, que Marié veuille employer les sons de tête pour la phrase ascendante O ciel ! ô ciel ! je ne te verrai plus ! L’émission de ces notes flûtées sur le si et la aigus l’obligent à prononcer jou nou tou au lieu de je ne te, et affadissent excessivement l’expression. Les trois cris : Aux armes ! à la péroraison du final, sur mi bémol, sol, si bémol, sont bien francs, très puissans et d’une bonne sonorité, quand il n’en exagère pas la force. Ce qu’il a le mieux dit, je le répète, c’est le dernier air, Asile héréditaire, où dans certains endroits il a beaucoup approché de son modèle. Je crois qu’au début de l’allegro il serait bon de ne pas tant prolonger la durée du la placé entre deux sol, sur la dernière syllabe du mot secondez : ce n’est en effet, qu’une note de passage qui devient ainsi chantée plus importante dans la mesure que les bonnes notes. Que Marié se garde aussi de pousser si fortement l’ut aigu qu’il donne en voix de poitrine à la fin de ce même allegro, autrement le son se rompra deux fois sur trois ; l’expérience a dû l’en convaincre déjà.

    Il n’en est pas moins vrai, malgré toutes ces observations que l’Opéra, gràce à l’acquisition qu’il vient de faire de ce jeune chanteur, a des élémens de succès et des motifs de sécurité qu’il n’avait point lorsque tout le répertoire reposait sur Duprez. Indépendamment de son utilité comme double, nous croyons que Marié acquerra une véritable importance personnelle s’il veut ne se présenter jamais en scène qu’après avoir mûrement réfléchi à tous les détails de ses rôles, ne jamais rien aventurer ni improviser devant le public, ne pas ralentir les mouvemens, et surtout ne changer absolument rien aux mélodies, tant qu’il n’y aura pas impossibilité réelle pour lui de les chanter intégralement, et ne pas faire de points d’orgue. Sa troisième représentation de la Juive lui a valu un fort beau succès.

    La reprise de Fernand Cortez, qui en tout cas eût fait sensation indépendamment du singulier incident judiciaire auquel elle a donné lieu, avait attiré dans la salle de l’opéra un auditoire nombreux, attentif, et curieux d’éprouver la persistance de ses anciennes admirations. Si l’auteur avait pu entendre, après le second acte, l’explosion de bravos qui a ébranlé la salle, et les exclamations admiratives qui se croisaient dans les couloirs au foyer du public, dans les coulisses, dans les loges des acteurs et des choristes, et à l’orchestre, et partout, je doute qu’il eût persisté dans son opposition. M. Spontini peut être assuré, nous en avons du moins l’intime conviction, que l’administration de l’Opéra a fait cette reprise un peu précipitamment peut-être, mais en toute loyauté, et avec un désir sincère d’en assurer le succès. Les costumes ne furent jamais, depuis quinze ans, si riches ni si variés ; on a remis à neuf les décors, et les rôles ont été étudiés avec un véritable empressement par les acteurs les plus capables de les bien faire valoir, dans l’état actuel de la troupe chantante.

