FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 10 SEPTEMBRE 1837 [p. 1]
THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Première représentation de Guise, ou les Etats de Blois, opéra en trois actes, paroles de MM. Planard et de Saint-Georges, musique de M. Georges Onslow.
Je crois que je puis me dispenser cette fois de raconter scène par scène la pièce au lecteur. Il s’agit d’un fait historique connu de tout le monde, de l’assassinat du duc de Guise ; d’ailleurs je n’ai pas toujours bien suivi le fil de la fable dans laquelle cet événement se trouve enchassé par les auteurs.
Un concierge du château de Blois et une petite laitière, sa maîtresse, servent d’émissaires à tous les intrigans dorés qui s’agitent autour de Henri III. Le Roi joue à la paume ; le duc donne une fête ; Catherine de Médicis souffre et observe ; on devise gaîment ici ; on intrigue là-bas ; là-haut on se meurt. Le duc convoite la couronne de France ; Henri veut la garder ; Catherine montre le danger à son fils en lui indiquant le moyen de s’y soustraire. Ce moyen est simple, mais sûr ; on assassinera le duc. Pour cela, il faut l’attirer dans un piège ; il faut ruser ; il faut miner et contreminer, puis s’assurer du dévouement du capitaine de la garde écossaise qui fera le coup. On va, on vient, on danse, on chante, les dames de la cour boivent du lait, les Ecossais boivent du vin, Guise boit de l’eau-de-vie, la reine-mère boit du café ; je n’ai jamais vu tant boire que dans cette pièce. Enfin l’assassinat réussit : Guise, poursuivi par une vingtaine de soldats, vient tomber sanglant sur la scène ; Catherine meurt d’épuisement ; Henri III rend grâces à Dieu, et retourne jouer à la paume.
Voilà ce que j’ai compris dans le nouveau drame lyrique de MM. Planard et Saint-Georges. On avait dit à l’avance qu’il ressemblait beaucoup aux Huguenots de M. Scribe ; mais, à part la scène du festin qui se trouve non seulement dans les Huguenots, mais dans la Juive, mais dans cent autres libretti, je ne vois pas trop sur quoi cette opinion pouvait être fondée. Le second acte est un peu froid ; la cause en est sans doute dans sa division en trois tableaux, dont chacun nécessite un changement de décoration qu’on n’a pas pu ou voulu faire à vue, préférant baisser la toile à chaque changement et interrompre ainsi l’action deux fois de suite, en laissant à l’orchestre le soin de tenir en haleine l’attention des auditeurs, ce dont ils se sont montrés médiocrement satisfaits. Je laisse aux hommes de lettres l’appréciation de la pièce sous le rapport littéraire, me bornant à examiner comment elle est disposée pour la musique. Un grand nombre de drames lyriques reposent, je le sais, sur des données à peu près semblables à celle des Etats de Blois ; mais ils m’ont toujours paru présenter des difficultés insurmontables, soit au musicien qui n’y trouvait pas sa place, soit au poëte qui disloquait son plan pour lui en faire une telle quelle. L’amour, l’enthousiasme, la mélancolie, la joie, la terreur, la jalousie, le calme de l’âme sont des sentimens et des passions parfaitement propres au développement des forces musicales ; l’ambition, les intrigues politiques, au contraire, ne s’y prêtent en aucune façon.
Voilà pourquoi Roméo, Juliette, Tybald, le frère Laurence, Othello, Desdemona, Ariel et Caliban lui-même pourront être d’admirables personnages chantans, quand Richard III et Macbeth ne sauraient figurer dans un opéra sans perdre les principaux traits du caractère que leur a donné Shakspeare, ou tourmenter inutilement la musique, en lui demandant des expressions qu’elle ne possède pas. Le vieux moine de Roméo, jetant un coup d’œil à la fois philosophique et religieux sur le monde physique, sur les forces cachées de la nature, sur les fleurs et les poisons, sur la vie et la mort, peut fournir au compositeur le sujet de quelques pages sublimes, plutôt que Glocester et Macbeth analysant les motifs de leur ambition. Car la gravité mélancolique de l’un se prête évidemment aux accens de l’hymne et de l’élégie, c’est-à-dire aux plus belles formes que la mélodie, l’harmonie et le rhythme puissent revêtir, tandis qu’appliquée à l’âpre et froide passion des deux autres, la musique paraîtra toujours comme une robe d’or et de soie sur une statue de marbre.
