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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 31 DECEMBRE 1839 [p. 1-2]

THÉATRE DE LA RENAISSANCE.

Première représentation de la Chaste Suzanne, opéra en deux actes et en quatre tableaux, musique de M. Monpou, paroles de MM. Carmouche et de Courcy. — Débuts de MM. Laborde, Euzet et de Mme Ozy.

    Ce que je sais le moins bien, c’est mon commencement. Je cherche depuis une heure le moyen d’aborder mon sujet. J’y vois au fond beaucoup de choses à dire, et beaucoup d’autres sur lesquelles je me tairai de mon mieux, et c’est tout ; impossible d’entrer en matière. Faut-il raconter la pièce, faire de l’esthétique musicale, parler de la forme, de la pensée, du progrès en avant, du progrès en arrière, de l’art qui se meut, de l’art qui se meurt, des corneilles qui abattent des noix, et à ce propos entamer une dissertation sur l’histoire naturelle ? Ce serait bien mon affaire, car j’ai mangé bien des noix en ma vie, et j’ai tué une demi-douzaine de corneilles ou de corbeaux ; donc je suis de première force sur la botanique et l’ornithologie. C’est ça. Commençons et n’allons pas par quatre chemins. M. de Blainville se trompe, et M. de Jussieu ne sait ce qu’il dit, quand……. Oui, mais après tout, ces deux grands naturalistes vont me trouver prodigieusement bouffon (on me tiendra compte, j’espère, du calembour que je ne fais pas sur Buffon) ; ils riront aux larmes de mon aplomb ; ma naïveté est capable de leur donner des coliques ; ils vont me prendre dans le creux de leur main et me regarder au microscope comme un insecte nouveau, puis m’assigner une place parmi les animalcules infusoires.

    Je crois bien que personne n’en saurait rien ; ces messieurs se moqueraient de moi en famille ; ils ont autre chose à faire que de démontrer à tout venant comment on n’est pas botaniste pour avoir mangé le fruit du noyer, ni ornithologiste pour avoir tiré sa poudre aux corbeaux, et comme quoi ma dissertation, pleine de sens, si je me borne à affirmer que je préfère les noix sèches et même rances aux noix fraîches, perd beaucoup de son intérêt dès que je veux sortir du cercle des faits de cette nature, dont la connaissance m’est acquise et parfaitement incontestée. Eh bien ! voyez un peu la bizarrerie de nos mœurs littéraires : supposons que pour me singulariser ou pour allonger mon feuilleton, au lieu de parler de la pièce nouvelle, du style biblique, de M. Carmouche, de Nabuchodonosor, de Babylone, de M. Monpou, de la chaste Suzanne, de Mme Thillon, de Daniel, de M. Laborde, de l’orchestre de la Renaissance et de la fosse aux lions, je veuille faire part au public de mon opinion consciencieuse sur la dernière opération chirurgicale de M. Lisfranc, sur les travaux anatomiques de M. Amussat, sur le système du docteur Berton et sa manière de traiter les maladies des enfans, ou sur les récentes découvertes de notre savant collaborateur M. Donné. Voulez-vous parier que cela me fera un honneur infini ? Grâce à quelques termes techniques dont j’ai retenu à peu près la signification, tout le monde excepté les médecins, les chirurgiens et les anatomistes qui connaissent leur art (car il y en a), fera d’autant plus de cas de moi qu’on s’attendait moins à me voir débiter de si belles choses. « Comment, dira-t-on, mais c’est un homme très fort : lisez plutôt ; et puisqu’il n’approuve pas le nouveau procédé opératoire du célèbre chirurgien, il faut que cette méthode offre réellement des inconvéniens, peut-être même des dangers graves. On ne parle pas ainsi du fémur, de l’artère crurale, du grand et du petit trocanter, du muscle couturier, du tissu cellulaire, sans avoir beaucoup fréquenté les amphithéâtres. D’ailleurs M. Fétis, biographe connu en Belgique, dit que notre critique a étudié le droit, ce qui prouve bien qu’il fut étudiant en médecine. » Et la conclusion sera juste. Seulement, le jour même de la publication de mon article médico-chirurgical, je recevrai à coup sûr la visite du docteur Blanche, le fameux guérisseur de fous. Il aura plus de bonhomie dans les manières, plus de cordialité que de coutume, et me prenant la main : « Eh bien ! mon cher ami, vous êtes donc un peu souffrant !… Mélancolie… hypocondrie… épuisement des forces vitales… Vous travaillez trop… beaucoup trop… Laissez-moi de côté ces diables de feuilletons ; ne vous occupez plus de ce qui se passe aux cours de Marjolin ; oubliez l’ostéologie, la myologie, la physiologie, la pathologie, la chimie ; vous avez besoin de repos et d’air pur : venez me voir à Montmartre, je vous donnerai une jolie petite chambre exposée au soleil, où vous serez entièrement libre de vous promener pendant la moitié de la journée, où vous pourrez chanter toutes les drôleries que vous avez là si curieusement reliées, personne n’y fera attention ; nous ne craignons pas les albums, nous ; vous en ferez même à vos momens perdus, si ça vous amuse ; c’est facile : tout le monde en fait. Après votre entier rétablissement, s’il vous faut de toute nécessité écrire sur quelque chose, blâmer ou louer, attaquer ou défendre, prophétiser progrès ou ruine, eh bien ! choisissez… L’art musical, ce n’est pas votre spécialité, il est vrai : vous êtes avant tout grand anatomiste, grand naturaliste, grand chimiste, mais je crois que vous feriez en musique de rapides progrès ; d’ailleurs c’est un sujet familier à chacun ; le premier venu peut écrire là dessus ; ça vous fatiguera moins, et ça n’engage à rien. » Ainsi parlerait le médecin des fous.

