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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 5 SEPTEMBRE 1835 [p. 1-3]

DES MUSICIENS AMBULANS ALLEMANDS ET ITALIENS.

    Je comparais ensemble ces deux races si différentes d’artistes nomades en écoutant dernièrement la famille Grassl au Gymnase Musical. Voilà bien le peuple allemand avec son amour sérieux et calme, mais profond et religieux pour la musique. Pour ces gens-là, elle n’est pas un délassement voluptueux, ni un jouet frivole, ni un gagne-pain plus ou moins pénible, comme chez les Italiens et les Français, c’est un art divin dont ils comprennent toute la sublimité et qu’ils mettent au rang des choses les plus saintes. Ce sentiment de respect pour la musique se fait sentir même chez ces pauvres diables qui parcourent l’Europe sans autre ressource que leurs voix ou leurs instrumens. Examinez-les, ils font toujours de leur mieux ; mais c’est moins encore pour obtenir les applaudissemens et l’argent du public que pour obéir à cette voix intérieure qui leur dit d’honorer l’art qui les fait vivre, d’autant qu’ils le font déchoir davantage de sa haute mission. En recevant l’offrande de leurs auditeurs, ils remercient, pour l’ordinaire, en souriant tristement, comme si, supposant à chacun leurs opinions enthousiastes, ils voulaient leur dire : « Pardonnez-moi, Monsieur, de faire de la musique pour gagner ma vie, elle n’a pas besoin de moi, mais j’ai besoin d’elle et je sais tout ce que je lui dois. » Voyez Grassl entrer à l’orchestre avec ses six enfans. A ces cheveux plats qui retombent niaisement autour de ses tempes et jusque sur ses yeux, à cette figure terreuse, froide, apathique, à cette démarche gauche et lourde, vous diriez d’un paysan épais qui n’a que tout juste l’intelligence nécessaire à la culture de son champ.

    Cet homme, en effet, n’était qu’un simple bûcheron à Schënau en Bavière, il y a quelques années ; ayant ensuite hérité d’une distillerie, il allait dans les plus hautes montagnes recueillir les plantes et les racines nécessaires à son exploitation. Dans les intervalles de ce travail journalier, Frans Grassl tenta d’apprendre la musique. Sans maître, sans méthode, sans guide, sans instrumens, il parvint, par la seule force de sa volonté, de sa persévérance et de sa patience toute germanique, aidées d’un irrésistible instinct musical, à vaincre des difficultés en apparence insurmontables.

    Il n’avait pas d’instrument, il vint à bout de se fabriquer, tant bien que mal, une clarinette ; pas de méthode, il chercha le doigté et le découvrit. Arrivé au point d’exécuter des airs populaires sur son instrument imparfait, sa passion grandit de tous les obstacles qu’elle avait vaincus autant que des conquêtes qu’elle avait faites. Il voulut apprendre la lecture et la théorie musicale ; quelques pages de principes élémentaires et ses réflexions suffirent pour lui en dévoiler le mystère. Son ambition croissant toujours, il apprit à jouer, au fur et à mesure qu’il put se les procurer, de presque tous les instrumens. Le trombone, le cor, la flûte, la trompette, la trompette chromatique, le violon, la contrebasse, lui devinrent bientôt aussi familiers que la clarinette. Mais il ne pouvait pas faire d’harmonie à lui tout seul, et l’on sait combien cette branche de l’art a de charmes pour les Allemands. Grassl a quatre enfans, ils seront ses élèves, et voilà un quintetto trouvé. Quel bonheur pour lui, au retour de ses courses alpestres, de s’asseoir entouré de sa jeune famille au seuil de sa chaumière, s’enivrant à loisir de repos et d’harmonie, faisant retentir la montagne d’énergiques accords, ou saluant d’un adieu doux et mélancolique le crépuscule du soir prêt à disparaître ! et il peut se dire sans trop d’exagération : cet orchestre est mon ouvrage, j’ai tout fait moi-même, les instrumens, la musique et les musiciens.

