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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 14 JANVIER 1838 [p. 1-2]

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

1re représentation du Fidèle Berger, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Scribe et Saint-George[s], musique de M. Adam.

    Le jeune Coquerel, confiseur de la rue des Lombard, fondateur du magasin de bonbons aujourd’hui si célèbre sous le nom du Fidèle Berger, aime tendrement la belle parfumeuse sa voisine, Mlle Angélique Bergamotte. Il est payé de retour ; mais Mme Bergamotte, femme prudente et fort peu sensible, veut mettre fin aux œillades langoureusecs des deux amans ; elle sait que la boutique du confiseur est assez mal achalandée, elle sait aussi que sa fille est fort belle ; et trouver pour elle un riche mariage est ce qui l’embarrasse le moins. Un gentilhomme de la chambre du roi, M. le marquis de Coislin, a déjà remarqué les charmes d’Angélique, et, en homme convaincu de l’honneur qu’il lui ferait en la déshonorant, il ne doute point qu’elle ne se rende bientôt à discrétion. Il se trompe cependant, ses lettres et ses présens sont refusés ; on éconduit ses émissaires avec indignation. Le marquis, pour mieux épier les démarches de la vertueuse Angélique, vient s’installer dans la boutique de Coquerel, qui ne tarde pas à mettre le nouveau venu au courant de ses affaires, de ses chagrins, de ses amours ; les confiseurs et les barbiers sont naturellement bavards. Ces confidences vont avoir de beaux résultats. Illuminé d’une soudaine inspiration, le marquis se lève, achète quelques boîtes de dragées et disparaît. Jugeant des principes d’Angélique d’après les idées qu’en pouvait avoir un courtisan de Louis XV, la résistance de la jeune fille n’a d’autre motif à ses yeux que la peur de se compromettre ; cette crainte cessera dès qu’elle sera mariée ; Coquerel a l’air aussi simple qu’amoureux ; il faut le lui faire épouser. Avant d’en venir là, M. le marquis juge convenable de faire arrêter le pauvre confiseur ; nous allons voir pourquoi. Un exempt et une lettre de cachet tombent à la fois dans le paisible magasin du Fidèle Berger. Coquerel a beau faire, il faut partir pour la Bastille. On lui bande les yeux ; mais au lieu de le conduire à la terrible prison d’Etat, c’est au château du marquis, à quelques lieues de Paris, qu’on l’enferme sous bonne garde.

    Pendant que l’innocente victime exhale contre son persécuteur de vaines imprécations, celui-ci se présente et déclare au prisonnier qu’il peut obtenir sa liberté, à la condition pour lui d’épouser Angélique et de la quitter aussitôt après la sainte cérémonie. Coquerel partira pour Rouen, où l’attend une manufacture de sucre de pomme, que de Coislin vient d’acheter pour lui ; pour la nouvelle mariée, le marquis s’en charge, il veillera snr elle. Cette étrange proposition est d’abord assez mal accueillie ; mais l’amour de la liberté et l’espérance de déjouer les projets du marquis l’emportent enfin dans l’âme du confiseur, il accepte le marché. On lui apprend alors qu’il se trouve au château de Coislin et non point à la Bastille. La chapelle est préparée, la fiancée l’attend, il n’a plus qu’à se présenter à l’autel et à prononcer le oui fatal. Malheureusement les mesures avaient été trop bien prises, et notre homme est à peine marié qu’on l’entraîne hors du château. La belle Angélique ne sait rien du complot ; on lui a désigné l’appartement où elle doit passer la nuit, et nous la voyons s’y rendre sans trop s’étonner de l’absence de sa mère ni de la disparition de son mari.

    Cependant cet audacieux marquis, qui marie les filles dans son château et fait enlever les maris de vive force, ce terrible Lovelace est marié lui-même, Mme de Coislin a entendu parler de sa nouvelle aventure, et quittant les salons de Versailles où l’attachait sou titre de dame d’honneur de la reine, elle arrive au château de son mari au moment même où le rapt du confiseur vient de s’accomplir. Angélique est la première personne qu’elle rencontre ; quelques mots suffisent pour mettre la marquise au fait de la perfidie de son mari et de l’innocence de la jeune femme.

