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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 2 NOVEMBRE 1837 [p. 1]

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation de Piquillo, opéra en trois actes de M. Alexandre Dumas, musique de M. Monpou.

    Un opéra-comique de M. Alexandre Dumas ! c’est de l’imprévu, j’espère ! Qui pouvait s’attendre en effet à voir l’auteur d’Antony, de Richard, de Christine et de tant d’autres vastes drames où la poésie et la passion débordent, se faire en riant le serviteur d’un musicien, et tisser, sous ses ordres, la trame d’un imbroglio espagnol ? Mais ce qui n’est pas moins bizarre, ce à quoi il était peut-être encore plus difficile de s’attendre, c’est qu’il pût advenir que moi musicien, et fort peu littérateur, comme chacun sait, je fusse appelé à apprécier, à critiquer, à juger enfin un ouvrage de l’écrivain dont les doctrines et les productions ont exercé une si puissante influence sur la littérature contemporaine. Il en est ainsi pourtant, il n’y a qu’heur et malheur en ce monde ; les hommes de lettres dans leurs feuilletons quotidiens jugent les musiciens ; les architectes, les graveurs, les peintres et les statuaires de l’Institut, jugent les musiciens ; beaucoup d’autres, qui ne sont ni poètes, ni prosateurs, ni architectes, ni peintres, ni statuaires, ni graveurs, jugent les musiciens et décident à chaque instant du sort de leurs œuvres. Pourquoi donc un compositeur, favorisé par le hasard de sa position, reculerait-il devant la tâche qu’une justice providentielle semble lui avoir confiée ? Non, pardieu, je ne quitterai pas mon siége ! non, je ne me récuserai pas ! Attention, vous tous mes confrères, qui subissez journellement les arrêts des critiques étrangers à notre art, tenez-vous prêts à m’applaudir ; faites chorus, je vais nous venger tous.

    Ah ! Messieurs, vous ne sauriez seulement définir ceux des termes musicaux dont l’usage est le plus fréquent ; vous ignorez ce que signifient les mots mélodie, harmonie, rhythme, modulation, instrumentation ; barbares anatomistes, vous nous étendez vivans sur votre table de dissection, vous fouillez dans nos entrailles, vous déchirez notre cœur, vous nous ouvrez le crâne, votre froid scalpel se promène, insoucieux de nos souffrances, sur les organes les plus nobles, sur les ressorts de la vie les plus délicats, confondant les nerfs et les muscles, les veines et les artères, la lymphe et le sang (on voit que j’ai étudié en médecine), et vous appelez cela juger ? Par le ciel ! je suis bien aise de tenir un des plus huppés d’entre vous, pour lui appliquer la loi du talion, il ne m’échappera pas, j’en réponds ; mais comme il est d’une stature et d’une vigueur peu communes, je sens que pour en avoir raison j’ai besoin d’auxiliaires. J’en pourrais avoir cent, j’en pourrais avoir mille, et pourtant je ne veux appeler que ceux qui se trouvaient hier réunis à la représentation de Piquillo ; certes, c’est de la générosité, car on sait que le théâtre de l’Opéra-Comique est le lieu du monde où l’on rencontre le moins de musiciens. N’importe ! à moi Caraffa, baillonnez-moi ce poète ! à moi Onslow, attachez-lui les bras ! à moi Halévy, liez-lui les pieds ! à moi les chefs d’orchestre Girard, Habeneck, Valentino, portez-moi ce grand corps à l’amphithéâtre ! à moi Duprez, Mme Stolz, Mlle Puget, tenez-le en respect, appuyez vos mains sur sa poitrine, le pouce sur l’artère carotide, comptez les pulsations ! vous le trouvez beau, je le sais, je l’admire autant que vous, mais ce n’est pas le cas de s’attendrir ; arrière la sensibilité ! je tiens le scalpel, commençons. S’il en échappe, c’est qu’il a la vie dure.