    Si au contraire je m’avisais tout à l’heure de dire, également en conscience, l’impression que me font certaines partitions, nouvelles ou non ; de chercher la raison de l’effet bon ou mauvais qu’elles produisent sur le public, de désigner le rang qu’elles occupent dans l’art, les défauts qu’on y trouve et les beautés qu’on n’y rencontre pas, autant vaudrait pour moi être roulé nu dans un tonneau d’épingles, ou parcourir un magasin de poudre un flambeau à la main. Ah ! certes je porterais long-temps la peine de ma sotte franchise ; Dieu sait quelles accusations de personnalités, de vues étroites, d’envie de révolutionarisme, d’égoïsme, de sophisme, pleuvraient sur le critique de toutes parts. En vain voudrait-on le défendre sous prétexte qu’il parle, après tout, de ce qu’il sait, de ce qu’il étudie chaque jour, de l’objet constant de ses travaux et de ses réflexions. « C’est précisément parce qu’il s’y connaît, dirait-on, parce que son opinion pourrait avoir du poids qu’il ne doit pas écrire de la sorte. Le voilà bien avancé d’avoir démontré que ce musicien n’a pas fait sa musique ; d’avoir informé le public que cet autre a pris sans leur consentement de cinq ou six collaborateurs ; que telle partition était inutile, puisqu’il en existe des milliers absolument semblables et meilleures ! Qu’importe qu’il trouve ceci trivial ou niais, cela faux, maniéré ou vulgaire ? Le peuple s’y plaît ; donc c’est bon. Vox populi, vox Dei ! Et puis d’ailleurs justice ne se fait-elle pas naturellement tôt ou tard ? Les mauvais ouvrages ont-ils beaucoup d’auditeurs ? Pourquoi tourmenter les gens ? A quoi bon répéter, par exemple (comme le font tous les musiciens depuis quelque temps) que la Jacquerie était en ré ? Ne le sait-on pas ? Quel sel cela a-t-il ? On compte une foule de romances, de valses, de contredanses, de fanfares qui ne modulent pas, qui sont en ut ou en fa tout du long ; pourquoi n’y aurait-il pas des opéras en ré ? Peut-être parce qu’ils sont insupportables ; mais on est toujours libre de ne pas les entendre, et il faut avoir bien du temps de reste pour aller consigner dans un journal d’aussi pitoyables observations. Si les virtuoses, chanteurs et compositeurs qui plaisantent sur l’affection de M. Mainzer pour le ton de s’y fussent pris autrement, si leur critique eût été plus modérée, plus sérieuse, peut-être le professeur allemand qui a voulu essayer de faire un opéra fût parvenu avec du temps à apprendre à moduler dans quelques tons relatifs au moins ; au lieu que maintenant, par découragement ou par amour-propre, si le malheur veut qu’il écrive encore quelque chose, ne fût-ce qu’un ballet en trois actes, il n’en démordra pas : son ballet sera en . Que les gens connus pour n’avoir pas le sens musical et ne rien savoir en outre de la pratique ni de la théorie de l’art tancent vigoureusement les compositeurs et se livrent aux divagations les plus ambitieuses sur des questions qui ne sont pas à leur portée, rien de mieux ; ça ne fait de mal à personne : beaucoup de gens, au contraire, se divertissent fort de ces sermons de curés de campagne sur la fin du monde, les étangs de feu et de soufre, la corruption du siècle et les abominations de l’hérésie. Mais que les hommes spéciaux mettent dans leur critique la plus extrême réserve ; ils le doivent absolument, ou elle manquera tout-à-fait de convenance. » Voilà ce qu’on dirait, et bien pis encore. D’où il suit, pour parler haut et ferme, pour trancher les questions importantes, pour blâmer avec force et autorité ; la première condition, évidemment, quand il s’agit d’un art, c’est de l’ignorer. Allons donc doucement, écoutons bien ce que chante la chaste Suzanne, et tâchons de ne pas nous mettre mal avec ses amans jeunes ou vieux. Il s’agit d’un opéra biblique, presque d’un oratorio. Un sujet sacré exige qu’on l’aborde gravement.