Les auteurs de libretti, auxquels ces sympathies et ces antipathies de l’art musical sont connues, ne manquent pas, il est vrai, lorsqu’ils traitent des sujets analogues à celui qui nous occupe, de s’y conformer de leur mieux. Ils amènent alors de gré ou de force des scènes fictives et plus ou moins lyriques, implantées dans les scènes véritables, au moyen d’une idée accessoire qu’ils gonflent outre mesure ; mais, hélas ! de telles scènes, faute d’être motivées par la nature du sujet, ne servent qu’à faire boiter l’action et grimacer le drame, sans rien inspirer au musicien.
Ainsi, qu’un ambitieux, en songeant au crime qui doit le mener au pouvoir, parle de la flétrissure qu’il va peut-être imprimer au front de ses enfans, cette idée se présente à son esprit confondue avec mille autres ; et, d’après le caractère qu’il a montré auparavant, il est hors de doute qu’elle n’est que d’un poids fort léger dans la balance où il pèse les chances et les résultats contraires de son action. Le spectateur même ignorait qu’il eût des enfans, c’est la première fois qu’il est question d’eux ; le personnage n’a jamais figuré sous le titre d’époux ni de père. N’importe, il faut un air ici, et comme il est assez difficile de chanter la peur de la honte, le poëte prenant au vol cette idée qui, en tout autre cas, eût passé inaperçue, se met à faire de la sensibilité, et chante la tendresse paternelle à propos d’un coup de poignard ou d’un empoisonnement. Ailleurs, des soldats faisant la ronde par une froide nuit de janvier, l’un deux émet l’opinion fort judicieuse qu’il serait plus agréable d’être chaudement assis autour d’une bonne table, à sabler le vin de Champagne ; et vite voilà nos épicuriens transis qui entonnent en grelottant une chanson à boire.
Ces exemples ne sont pas tirés directement du libretto des Etats de Blois, nous les citons seulement à son sujet, pour faire ressortir les inconvéniens qu’il y a pour le musicien, comme pour le poëte, à vouloir convertir en opéra des drames dont l’idèe-mère ne saurait avoir avec la musique aucun point de contact.
La tâche de M. Onslow était donc d’une difficulté qui double le mérite de chacun des avantages obtenus sur elle, et nous devons lui tenir compte de tous les obstacles qu’il a rencontrés. M. Onslow, on le sait, est une des plus belles gloires musicales de la France ; car, malgré son nom anglais, ce grand artiste est notre compatriote. Le Colporteur et l’Alcade de la Vega sont les deux seuls ouvrages qu’il ait écrits pour la scène avant celui-ci, et c’est plutôt à sa musique instrumentale qu’il doit la grande renommée dont il jouit dans toute l’Europe. Il joint à un mérite de composition des plus rares une fécondité qui ne l’est pas moins. Le nombre de ses trios, quatuors et quintetti pour instrumens à cordes ou pour piano, basse et violon, étonne vraiment quand on songe que l’auteur est encore dans toute la force de l’âge, et que chacune de ces œuvres a été longuement méditée et minutieusement travaillée.
La beauté calme de plusieurs de ses adagio et la verve pétulante de la plupart de ses finales (presto) témoignent de la facilité avec laquelle il manie les styles les plus opposés ; on le compte en outre parmi les plus grands harmonistes de l’époque. Aussi devait-on dire, en entendant l’ouverture de son nouvel ouvrage, que depuis long-temps l’orchestre de l’Opéra-Comique n’avait rien eu de semblable à exécuter. C’est d’une belle et large ordonnance, d’un style franc, vigoureux, incisif, d’une intention dramatique bien évidente et bien rendue. Il ne manque à ce morceau qu’une phrase mélodique plus saillante ; le chant épisodique de la clarinette ne me paraît pas tout-à-fait digne du cadre magnifique où l’auteur l’a placé.