    Son parti est bientôt pris ; elle ordonne à ses gens de ramener Angélique à Paris, et va s’enfermer à sa place dans la chambre nuptiale. Un homme paraît ; c’est Coquerel qui, heureusement échappé des mains de ses ravisseurs, vient, plein d’amour et de crainte, retrouver son épousée. Prenez garde à vous, M. le marquis, le danger est imminent, et personne ne vous plaindra. Oh ! que c’est dommage ! le tour eût été si bon ! L’impitoyable exempt, avec son escouade, a suivi les traces du fugitif ; il l’aperçoit, le ressaisit et l’entraîne, mais pas assez vite cependant pour éviter au pauvre diable le crève-cœur de voir le marquis s’introduire furtivement dans la chambre qu’il croit celle d’Angélique. Retournons à Paris, entrons au magasin de Coquerel, nous y trouverons sa femme et sa belle-mère, indignées de son absence dont elles ignorent le motif. Mais le voilà lui-même échappé pour la seconde fois des griffes des exempts, et furieux de l’infidélité dont Angélique lui paraît coupable. Il a vu, ce qui s’appelle vu, de ses propres yeux vu, le marquis de Coislin entrer chez elle la nuit dernière. Comment douter de son infamie ?

    Les deux femmes le croient fou. Survient le séducteur ; ses demi-mots, les coups-d’œil, ses gestes mystérieux, paraissent autant d’énigmes à Mme Coquerel ; mais quand il ose lui parler de l’entrevue nocturne qu’il dit avoir eue avec elle au château de Coislin, Angélique épouvantée se croit folle à son tour et le deviendrait réellement si la marquise, se montrant tout à coup, ne venait tout expliquer à la grande confusion de son époux, malgré lui fidèle.

    Les auteurs de cette pièce ont fait une large part au musicien : duos, trios, airs, couplets, chansons, chœurs d’hommes, chœurs de femmes, ne lui ont pas manqué. Plusieurs de ces morceaux se prêtaient assez bien au développement du style mélodique qu’on préfère à tout autre au théâtre de l’Opéra-Comique ; quelques autres nécessitaient au contraire des effets d’une nature plus piquante et plus neuve. Tel est le chœur des marchandes de la Halle, le meilleur de la partition sans contredit, pour lequel M. Adam s’est très heureusement inspiré de la dispute des femmes des Huguenots.

    La querelle des nouveaux époux, au troisième acte, sert de pendant à cette jolie scène. Il est singulier que M. Adam, si habile d’ordinaire à trouver ces petits airs qui font la fortune des marchands de musique et des soirées dansantes, n’en ait pas rencontré un seul vraiment saillant cette fois-ci. A part le chœur et le duo dont nous venons de parler, tout le reste a laissé l’auditoire parfaitement froid, sinon mécontent. On a reconnu partout la facilité ordinaire de M. Adam, mais il a bien fallu s’avouer qu’il en avait abusé cette fois d’une dangereuse manière. Le parterre, dont la bonhomie en fait de musique est devenue proverbiale, s’est montré d’une rigueur excessive, qu’on interprète de différentes façons. Chollet cependant est parvenu à nommer les auteurs.

ENSEIGNEMENT MUSICAL.

    A en juger par l’émulation qui anime nos artistes et nos jeunes professeurs, les musiciens ne nous manqueront pas dans quelques dix ans. Sans parler de la constance avec laquelle MM. Pastou et Wilhem s’appliquent à repandre dans les différentes classes de la société l’art de chanter en chœur, ni de l’influence favorable que peut exercer sur le sentiment musical du peuple l’introduction de l’orgue d’accompagnememt dans les moindres églises de Paris et de la province, avantage dû en grande partie à l’association récente des plus habiles facteurs, nous signalerons plusieurs ouvrages où la théorie de l’art des sons se trouve exposée dans son ensemble et ses détails sous un jour qui nous paraît aussi vrai que nouveau. Les Etudes elémentaires de solfège, de chant et de composition, de MM. Elwart, Damour et Burnett, contiennent une série de questions qui, avec leurs réponses claires et laconiques, renferment les divers points d’appui sur lesquels repose toute la science. Autour de ces réponses se groupent des explications sur lesquels l’élève est appelé à s’appesantir et à méditer après la leçon. Ce sont en quelque sorte des entretiens familiers où le maître cherche à faire comprendre, par des exemples variés et bien choisis, l’application des principes qu’il vient de confier à la mémoire de l’élève. Ces récapitulations sont généralement traitées avec une grande connaissance du sujet et avec une entente parfaite des idées qui doivent être devenues successivement familières au lecteur. On trouve en outre dans ce volume un recueil fort curieux de morceaux anciens et modernes de toutes les écoles, depuis Josquin, Palestrina et Keiser, jusqu’à Méhul, Rossini et Beethoven, que les musiciens déjà formés seront bien aise de parcourir.

    M. Kastner, artiste consciencieux et savant, s’est fait connaître aussi par six méthodes et deux excellens traités d’instrumentation qui lui ont mérité le suffrage de l’Académie des Beaux-Arts. Sa Grammaire musicale, récemment soumise à l’illustre aréopage et non encore publiée, vient d’obtenir de l’Académie une mention toute particuliere et un rapport dont les termes flatteurs font bien augurer de l’œuvre et du succès qui l’attend.