    Mlle Nau manque de force dans quelques morceaux ; mais elle a dit d’une très gracieuse façon son air : Je n’ai plus qu’un désir, et les solos du duo : Dieu du Mexique, dans lequel F. Prévost l’a bien secondée. Massol est un excellent Cortez, le meilleur que nous ayons jamais entendu. Sa voix ferme et vibrante convient à cette musique d’acier électrisé. Il a magnifiquement dominé toute la scène de la révolte. Sa voix s’assouplit d’ailleurs et s’adoucit depuis quelque temps ; il l’a montré dans plusieurs récitatifs d’une expression tendre, qu’il n’eût pas pu dire de la sorte il y a quelques années. S’il contenait davantage son indignation au début de la grande scène de la révolte, elle éclaterait ensuite avec bien plus de force. Il devrait, autant que possible, observer dans son chant la gradation que l’auteur a si habilement suivie dans l’orchestre, et réserver les sons cuivrés pour la fin. Telle qu’elle est cependant, son exécution de cette immortelle scène est irrésistible ; il saisit, il entraîne ; et si les chœurs et l’orchestre le suivent, seulement comme ils l’ont fait la dernière fois (le mieux serait facile à obtenir), il est sûr de son fait, l’auditoire est à lui. C’est, il faut l’avouer, que cela est prodigieusement beau, que c’est brûlant d’enthousiasme, que l’inspiration déborde, et que la raison la dirige cependant ; c’est qu’il y a là des accens d’une incontestable vérité, de ces grands coups d’aile que les aigles donnent seuls, des séries d’éclairs à illuminer tout un monde. Oh ! ne venez pas me parler de travail pénible, ds prétendues incorrections harmoniques ni des nombrex défauts que les gens, chez qui tout est cerveau, reprochent à Spontini ; car, quand ils seraient vrais, l’effet produit par son œuvre, mon émotion et celle de cent autres musiciens qu’il n’est pas facile d’éblouir n’en sont pas moins vraies à leur tour. Si vous ajoutez que, dans notre exaltation, nous avons perdu la faculté de raisonner, c’est le plus immense éloge que vous puissiez faire de cette musique. Ah ! parbleu ! je voudrais les y voir tous ceux qui nient la supériorité d’un pareille puissance. Tenez, leur dirais-je, vous n’exigez pas apparemment que la composition musicale et dramatique ait pour but unique de parler seulement au raisonnement des auditeurs et de les laisser parfaitement calmes et froids dans leur contemplation méthodique ? Eh bien ! puisque vous accordez que l’art peut aussi, sans trop se ravaler, tendre à produire sur certaines organisations ces émotions qu’elles préfèrent, voici des choristes nombreux et bien exercés, un jeune orchestre français, des chanteurs choisis entre tous, un poëme, semé de situations saisissantes, des vers bien coupés pour la musique ; allons ! à l’œuvre ! essayez donc de nous émouvoir, de nous faire perdre la faculté dé raisonner, comme vous dites ; ce sera chose facile à votre avis, puisqu’après un acte de Cortez on nous voit ainsi enivrés, palpitans. Ne vous gênez pas, nous nous livrons à vous sans défense : abusez de notre impressionnabilité ; nous apporterons des sels, il y aura des médecins dans la salle pour juger le point jusqu’où l’ivresse musicale peut être poussée sans danger pour la vie humaine.

    Ah ! pauvres gens, nous vous aurions bientôt prouvé, je le crains, que vos efforts sont vains, que la raison nous reste, et que notre main ne tremble pas en promenant le scalpel sur toutes les parties de votre œuvre pour y constater l’absence du cœur.

    Je sais qu’en Allemagne surtout, à en juger par certaines opinions fort répandues, cette profession de foi sera très mal venue. N’importe ; je la fais, parce que c’est la mienne, et qu’il y aurait presque lâcheté de ne la pas faire aujourd’hui.

    Mais cet homme-là, dira-t-on, a des affections bien nombreuses et disséminées sur des objets bien divers ; il se prosterne devant le quatrième acte de tel opéra, devant le troisième de tel autre ; il adore des maîtres allemands, français et italiens ; il aime donc tout ? — Ah ! bien, attendez un peu un jour où je me trouverai en train de tout dire, et je serai bien vite disculpé en vous montrant qu’il y a malheureusement plus de choses pour moi parfaitement détestables, beaucoup plus de sottises, de rapsodies, de platitudes et d’absurdités que de chefs-d’œuvre ou seulement d’ouvrages estimables ou dignes de la moindre attention. Prenez garde aux gens naïfs ; rien n’est si mauvais, quand on les pousse à bout.

    Tant il y a, que la partition de Cortez a paru, comme avant son exil de la scène, riche de fraîches mélodies, de beaux récitatifs (trop longs au premier acte, mais ce n’est pas la faute du musicien), d’idées originales, nobles et élevées. toujours essentiellement dramatique, et instrumentée, sinon avec une grande finesse, du moins avec un sentiment de l’expression dont la rectitude ne varie jamais.