    La famille de Grassl s’étant accrue au milieu de ces études artistes qui n’étaient pas, comme on le pense bien, sans avoir nui beaucoup aux travaux industriels, il pensa à appeler la musique au secours de sa petite colonie. Certes jamais muse n’eût été plus ingrate si elle eût mal accueilli une telle prière. Aussi, loin de là, Grassl vit-il sa tentative couronnée de tous les genres de succès. Ses deux plus jeunes enfans avaient pris rang parmi les concertans, dont le nombre dès lors se trouvait porté à sept ; lui-même et ses fils aînés avaient acquis plus de fermeté, plus de brillant dans leur exécution ; on pouvait tenter la fortune. Les instrumens furent donc soigneusement serrés dans les havresacs, et laissant sa chaumière sous la garde de sa pauvreté, le patriarche de l’harmonie descendit des montagnes suivi de sa femme portant sur son dos la plus jeune de ses filles pendant que les autres enfans marchaient non passibus æquis autour de leurs parens. Presque toutes les villes d’Allemagne d’abord, et ensuite celles d’Italie et de Belgique, ont accueilli avec autant d’étonnement que de plaisir cette intéressante petite troupe de symphonistes. L’argent est venu avec la renommée ; et la preuve, c’est que Grassl voyage aujourd’hui dans une bonne carriole à deux chevaux, où l’orchestre tout entier se prélasse en narguant les ondées qui ne mouillent plus les habits, le soleil qui ne brûle plus le visage, et les cailloux qui n’écorchent plus les pieds.

    Engagés pour vingt soirées au Gymnase musical, Grassl et ses enfans n’ont pas reçu des Parisiens un moins bon accueil que des Vénitiens et des Belges. Chaque concert est une nouvelle occasion d’encouragement pour les uns et de succès véritable pour les autres. En mettant à part toute considération étrangère à l’art, on peut dire que deux d’entre eux méritent tout-à-fait les applaudissemens qu’ils excitent ; l’un joue du trombone d’une manière fort remarquable ; si quelques notes graves manquent quelquefois de justesse, ce n’est pas le défaut d’oreille du virtuose qu’il en faut accuser, mais le défaut de longueur de son bras qui ne permet pas au pauvre enfant de prendre certaines positions où la coulisse de l’instrument doit être poussée jusqu’au bout. L’autre tire de la trompette des sons aussi justes que pleins de force et d’éclat, et je sais des orchestres à Paris qui seraient bien heureux d’avoir une demi-douzaine d’instrumens de cuivre de cette force ; la partie que son timbre aigu et son rôle mélodique mettent le plus en évidence, celle de petite flûte, n’est pas aussi bien exécutée, tant s’en faut. Il semble au premier abord que cet instrument présente moins de difficultés que beaucoup d’autres, mais cela n’est vrai que pour le doigté, la justesse et la pureté des sons ne s’obtiennent pas aussi aisément et j’aurais cru le petit garçon qui m’écorchait le tympan avec tant d’intrépidité, moins bien organisé que ses frères et sœurs, si l’instant d’après il n’eût fort convenablement accompagné une harmonie de cuivre sur la trompette chromatique. Car, il faut dire qu’ils possèdent tous, comme leur père, plusieurs instrumens ; l’un (âgé de 13 ans), joue de sept ; un autre (12 ans) de quatre ; un autre (11 ans) de sept ; un (5 ans) de quatre ; une petite fille (8 ans) de quatre, la dernière, qui n’a que trois ans, porte suspendus à son cou plusieurs petits tubes dont je ne connais pas le mécanisme intérieur, faisant entendre le cri du coucou en différens tons. Les sons qu’elle en tire sont loin d’être irréprochables sous le rapport de la justesse, cependant j’avoue que je conçois à peine comment on est parvenu à familiariser une enfant de cet âge avec les difficultés du rhythme et de la mesure au point de la rendre sûre de toutes ses entrées, même après un assez grand nombre de pauses, et en partant sur le temps faible.