    Qu’est-ce que ce Piquillo ? Un voleur. Ah ! bon, quelque Robert Macaire espagnol ? Justement, le voilà qui démolit une maison avec son poignard et s’y introduit par la brèche pour y voler des diamans. Comment sait-il qu’il y a là un si beau coup à faire ? J’ai bien vu venir sous le balcon tout à l’heure une jeune et gracieuse dame, qui a chanté d’une fort aimable façon ; Piquillo l’écoutait, caché comme Charles Ier, dans les branches d’un chêne ; mais je n’ai pas compris le moins du monde qu’il fût question de diamans. Et vous, Duprez, l’avez-vous compris ? Non ! Et vous, Mesdames ? Pas davantage. Premier coup de scalpel. C’est notre faute, dites-vous, quelques mots nous auront échappé ; à une seconde représentation tout cela nous paraîtra motivé ! épargnez-le pour cette fois ; voyez comme il s’agite, comme il s’efforce de repousser la lame acérée qui s’approche de sa gorge. — Beau scrupule, ma foi ! Est-ce qu’on attend les secondes représentations pour nous disséquer impitoyablement ? Voyons, Mme Stolz, a-t-on tenu compte de votre émotion, de vos terreurs, le jour de votre première apparition dans la Juive ? Et vous, Halévy, croyez-vous de bonne foi, que les critiques, pour tailler en lanières votre partition de Cosme de Médicis, attendront de savoir ce qu’elle contient ? Allons donc, vous ne l’espérez pas. Continuons. La garde de nuit s’approche, Piquillo se place devant l’ouverture qu’il vient de pratiquer dans la muraille, et chante la sérénade obligée de tous les amans espagnols. Les soldats s’éloignent, le prenant pour l’amoureux de la dame du logis ; il entre, s’empare des diamans, reparaît à la fenêtre au moment où les soldats repassent au-dessous, et pousse l’audace jusqu’à leur demander de faire la courte échelle pour qu’il puisse échapper à la vengeance du mari outragé. Ces braves militaires s’empressent de le tirer d’embarras, et, grâce à leurs sympathies galantes, Piquillo descend et disparaît. — Que dit le conseil anatomique de cette idée ? — Eh mais, c’est joli, c’est drôle, c’est amusant, c’est spirituel ! Cela rappelle un peu Macaire et Bertrand fuyant sur les chevaux des gendarmes ; avec cette différence seulement que, cette fois, ce sont les gendarmes eux-mêmes qui ont prêté leurs chevaux. — Eh bien ! oui, j’en conviens, c’est une charmante scène, le scalpel n’a rien à couper là.

    Voici une jeune personne, Dona Eleonora, qui paraît fort affligée ; le cavalier qui la suit est son mari sans doute ? Ah ! il se cache sous un faux nom, il a tué un homme en duel, la justice est à ses trousses, sa belle compagne aime ailleurs ; il aime de son coté dona Sylvia, la joyeuse Andalouse que nous avons entendue chanter dans l’introduction. Cela promet. Piquillo, à l’aide des diamans qu’il a volés au premier acte, fait le grand seigneur ; nous le voyons arriver en litière, dans un accoutrement grotesque et brillant, chez dona Sylvia. Il s’annonce comme le comte Oloferno, Torrenio y Badajos y Rigolès, neveu du vice roi du Mexique ; il vient apprendre un peu les bonnes manières de la haute société américaine à la jeune noblesse de Madrid. Dona Sylvia ne sait trop que penser de cet original ; il lui propose de chanter ; elle s’y refuse. Pour la décider à lui accorder cette faveur, Piquillo a recours à un talisman auquel les cantatrices ne résistent guère, en effet, et dont il est fâcheux que M. Duponchel ne puisse faire usage quelquefois : il lui présente une paire de bracelets de diamans du plus grand prix. Dona Sylvia les reconnaît ; ces bijoux lui ont été dérobés, et le voleur, jusqu’à ce moment, était demeuré inconnu. Sans s’étonner, elle envoie chercher le commissaire et chante, en l’attendant, une jolie ballade accompagnée de la mandoline de Piquillo, c’est-à-dire des flûtes, cors et bassons de l’orchestre. L’homme de loi paraît ; dona Sylvia lui présente le neveu du vice-roi du Mexique, qui sort sans obstacle bientôt après. L’honnête magistrat cherche à deviner pourquoi on l’a fait appeler, car dona Sylvia se dispense de le lui dire, et le spectateur se demande aussi quelle est la raison de ce changement subit dans les dispositions de la jeune femme à l’égard de l’audacieux larron. Caprice féminin ! quelques flatteries de Piquillo sur sa beauté ! Bah ! tout cela n’est pas clair ! qu’en dit le conseil ? — Eh ! eh ! — Hum ! hum ! — Second coup de scalpel.

