Troisième tableau – Mercredi des cendres
Prélude
L’atelier de sculpture de Cellini. Au fond, une large fenêtre donnant sur la rue. A droite, au fond, une porte. A gauche, le modèle en plâtre de la statue colossale de Persée. Auprès, un marchepied, et à terre un marteau et quelques instruments de travail. Il est petit jour.
SCÈNE I
Teresa, Ascanio sur le pas de la porte entr’ouverte
TERESA
Ah, qu’est-il devenu? Jésus! où peut-il être?
ASCANIO (refermant la porte)
Il ne peut tarder à paraître,
Teresa, n’ayez pas d’effroi.
TERESA
Il est pris! il est pris ou mort, je vous le jure!
ASCANIO
Ni l’un ni l’autre, croyez-moi;
Mon maître n’est pas homme à servir de pâture
Aux estafiers du Pape, aux sbires de la loi.
TERESA
Mais qui peut l’arrêter?
CHŒUR DE MOINES BLANCS (en dehors)
Vas spirituale, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
ASCANIO
Écoutez.
(Il court à la fenêtre.)
TERESA
Est-ce lui?
ASCANIO (quittant la fenêtre)
Hélas, ce chant qui monte avec tristesse
Vers la voûte des cieux,
N’est que la voix des confréries
Qui vont, chantant des litanies,
Accomplir ici-près quelque devoir pieux.
LE CHŒUR (moins éloigné)
Vas honorabile, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA
Quelle angoisse!
ASCANIO
Espérons.
TERESA
Prions.
TERESA ET ASCANIO
Prions!
LE CHŒUR (un peu plus rapproché)
Rosa purpurea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA (à genoux) ET ASCANlO (debout à côté d’elle)
Sainte Vierge Marie,
Étoile du matin...
LE CHŒUR (plus prés)
Turris Davidica, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Que ta lueur chérie
Verse un rayon divin...
LE CHŒUR (plus près)
Turris eburnea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Verse un rayon divin
Sur mon / son triste destin.
LE CHŒUR (qui commence à passer devant la fenêtre)
Stella matutina, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Sainte Vierge Marie,
Étoile du matin...
LE CHŒUR (s’éloignant)
Turris eburnea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Ramène, je t’en prie
Ramène mon / son amant.
LE CHŒUR (plus loin)
Vas honorabile, Maria sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Ramène mon / un tendre amant
Près de mon / son cœur souffrant.
LE CHŒUR
Rosa purpurea, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
TERESA ET ASCANIO
Ô! conduis mon / ramène un amant
Près de mon / son cœur souffrant.
LE CHŒUR (de très loin)
Stella matutina, Maria, sancta mater,
Ora pro nobis.
SCÈNE II
Les précédents, Cellini
Cellini entre précipitamment. Il est encore vêtu en moine blanc; sa robe est ensanglantée.
CELLINI
Teresa!
TERESA ET ASCANIO
Cellini!
CELLINI
Oui, mes enfants, près de vous me voici.
TERESA
Ah! le ciel soit béni.
Vous n’êtes point blessé, j’espère?
CELLINI
Non, Dieu merci! rassurez-vous, ma chère;
Je n’ai rien eu qu’un peu de peur.
Il ma fallu tout mon bonheur
Pour me tirer d’affaire.
Ah! c’est une merveille!
TERESA ET ASCANIO
Comment?
CELLINI
Oui, prêtez-moi l’oreille,
Et vous en conviendrez, la chose est sans pareille.
Ma dague en main, protégé par la nuit,
Devant mes pas je disperse la foule;
De tous côtés, sous mes coups, à grand bruit,
Le mur vivant qui m’enfermait s’écroule,
Et je peux fuir, je fuis... mais on me suit!
Les cris de mort de cette populace,
Cet habit blanc qui la met sur ma trace,
Tout dans ma course et m’arrête et me glace!
Une seconde encor, ô désespoir!
Et je touche à ma perte!
Mais une porte est restée entr’ouverte,
Je m’y blottis. Ils n’ont pas pu me voir
Je le referme. Ils ont perdu ma piste...
Oh! béni soit mon patron qui m’assiste,
Et toi, Teresa, une pensée à toi!
Tout haletant de fatigue et d’émoi,
Le cœur me manque et le sol fuit sous moi!
TERESA
Juste ciel! achève, l’effroi
Même à ton côté me dévore.
CELLINI
Quand je repris l’usage de mes sens,
Les toits luisaient aux blancheurs de l’aurore,
Les coqs chantaient et le bruit des passants
Retentissait sur le pavé sonore.