    Jadis vivait à Babylone un Israélite nommé Joachim, du moins un journal m’a instruit du fait, car je ne l’avais jamais entendu dire ni chanter. Ce pauvre homme vient à être banni on ne sait pour quel crime, et sa jeune épouse, la belle Suzanne, demeure seule sous le toit conjugal, en butte aux persécutions de deux vieillards follement épris de ses charmes. Elle n’a pas un instant de repos ; ils l’épient et la suivent partout. Se croyant enfin seule avec ses femmes au fond de ses jardins, Suzanne veut goûter en paix le repos et la fraîcheur du bain. Voilà toutes ces beautés dans le plus simple appareil ; on danse, on chante, on nage, on folâtre, on se balance à l’ombre des palmiers en fleurs au dessus des ondes. Suzanne pense sans doute comme la charmante Sara de M. V. Hugo,

Qu’elle peut folâtrer nue
    Sous la nue,
Dans le ruisseau du jardin,
Sans craindre de voir dans l’ombre
    Du bois sombre
Deux yeux s’allumer soudain.

mais ses obstinés poursuivans sont encore là et ce sont trois yeux ardens que la baigneuse tremblante voit luire dans la feuillée ; je dis trois, car l’un des vieillards m’a paru borgne. J’aime à croire que je me suis trompé. Effroi et dispersion des baigneuses ; Suzanne éperdue reste au pouvoir de ces vieux scélérats ; grande scène de chasteté. Voilà qu’au plus beau moment de la résistance de notre héroïne, paraît dans le jardin un jeune pâtre, dont la présence inattendue en pareil lieu semble expliquer bien des choses. Il vient de la part de Joachim, et cherche à remettre en secret à Suzanne un anneau que lui envoie son mari. Les deux amoureux cacochymes imaginent, pour se venger des refus de Suzanne, de l’accuser d’adultère avec le berger. Le tribunal s’assemble, Suzanne est condamnée à mort ; quand son prétendu complice, qu’un ange a délivré de la prison, se présente couvert d’habits magnifiques, le regard inspiré, la voix tonnante, interpelle et confond les accusateurs, les fait honteusement chasser de Babylone, et se découvre enfin : c’est le prophète Daniel.

    A part quelques longueurs qu’il est facile de faire disparaître, ce livret est habilement disposé pour la musique et ne manque pas d’intérêt. Plusieurs situations, celle du tribunal et le final du second tableau, prêtaient surtout au développement des plus grandes ressources de la musique. M. Monpou en eût tiré meilleur parti, ce me semble, en donnant moins carrière à sa verve facile, en se montrant plus sévère sur le choix de ses thèmes et plus soigneux d’éviter des réminiscences qui ne peuvent manquer de se présenter à l’esprit quand on écrit si rapidement. Sa partition néanmoins contient d’heureuses mélodies exposées simplement, et que l’auditoire a fort goûtées.