    L’amant de dona Eleonora ne s’amuse pas, lui, à donner des sérénades ; au moyen de Piquillo et des hommes de sa bande, il la fait enlever de vive force et conduire au château de dona Sylvia. C’est un rapt à main armée, rien que ça. Survient le cavalier que nous avons vu au premier acte avec Eleonora ; il est désespéré, furieux ; il demande ce qu’est devenue sa sœur. — Sa sœur ! s’écrie Sylvia ; — sa sœur ! dit le ravisseur ; je la croyais sa femme ; quel bonheur ! On s’explique, tout va s’arranger, quand l’honnête commissaire revient avec Piquillo dont on s’est emparé. Le frère d’Eleonora, qui fuyait pour échapper à la sentence prononcée contre lui pour le duel dont nous avons parlé, se croit au moment d’être arrêté ; Piquillo se tâte le cou et flaire la potence ; le ravisseur est condamné à épouser dans un quart d’heure la femme qu’il a enlevée, ou à lui céder tous ses biens. Heureusement le dénouement n’est tragique que pour la poche du commissaire adroitement coupée par Piquillo au moment même où il prononçait la double condamnation. Pendant le quart d’heure laissé aux coupables avant l’exécution de leur arrêt, l’inventaire de cette poche y fait découvrir, entre autres choses, une lettre du Roi contenant la grâce de don Lopez, frère d’Eleonora ; en voilà donc un déjà hors de danger. L’amant d’Eleonora, après quelques mots d’explication, obtient sans peine de don Lopez la main de celle qu’il aime et qu’il croyait mariée ; et de deux ! Dona Sylvia épouse don Lopez, et Piquillo se sauve par la cheminée.

    Que dit l’aréopage de ce dénouement ? — C’est vif — c’est comique — c’est piquant — c’est gai — allons, je vois, que nous sommes de bonne composition, nous autres musiciens. Nous n’avons pas de rancune. Caraffa, ôtez le baillon ; Onslow, Halévy, déliez les membres de ce Goliath ; il en sera quitte pour deux égratignures ; Mesdames, laissez-le respirer. Parce que cette pièce a de l’intérêt, parce qu’elle nous a fait rire, parce qu’elle est bien disposée pour la musique, parce qu’on y rencontre une foule de mots plaisans et spirituels, voilà une bonne occasion de vengeance qui nous échappe, nous avons la simplicité de nous laisser aller à nos impressions et nous jugeons d’après elles ! En vérité, c’est noblement agir. Supposons, au rebours de ce qui est, que les hommes de lettres aient eu depuis cent ans et plus à se plaindre de la critique peu éclairée des musiciens : si quelques uns d’entre eux se trouvaient aujourd’hui dans le cas de prendre leur revanche sur l’un de nous, croyez-vous que le malheureux s’en tirerait à si bon compte ? Non certes ! Ils le mettraient en lambeaux. Genus irritabile vatum, rougis de notre clémence.