LISZT, BATTA.Concerts à Londres.

    La reine chante, le prince Albert chante, les gentilshommes, les dames d’honneur chantent, Lablache lui-même chante, il n’y a pas jusqu’à Rubini qui se permet de chanter aux concerts de la cour britannique. A la bonne heure, on a l’air de bien s’occuper de musique dans ce pays-là. Si cette fureur pour les cavatines italiennes pouvait laisser encore quelques doutes sur la réalité des développemens que l’éducation musicale acquiert chaque jour en Angleterre, l’accueil fait à Liszt et à Batta suffiraient à les dissiper. Ils ont joué l’un et l’autre à la cour, aux soirées particulières de la Reine ; je n’ai pas besoin de dire avec quels succès. Batta, après les applaudissemens de Londres, a voulu obtenir ceux des provinces ; ses concerts à Manchester et dans quelques autres grandes villes, ont eu le plus brillant résultat. Il a fait furore dans la véritable acception italienne du mot.

    Quant à Liszt, je ne sais trop comment vous peindre l’étonnement charmé de tout ce monde là. Les amateurs et les artistes s’ébahissent de concert ; l’aiguille aimantée de la critique a dévié de dix minutes au moins. Le nord n’est plus le nord, l’enthousiasme méridional est dépassé ; enfin pour tout dire, un entrepreneur a engagé Liszt pour exploiter l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande, moyennant la modique somme de douze mille francs par mois. Quand je vous disais que le peuple anglais prise fort la musique. Nous l’aimons bien en France, mais nous la payons mal ; de l’autre coté de la Manche, je ne dirai pas : c’est le contraire, ce qui ressemblerait à une mauvaise pointe ; mais, on l’aime, et on la paie bien, quand on la paie.

    Nous avons ici, depuis plusieurs mois à ce qu’il paraît, un virtuose dont l’incognito et la retraite me paraissent une énigme. Ivan Muller, le célèbre clarinettiste est à Paris et on ne l’entend nulle part, et il n’est pas engagé à l’Opéra, et il ne donne pas de concert, et tout le monde sait que son talent est admirable. C’est peut-être parce que tout le monde le sait qu’il ne veut plus se donner la peine de le prouver. Il nous est aussi arrivé récemment d’Italie, un jeune ténor, Revial, qui faisait partie il y a quelques années, de la troupe de l’Opéra-Comique, mais dont la voix et la méthode ont subi, dit-on, la plus heureuse transformation. Qu’on l’entende donc quelque part !

    A propos de l’Opéra-Comique, il me reste à parler d’un tout petit acte qu’on y a représenté ces jours-ci, le Cent-Suisse. Un amateur d’un grand nom, qui sait la musique comme un artiste, et qui a eu la modestie de garder l’anonyme, a semé de jolis airs et d’agréables morceaux d’ensemble un imbroglio dans lequel Mlle de Chateauroux, un pâtissier et un cent-suisse jouent les principaux rôles. On se déguise pour aller au bal de la duchesse ; une quinzaine de Suisses affamés s’y introduisent successivement sous le masque pour dévaliser le buffet ; l’un d’eux, après avoir mangé force pâtés, aurait envie de dévorer une heure ou deux sa maîtresse qui se trouve là. On le trouble dans son tête-à-tête. Il va être bâtonné, selon l’usage du temps, pour le punir de la liberté qu’il a prise de s’introduire en pareil lieu ; quand Mlle de Chateauroux, à qui ce pauvre diable a rendu un important service, obtient sa grâce de son capitaine, et le marie à sa bien-aimée, qu’elle embellit encore d’une dot de dix mille livres, comme toujours. Je ne connais pas un seul des acteurs qui jouent là dedans, et je ne suis pas bien sûr qu’ils y aient chanté.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er février 2016.

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