    Le thème élégant de la cavatine de Mme Thillon au premier acte est du nombre ; il m’a semblé seulement qu’après la dernière mesure de la phrase principale l’intérêt mélodique s’éteignait tout d’un coup pour ne se relever qu’à la rentrée du motif. Le compositeur, content de ses huit premières mesures, se sera dit : ici on applaudira, je n’ai pas besoin de m’inquiéter de ce qui doit suivre, car on ne l’entendra pas. On l’a pourtant entendu malgré les applaudissemens. Le chœur des baigneuses serait mieux goûté s’il était chanté juste et si le trait de violoncelle qui le soutient à l’orchestre rappelait moins fidèlement le gracieux accompagnement des baigneuses des Huguenots. Je n’ai pas une idée bien nette du trio entre Suzanne et les vieillards ; quant au duo qui le précède, M. Monpou a lutté avec courage et talent contre l’écrasant parallèle qu’il avait à subir. On voit que je veux parler du morceau de la Fausse Magie, de Grétry : Non, je n’ai pas la cinquantaine ; scène étonnante d’expression, de verve, d’invention, de vrai comique, où brillent enfin toutes les qualités qui font les chefs-d’œuvre de musique dramatique. Le chœur fugué qui termine le second tableau s’annonce bien ; il produirait plus d’effet si la péroraison se laissait moins deviner. Les masses vocales et instrumentales y sont toutefois disposées avec clarté et chaleureusement conduites jusqu’à la fin. On a beaucoup applaudi un air de Daniel, remarquable en effet par le naturel de la mélodie. Le solo de l’ange, pendant le sommeil de Daniel dans sa prison, me satisfait beaucoup moins ; la cause doit en être attribuée sans doute à la manière commune et sèche dont il a été récité. Je n’aurais jamais cru qu’il y eût des anges capables de chanter ainsi. Cependant, malgré tout, il y avait moyen de poétiser davantage cette vision céleste par l’harmonie, les modulations et l’accent mélodique du récit. La scène du tribunal est largement traitée ; elle serait plus imposante encore si, comme je l’ai dit tout à l’heure, quelques détails inutiles étaient supprimés.

    Le succès de la Chaste Suzanne a été complet sous tous les rapports. Il sera, nous n’en doutons pas, honorable et productif pour le Théâtre de la Renaissance autant que pour les auteurs. On trouve dans cet ouvrage le luxe de décors, de costumes et de mise en scène que le sujet exigeait impérieusement, et qu’on n’a guère l’habitude de rencontrer ailleurs qu’à l’Opéra. La toile représentant les jardins de Suzanne et celle du dernier acte où paraissent dans leur colossale majesté ces palais à cent étages des tableaux bibliques de Martinn, m’ont paru d’une grande beauté. Elles sont dues l’une et l’autre aux pinceaux de M. Rivière.

    Maintenant un mot des débutans. Il y en avait trois dans la pièce nouvelle : Un soprano (Mlle Ozy), un ténor (Laborde) et une basse (Euzet). Du soprano je ne dirai pas grand’chose ; le rôle de Mlle Ozy est peu propre à bien faire connaître son aptitude musicale et les ressources de sa voix, dont le timbre cependant est éclatant, mais sans avoir beaucoup de distinction. Le ténor est une très précieuse acquisition pour le théâtre de la Renaissance. Laborde possède une de ces voix exceptionnelles qu’on appelait autrefois haute-contre, dont l’avantage est de s’élever sans effort à des notes que les ténors ordinaires ne peuvent atteindre, mais dont l’accent est presque toujours malheureusement criard et nasal.