    Il me reste à parler du musicien ; la séance est levée.

    M. Monpou, dans ses deux précédens ouvrages, Les Deux Reines et le Luthier de Vienne, avait déjà donné de nombreuses preuves de talent. Ses efforts, pour sortir de la vieille ornière rhythmique, cause première de la platitude de tant d’ouvrages remarquables sous d’autres rapports, nous avaient inspiré une vive sympathie. Il exagérait cependant quelquefois ces innovations dans le rhythme, où plutôt il se trompait sur leur réalité. Ainsi, plusieurs morceaux des ouvrages que je viens de citer sont dessinés avec toute la symétrie et la carrure scolastique, le temps fort de chaque mesure y étant seulement déplacé. Mais ce déplacement n’est que pour l’oeil ; on l’aperçoit en lisant la partition ou en regardant les movements du chef d’orchestre ; à l’audition il n’existe pas, la force du sentiment musical obligeant à leur insu les exécutans de remettre l’accent rhythmique à la place que la forme de la mélodie lui assigne naturellement. Il n’y a pas de trace d’erreurs pareilles dans la partition de Piquillo. Plusieurs phrases s’y font remarquer par une coupe originale et des cadences finales imprévues. Je regrette, à propos de cadences finales, que Monpou se soit laissé aller de temps en temps à employer la vieille formule harmonique repoussée aujourd’hui de toute œuvre où le style prétend à quelque élévation. Sans aucun doute, c’est à la paresse du compositeur, et non à son défaut de goût, qu’il faut s’en prendre. Il a été souvent heureux dans le choix de ses mélodies ; plusieurs d’entre elles sont pleines de grâce, et presque toutes ont de l’expression.

    Le thème du final du premier acte a seul été généralement blâmé ; il est commun, et on est loin de s’attendre à le trouver là. Les couplets de Dona Sylvia au début de l’introduction, doucement accompagnés par un léger dessin d’orchestre sur une pédale tonique, produisent un effet délicieux. La chanson de Piquillo a du mordant ; on la voudrait un peu moins écourtée. Le grand duo entre Sylvia et don Lopez m’a semblé bien conduit et chaudement terminé ; je trouve l’andante trop lamentable pour une situation pareille, la douleur des deux personnages n’est pas de telle nature qu’elle doive emprunter des accens au drame sombre et larmoyant ; l’allegro, en outre, contient quelques si naturels aigus qui excèdent évidemment l’étendue de la voix de Jansenne, et lui coûtent en pure perte de pénibles efforts. Je n’ose désigner beaucoup d’autres morceaux justement applaudis, dont je n’ai conservé qu’un souvenir très vague ; une première audition étant, je l’ai déjà dit, complètement insuffisante pour distinguer même les points saillans d’une partition. La nécessité de parler des ouvrages nouveaux immédiatement après leur apparition, nécessité imposée tant par les habitudes de la presse que par l’intérêt des théâtres, est fâcheuse pour les artistes comme pour les critiques.

    Constatons seulement le succès des paroles et de la musique de Piquillo ; c’est un des plus complets dont nous ayons été témoins depuis long-temps à l’Opéra-Comique.

    — Mlle Vial, celle de toutes les élèves de Liszt qui fait le plus d’honneur à ses soins et à sa méthode, se propose d’ouvrir un cours de piano chez elle, rue Blanche, no 3. Les leçons commenceront du 18 au 20 novembre. Nous recommandons ce nouveau cours aux jeunes personnes qui ont le désir de faire de véritables progrès dans l’étude du piano.

    On ne promet pas, selon l’usage de leur faire acquérir en trois ou six mois un talent de premier ordre ; il n’y a point ici de charlatanisme, mais nous répondons du talent de la jeune virtuose, de ses connaissances techniques et de sa patience dans les démonstrations.

H. BERLIOZ.    

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er juin 2015.

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