    J’engage donc les amateurs de curiosités musicales à aller entendre la famille Grassl ; elle est digne de tout leur intérêt. Quelle étrange différence entre ces paysans styriens ou bavarois, chanteurs ou instrumentistes, si pleins de naïveté et de calme, et les virtuoses ambulans qu’on rencontre en Italie. Affublés pour l’ordinaire de clinquans et d’oripeaux, entremêlant leurs chants de pasquinades indécentes, affectant une gaîté dont le spectacle provoque moins le rire qu’une triste pitié, ils ressemblent beaucoup plus à des cabotins sans engagement, forcés d’exercer leurs talens sur les places publiques et dans les cafés, faute d’un théâtre, qu’à de pauvres enfans de l’harmonie. Mais je ne saurais mieux faire, pour en donner une idée, que d’emprunter à M. Henri Heine l’originale et piquante description qu’il en fait dans son ouvrage intitulé Reisebilder (Tableaux de Voyage), l’une des plus délicieuses extravagances qu’il ait écrites, où la sensibilité, l’ironie, la poésie, l’incrédulité, l’amour et la colère se disputant tour à tour la parole avec un tel cliquetis d’expressions, un tel chatoiement de couleurs, qu’on ne sait auquel entendre, et qu’on finit par pleurer et rire tout à la fois.

    « La musique, sans que j’y prisse garde, s’était fait entendre devant la Botega, et avait attiré un cercle de spectateurs. C’était un singulier trio composé de deux hommes et d’une jeune fille qui pinçait la harpe. L’un des hommes, habillé d’une redingote d’hiver en molleton blanc, avait une large carrure et un visage de bandit qui étincelait comme une comète menaçante, au milieu de cheveux et de favoris noirs ; il tenait entre les jambes un énorme violoncelle qu’il râclait avec la même furie que s’il eût, dans les Abruzzes, jeté à terre quelque voyageur, et qu’il voulût se dépêcher de lui couper le cou ; l’autre était un vieillard long et maigre, dont les jambes ébrêchées tremblottaient dans un ci-devant pantalon noir, et dont les cheveux blancs comme la neige, contrastaient tristement avec son chant bouffe et ses soubresauts extravagans. C’est déjà une chose affligeante qu’un vieillard soit contraint par le besoin à vendre le respect qu’on doit à ses cheveux blancs, et à se faire bateleur ; mais combien cela est plus affligeant encore, quand il se dégrade ainsi en présence de son enfant ou même de moitié avec elle ! Cette jeune fille appartenait au vieux bouffe ; elle accompagnait avec la harpe les charges les plus indignes de son père, ou bien quittant sa harpe, chantait avec lui quelque duo comique où il prenait le rôle d’un vieux fat amoureux, et elle celui de son amante jeune et coquette ; qu’on pense, en outre, qu’elle paraissait à peine adolescente, et qu’il semblait qu’on eût fait de cette enfant, avant qu’elle fût parvenue à l’âge nubile, une femme et une femme peu modeste.

    » De là cette flétrissure de pâles couleurs, cette tristesse fiévreuse sur ce beau visage, dont les formes, empreintes de fierté, repoussaient en même temps toute compassion inquiète ; de là le chagrin secret de ses yeux, qui brillaient avec une intention si agaçante sous leurs noirs arcs triomphaux ; de là l’accent profondément douloureux de sa voix, qui contrastait si mystérieusement avec la belle bouche souriante d’où il s’échappait ; de là la délicatesse maladive de ces membres fléchissans, qu’une petite robe de soie bien courte, à peu près violette, couvrait aussi bas que possible. Des rubans de satin de couleurs bien tranchantes voltigeaient sur un vieux chapeau de paille, et sur le sein apparaissait, comme un symbole, un bouton de rose ouvert, qui semblait ouvert avec violence, plutôt qu’épanoui naturellement dans sa verte enveloppe. Cependant il y avait sur cette malheureuse jeune fille, sur ce printemps déjà corrompu par le souffle de la mort, un charme inexprimable, une grâce qui se manifestait dans chaque mine, dans le moindre mouvemnent, dans tout son accent, et qui ne se démentait même pas alors qu’elle s’avançait en sautillant et avec une lascivité ironique vers son père, lequel, aussi immodeste, présentait en se dandinant son squelette de ventre. Plus elle gesticulait avec impudence, plus profonde était la pitié qu’elle m’inspirait, et quand son chant s’élevait alors tendre et mélodieux, comme pour implorer un pardon, je sentais tressaillir la joie au fond de mon sein. La rose semblait me regarder ainsi d’un air suppliant ; je la vis même une fois trembler et pâlir. Mais au même instant, la jeune fille battit des trilles follement brillans à l’aigu ; le vieux chevrota d’un ton plus amoureux encore ; la rouge figure de comète martyrisa sa basse avec tant de colère qu’elle rendit d’elle-même les sons les plus grotesques, et les auditeurs poussèrent de folles clameurs de satisfaction. »