    Laborde ne fait pas exception en ceci à la règle générale ; il monte au si de poitrine, peut-être même à l’ut, sans aucune gêne ; il a pris, en voix de tête, un sur-aigu d’une pureté irréprochable ; mais il émet les sons avec une naïveté singulière ; on dirait d’un pâtre qui chante à plein gosier du haut d’une montagne, et jette aux vents son agreste refrain. Ce style de chant ne choque point dans la pièce dont il est ici question, le rôle auquel il s’applique étant celui d’un berger ; en serait-il de même dans un rôle héroïque ou passionné ? Je n’ose l’affirmer. Cependant à l’époque où le genre héroïque occupait seul la scène de l’Opéra, Lainez et Nourrit père obtinrent de très grands succès ; Polynice, Lyncée, Licinius, Cortez, Pylade, Achille, Admète, Renaud ont laissé de beaux souvenirs, et je ne sais trop s’ils seraient aujourd’hui aussi bien rendus, sous quelques rapports, par nos plus habiles virtuoses, qu’ils le furent par ces deux chanteurs qui ne sauraient leur être comparés. D’ailleurs Laborde chante toujours juste, qualité inestimable ; il a de l’âme, et sa méthode est heureusement exempte de toutes les recherches prétentieuses qui trop souvent détruisent ou dénaturent l’expression. Qu’il se tienne en garde seulement contre certains éclats de voix dont l’effet est souverainement disgracieux et fort peu musical. Il en a laissé échapper deux dans le cours de la soirée ; avec un peu d’attention, il rendra ces accidens plus rares, en attendant que la culture de son organe les fasse disparaître tout-à-fait. Laborde a reçu du public le plus brillant accueil. Euzet, la basse, a été fort applaudi dans deux ou trois passages, pour son excellente manière de phraser et la netteté de sa prononciation. Il chante bien ; sa voix, dans les cordes hautes, peut émouvoir aisément, mais c’est là un baryton et non une basse puisqu’au dessous de l’ut du médium on ne l’entend presque pas. La voix grave, indispensable surtout pour les morceaux d’ensemble, manque donc encore à la troupe de M. Joly. Félicitons néanmoins l’infatigable directeur de l’engagement d’Euzet ; il peut, avec celui de Laborde, produire les plus heureux résultats.

    Je m’aperçois que je n’ai rien dit encore de Mme Thillon ; elle a mis toute la grâce moderne imaginable dans la représentation de ce personnage antique de Suzanne. Son chant est resté élégant et coquet, comme toujours ; c’est ce qu’on lui reproche. Elle a fait surtout, dans une scène essentiellement pathétique, deux ou trois gammes qui eussent été mieux placées dans un couplet d’opéra comique. Peut-être ces fioritures sont-elles écrites dans son rôle ; en ce cas le compositeur en est seul responsable, mais j’ai quelque peine à le croire. Les chœurs n’ont pas toujours conservé un ensemble bien satisfaisant ; les soprani surtout sont extrêmement faibles. L’orchestre s’enroue, il se dessèche, il a soif de violons.

    — Je devrais maintenant parler d’une foule d’albums de toutes les couleurs, de toutes les dimensions, de toutes les odeurs, dorés sur tranches, illustrés de vignettes, culs-de-lampes, lithographies, gravures, où l’on voit des anges qui jouent de la harpe, des amans d’Elvire en bottes à revers, des pages, des dames châtelaines, des garçons meuniers, et mille brimborions de diverses espèces ; mais je m’en garderai bien. Pour douze ou quinze albums qui jonchent ma table à cette heure, il m’en arriverait deux cents si j’avais l’imprudence d’en louer un seul ; sans quoi je me permettrais de signaler celui de M. Capecelatro, où se trouve un trio italien d’une bonne facture, et celui de Mlle Puget, tout bourré de petits bonbons musicaux que les grandes personnes ne dédaigneront pas plus que les enfans, dragées, pralines et diablotins, avec force racines d’angélique et autres choses glacées et mille rébus.

    J’aime mieux annoncer aux musiciens un ouvrage plus important. Il s’agit de deux Suites d’Études mélodiques pour le hautbois, avec accompagnement de piano, publiées par M. Veny, l’habile virtuose dont le talent délicieux se fait si aisément remarquer dans tous les concerts au milieu même des splendeurs instrumentales du Conservatoire. Ces études, adoptées par M. Cherubini pour servir à l’enseignement dans les classes de hautbois, méritent et justifient leur titre. Outre les difficultés du mécanisme, présentées graduellement à l’élève dans un ordre logique, chacune d’elles est dessinée, dans les traits même les plus compliqués, d’une façon toute mélodique et dans un style constamment distingué. Cet excellent travail de M. Veny, déjà apprécié à Paris comme il le mérite, doit exercer aussi une heureuse influence, en généralisant la pratique d’un instrument sans lequel il n’y a pas de bon orchestre, et qu’on néglige cependant en province, nous ne savons trop pourquoi.

    M. Chevillard, qui a obtenu dernièrement un si beau succès au concert du Ménestrel, va reprendre, avec M. Alard, le brillant violoniste, le cours des matinées de musique instrumentale qu’ils sont dans l’usage de donner ensemble tous les ans. Elles auront lieu, comme à l’ordinaire, dans les salons de M. Petzold. La première est fixée à dimanche prochain ; on y entendra, outre les solos des deux virtuoses, le septième quatuor en fa de Beethoven, et le quintetto en sol mineur de Mozart.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er décembre 2015.

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