Les couplets de Chollet, du duc de Guise ! pleins d’une originalité charmante, un quintetto sans accompagnement, une chanson à boire, dont le singulier refrain se formule en une longue gamme embrassant presque toute l’étendue de la voix, sont, avec le dernier chœur, les morceaux qui nous ont le plus frappés au premier acte. Au second, je crois (les impressions d’une première audition sont si fugitives qu’on n’ose guère se fier à la mémoire), se trouve une ravissante arabesque instrumentale sous un canto parlato, formée d’un dessin de violon essentiellement neuf et délicat ; au moment de l’entrée en scène des personnages sur ce délicieux caquetage des violons, et d’après la tournure que prenait la phrase principale, j’ai cru que nous allions entendre un de ces morceaux à dessin obstiné, dont l’effet devient si puissant entre des mains habiles, quand l’orchestre s’est brusquement arrêté ; le morceau était fini. Cette soudaine interruption a quelque chose de si inattendu, je dirai même de si désagréable, que je serais tenté d’en rechercher la cause dans une de ces horribles coupures qu’on impose aux musiciens dans nos théâtres sous le plus frivole prétexte. Le public ignore sans doute qu’aux répétitions d’un opéra tout le monde dispose de la partition, excepté le compositeur ; l’auteur des paroles, les acteurs, le directeur, le machiniste (s’il y avait encore des chandelles, je dirais le moucheur et le sous-moucheur), indiquent les suppressions, les augmentations, les mutilations de toute espèce dans l’œuvre qui, pour l’ordinaire, a été élaborée avec tant de sollicitude et de réflexion ; et cela du premier coup, sans connaître même bien à fond ce dont il s’agit, sans prendre le temps de s’en informer, sans daigner se mettre au point de vue du pauvre maestro, qui n’a que ses protestations et ses cris, trop souvent inutiles pour se défendre du supplice odieux qu’on veut lui infliger. On l’écartèle, c’est le mot. Il a tort quelquefois, sans doute, nul ne saurait être infaillible, l’amour-propre aussi peut l’aveugler ; en tout cas, comme les correcteurs en mettent beaucoup de leur côté à faire prévaloir leur avis, je pencherais toujours pour l’opinion qui a le plus de chances d’être éclairée, d’autant plus que la vérité, dans ces débats, n’intéresse personne plus vivement que l’artiste dont l’œuvre va être soumise au jugement du public. Des coupures impérieusement exigées avant la première représentation sont d’ailleurs annulées ensuite avec un éclatant succès aux représentations suivantes ; rien n’est plus fréquent. Qui donc avait raison, en ce cas, de l’auteur ou de ses conseillers ?
Peut-être me trompé-je relativement an charmant allegro qui a motivé cette digression, mais je sais d’une manière positive qu’un nombre considérable de fragmens et de morceaux entiers d’une grande importance ont été de la sorte retirés de la partition de M. Onslow, et j’avoue que j’eusse été fort curieux de les connaître. Parmi ceux qu’on a conservés, n’oublions pas de citer la scène de nuit, où la jeune laitière allume son feu dans sa cabane, pendant que les sifflemens de la bise se mêlent à la crépitation du givre à l’extérieur. Le staccato des violons avec les sourdines, accompagné de traits chromatiques liés des altos et violoncelles, produit un effet vraiment magique, d’une nouveauté et d’un pittoresque achevés ; on sent le froid. Le grand air où le duc de Guise décrit sa prochaine entrée triomphale dans Paris nous paraît aussi mériter le brillant accueil qu’il a reçu, et par la pompe de son style mélodique, et par le luxe de bon goût de l’instrumentation.
Couderc exprime d’une façon fort plaisante sa peur obligée (la peur est toujours à l’Opéra-Comique le grand moyen d’exciter l’hilarité) dans des couplets terminés en trio, dont le chant est originalement tourné. Je cite sans beaucoup d’ordre les passages dont j’ai gardé le plus vif souvenir ; l’appréciation complète d’un ouvrage pareil sur une première audition étant, je le répète, pour moi du moins, tout-à-fait impossible.
Voilà un beau succès pour M. Onslow, dont Chollet a pris sa part ; l’un et l’autre ont été chaudement accueillis. Henri, le chef de la garde écossaise, s’est fait applaudir également dans une scène parlée dont il a dit avec bonheur plusieurs mots pleins de sensibilité et de naturel. L’orchestre, sous l’habile direction de M. Girard, a montré souvent du nerf et toujours de l’ensemble.
H. BERLIOZ.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er mai 2015.
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