    Il y a bien encore en Toscane et dans les Etats romains des instrumentistes ambulans dont les habitudes se rapprochent jusqu’à un certain point de celles des paysans allemands, et diffèrent conséquemment beaucoup des allures des chanteurs de cafés, dont M. Heine vient de nous tracer le portrait fidèle. Ce sont des montagnards qui, aux approches de Noël, descendent dans les villes par groupes de quatre ou cinq pour venir donner de pieux concerts devant les images de la Vierge. Une légère rétribution leur est allouée pour cela par le propriétaire de la madone ; et comme il n’y a guère de maison qui n’ait la sienne, ils font pour l’ordinaire une assez bonne collecte avant de retourner dans leurs montagnes. Des longs manteaux de drap brun et un chapeau conique comme celui que portent les brigands, donnent à leur extérieur un aspect grave et sauvage que leur physionomie est loin de démentir. Ils jouent d’une espèce de hautbois grossier qu’ils appellent piffero ; de là le nom de Pifferari qu’on leur a donné. Ces instrumens ne sont pas tous de la même dimension, il y en a de longs comme nos clarinettes en la, d’autres plus courts du tiers et de la moitié. Dans les troupes de Pifferari composées de cinq individus, voici en général comment les instrumens sont distribués : le plus âgé, jouant du grand piffero, tient la partie de basse ; un second, d’un âge mûr également, joint aux sons graves du premier les deux notes criardes de la zampogna (musette), de manière à former une harmonie à trois parties ; un troisième, soufflant dans le piffero de moyenne grandeur, exécute la mélodie, et les deux autres jeunes garçons de douze à quinze ans, à l’aide de petits pifferi d’un timbre aigu et perçant, gazouillent dans le haut toutes sortes de broderies grotesques. La mélodie se trouve ainsi, contre l’ordinaire, placée dans le milieu. Les sons de ce singulier orchestre ont une telle intensité, les vibrations en sont si âpres, que, de près, il est presque impossible de les supporter ; mais, dans l’éloignement, ils ont un charme qui captive et finit par attendrir profondément. Je me suis arrêté dans les rues de Rome pendant des heures entières, à les écouter jouer deux ou trois cents fois le même air sans interruption. Mais, à cette musique sauvage, il faut un autre entourage que celui des rues et des palais d’une ville ; c’est dans les montagnes, c’est chez eux qu’il faut entendre les Pifferari. Je ne saurais décrire l’effet qu’ils produisent, la nuit, dans les Abruzzes, quand, du sein d’une noire forêt de sapins, la rustique symphonie s’échappe joyeuse ou mélancolique, et vient retentir dans la vallée à l’oreille du chasseur attardé. Le silence profond de ces solitudes, l’étrange aspect des rochers gigantesques qui circonscrivent le lieu de la scène, le costume pittoresque de ces hommes apparaissant par intervalles au clair de lune, comme des fantômes, dans les clairières du bois, s’harmonisent si bien avec la voix robuste des instrumens et la couleur agreste des chants qu’ils exécutent, tout cela a un tel parfum d’antiquité que les souvenirs classiques, se réveillant, ajoutent à l’intérêt du moment tout le prestige de la poésie virgilienne, et qu’il n’y a pas de fatigues, d’inquiétudes ou de dangers qui ne disparaissent alors pour faire place aux plus délicieuses rêveries.