    La Panharmonie de M. Colet est un ouvrage remarquable surtout par la franchise avec laquelle l’auteur n’a pas craint d’attaquer certains préjugés d’école dont l’empire est heureusement à peu près nul anjourd’hui dans la pratique, mais que les vieux professeurs ne maintiennent pas moins obstinément dans la théorie comme autant d’articles de foi. Une partie seulement du vaste travail de M. Colet nous a paru traitée trop superficiellement, c’est celle qui a pour objet l’emploi des voix et des instrumens. Je suis persuadé que M. Colet, l’un des meilleurs élèves qu’ait formés Reicha, en sait là-dessus beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire en lisant son ouvrage. Il aura reculé sans doute devant l’immensité de la tâche qu’il avait acceptée en commençant, et reconnu trop tard l’impossibilité d’approfondir convenablement, dans les limites qu’il s’était imposées, une aussi grande quantité de questions importantes. En fait de traités d’instrumentation, ceux de M. Kastner, que nous avons cités tout a l’heure, sont incontestablement ce qu’il y a de plus exact et de plus complet.

    Il manquait aux virtuoses, aux accompagnateurs, et surtout aux jeunes gens qui veulent étudier l’harmonie, un ouvrage propre à les exercer à la transposition. M. Charles Baudiot, le célèbre violoncelliste, à la belle méthode duquel nous devons tant d’exécutans habiles, vient de combler cette lacune. Après diverses observations préliminaires, son traité comprend vingt-deux petits exercices dans les différens tons majeurs et mineurs, composés chacun d’une phrase musicale de quatre mesures, répétée aux intervalles supérieurs et inférieurs, d’un demi-ton, d’un ton, d’une tierce et d’une quarte. Ces exercices sont écrits de deux manières : d’une part, en conservant toujours la clef de sol (2e ligne) et la clef de fa (4e ligne) ; de l’autre, en faisant usage alternativement des différentes clefs de sol, d’ut et de fa. La pratique de ces exercices apprend à lire sur toutes les clefs et prépare à la transposition. Viennent ensuite plusieurs romances et mélodies italiennes dont les accompagnemens écrits en des tons différens de ceux du chant, obligent nécessairement l’élève à transposer à première vue. Quelques études de piano, disposées de manière à faire transposer d’abord la main droite seulement, puis la main gauche, et enfin les deux mains ensemble, complètent cette méthode dont l’utilité sera appréciée surtout par les amateurs.

    J’ai juré que je ne parlerais pas des albums qui régulièrement envahissent Paris au mois de janvier, avec la neige et les frimas ; ces exécrables petits cahiers, si prétentieusement habillés de rose ou de vert, m’ont poursuivi cette année d’une cruelle manière, et je n’en puis voir un sans faire une grimace digne de figurer dans l’atelier grotesque de Dantan. (A propos de Dantan, il vient de faire un buste de Paganini qui est un chef-d’œuvre.)

    Meyerbeer, Listz [sic], Chopin, Kalkbrenner figurent pourtant ensemble dans l’un de ces albums ; et le Poëte mourant, de l’auteur de Robert ; la Fantaisie sur les Huguenots, de Listz ; la Mazurka, de Chopin ; le Caprice, de M. Kalkbrenner, ne sont pas les seules choses dont le vif intérêt devraient motiver une exception en sa faveur : j’y ai découvert une ravissante cantilène, de M. Clapisson (le Papillon), et deux ou trois chansons espagnoles, de J. Strons, d’une franchise et d’une énergie peu communes ; j’y ai trouvé…… mais je l’ai juré, pas un mot sur les albums. Si j’avais à parler d’eux, je commencerais par celui de Mme Pauline Duchambge, dont les mélodies touchantes ont d’autant plus de charme qu’elles annoncent moins de prétentions ; sans oublier celui de M. Conconne, que m’a recommandé hier une grande musicienne, dont le mâle et énergique talent sympathise assez peu cependant avec la musique en rubans roses.

    Mieux vaut citer en finissant le brillant succès qu’obtient cet hiver Mlle Loveday, élève de Listz, pendant que son maître se fait applaudir avec frénésie des Milanais, au théâtre de la Scala. Cette jeune personne est l’une de celles qui font le plus d’honneur au grand virtuose qui l’a formée. Son jeu a quelque chose de chaleureux, de franc et d’expressif en même temps qui lui donne beaucoup de puissance, surtout dans l’exécution des œuvres de la grande école moderne. Je l’ai entendue, il y a quelques mois, avec Paganini, dans un trio de Schubert, où elle s’est vaillamment comportée à côte de son terrible partner. C’était là cependant, il faut en convenir, un dangereux voisinage.

H. BERLIOZ.     

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er juillet 2015.

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