    Je ne dirai rien des chanteurs improvisateurs qui assassinent de leurs fades complimens les malheureux voyageurs à leur arrivée dans les auberges ; ils ne possèdent guère d’autre talent que celui de la mendicité. Un aveugle que j’ai entendu à Capoue me paraît pourtant devoir faire exception. Je me trouvais avec deux officiers suédois que la curiosité avait engagés comme moi dans un voyage pédestre de Naples à Rome. A peine étions-nous installés dans notre locanda de Capoue, que le chanteur vint nous saluer en demandant de quel pays nous étions. « Nous sommes Français ! » A ces mots, l’improvisateur saisi d’enthousiasme, entonna, en s’accompagnant de la mandoline, un chant en notre honneur. Il avait, disait-il, parcouru le monde entier, l’Angleterre, 1’Espagne, la Russie, la France et la Romagne, mais plus que l’Anglais, 1’Espagnol, le Russe et le Romain, le Français était doué de bravoure et de beauté. Malheureusement deux mois auparavant en allant à Naples nous avions déjà reçu au même endroit la visite de l’Homère campanien ; à sa question ordinaire nous avions répondu en nous disant Polonais, et ce nom avait été salué d’une improvisation exactement semblable à celle que je viens de citer ; le nom seul était changé, les Polonais cette fois étaient les plus beaux et les plus braves. Mais au moins était-il d’une habileté peu commune sur la grande mandoline ; il nous en donna la preuve en exécutant, après ses chants pindariques, plusieurs morceaux pour son instrument seul, où les traits les plus rapides, les variations les plus compliquées, étaient enlevés (c’est le cas de le dire), currente calamo, avec une précision extraordinaire. Au milieu d’un morceau à trois temps, où il n’employait que les deux, l’accord de la tonique et celui de la dominante en succession régulière, je dis tout bas à mes compagnons de voyage de chanter l’harmonie, pendant que je vocaliserais des thèmes de valse sur le chant de la mandoline. A cette improvisation inattendue notre homme s’exalte, le voilà qui parcourt avec un redoublemement de verve le manche de son instrument, se piquant au jeu, chaque fois que je changeais de thème changeant aussitôt la formule de ses traits, les transposant du grave à l’aigu et réciproquement, bondissant sur sa chaise, riant aux éclats en agitant la tête dans tous les sens, et laissant échapper de temps en temps de petits cris de joie qui partaient comme malgré lui entremêlés de Bravi !…. sono maestri !… Santa Madona !… Io poveretto !…. Ah ! ah !… presto, presto !…. Andiam’ sempre !… Après quelques minutes de cette escrime musicale digne de Tityre et de Mélibée, la fatigue nous arrêta, et l’aveugle transporté applaudit des pieds et des mains, en déclarant qu’il connaissait les Français pour être beaux et braves, mais qu’il n’aurait jamais cru qu’ils fussent si bon musiciens. L’un des Suédois faisant bon marché de mon amour-propre national, lui répondit gravement qu’en France tout le monde savait la musique, qu’aux jours de fête le peuple, se réunissant spontanément, chantait avec un ensemble parfait des chœurs de sept à huit cent voix sans aucun accompagnement ; que les musiciens des rues eux-mêmes étaient d’une belle force et que le gouvernement veillait avec le plus grand soin à ce que les chants populaires fussent toujours du meilleur style, pour conserver pur le goût de la nation ; que nulle part les grands compositeurs n’étaient plus communs ; que de tous les arts, la musique était le plus honoré, le plus aimé et le mieux compris ; que dans les moindres villes, dans les plus petits théâtres de province, il y avait d’excellens orchestres dont la formation ne coûtait aucune peine, chaque enfant étant tenu d’apprendre à l’école le jeu des instrumens en même temps que son alphabet ; que les soldats ne passaient pas dans l’oisiveté le temps que laissait le service militaire, mais qu’ils en employaient une bonne partie à l’étude du chant choral, et que rien aussi ne pouvait donner une idée de la magnificence des hymnes guerrières ainsi chantées par des régimens entiers, etc, etc. — Le vieil aveugle était émerveillé…… Pauvre homme……. si jamais il vient en France, il ne sera peut-être pas impossible de lui conserver son illusion….. s’il est devenu sourd.

H***      

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er mai 2014

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