Comment rentrer chez moi sans être vu,
Sans que ma robe aux sbires me trahisse?
Des moines blancs, ô bonheur imprévu,
Passent par là se rendant à l’office.
Vêtu comme eux, dans leurs rangs je me glisse
A tout hasard... mon étoile propice
Par ce chemin les conduit, Dieu merci!
Et, mieux encor, je te retrouve ici.
TERESA (très émue)
Ah! que jamais Dieu ne nous désunisse!
ASCANIO
Mais n’est-il plus de dangers à courir?
CELLINI
La mort est sur moi suspendue.
Mes amis, il faut nous enfuir.
TERESA
Nous enfuir?
CELLINI
Sur-le-champ.
ASCANIO (avec consternation)
Mais, maître, ta statue!...
CELLINI
Au diable ma statue, et le Pape, et la loi!..
Je ne pense aujourd’hui qu’à partir au plus vite.
(à Teresa)
Avec toi, chère enfant
Ascanio, pour la fuite
Va chercher un cheval.
ASCANIO
Maître, comptez sur moi
Je reviens tout de suite.
(Il sort par la coulisse de droite.)
SCÈNE III
Teresa, Cellini
TERESA
Ah! le ciel, cher époux
Se déclare enfin pour nous!
Puisqu’après cette épreuve
Il nous a réunis,
N’est-ce pas? c’est la preuve
Que nos vœux sont bénis.
CELLINI
Oui, ma belle, en ce jour
Ne songeons tous les deux qu’à l’amour.
Ô ma jeune maîtresse!
Hâtons-nous de jouir
De la paix que nous laisse
Le temps prompt, hélas, à s’enfuir.
TERESA
Cette nuit, que d’alarmes!
CELLINI
Le passé n’est qu’une ombre...
TERESA
Mais la nuit cède au jour...
CELLINI
Ne donnons rien au sort...
TERESA
Le jour sèche les larmes...
CELLINI
L’avenir est trop sombre...
TERESA
Et voilà de retour
Le bonheur et l’amour.
CELLINI
Sachons vivre d’abord,
Et que vienne la mort!
TERESA
Ah! vite, vite!
Hâtons-nous! quitte
Ce vêtement
Taché de sang!
CELLINI (se dépouillant de sa robe de moine qu’il dépose sur un siège à droite)
Oui, le temps passe!
Jetons cela;
Mais à la place,
Va prendre là
Cette cuirasse!
TERESA
Tiens la voilà!
Choisis l’épée
La mieux trempée
Un bouclier !...
CELLlNI
Que de courage,
Mon gentil page,
Mon écuyer!
TERESA
Ah! vite, vite!
Mets à la place
Cette cuirasse!
CELLINI
Ah! que de courage, etc.
Ensemble
TERESA
Ah! le ciel, cher époux,
Se déclare pour nous!
Puisqu’après cette épreuve
Il nous a réunis,
N’est-ce pas? c’est la preuve
Que nos vœux sont bénis,
C’en est fait, tous nos vœux sont bénis,
Il est pour nous, il se déclare!
CELLINI
Oui, le ciel est pour nous;
Puisqu’après cette épreuve
Il nous a réunis,
Oui c’est bien la preuve
Que tous nos vœux sont bénis.
C’en est fait, tous nos vœux sont bénis,
Il est pour nous, il se déclare!
TERESA ET CELLINI (avec enthousiasme)
Quand des sommets de la montagne
L’aigle inquiet
Entend la voix de sa compagne
Prise au filet,
Il jette aux vents son cri de guerre,
Fond sur les rets
Et fuit avec la prisonnière,
Loin des forêts!
En vain le plomb, en vain la poudre
Sifflent dans l’air,
Son aile va devant la foudre
Comme l’éclair!
Gagnons Florence; dans son aire
L’aigle toscan
Brave et dédaigne le tonnerre
Du Vatican.
Hâtons-nous !
Quand des sommets de la montagne, etc.
SCÈNE IV
Les précédents, Ascanio accourant
ASCANIO
Ah! maître!... mon cher maître!...
CELLINI
Eh bien, qu’est-ce?
ASCANIO
Voici le trésorier avec Fieramosca...
Je les ai vus par la fenêtre!...
TERESA
Ciel, mon père!
CELLINI
Ne crains rien.
ASCANIO
Ah! mon Dieu, les voilà!
(Cellini s’empresse de cacher Teresa derrière la statue de Persée.)
SCÈNE V
Teresa, Ascanio, Cellini, Balducci, Fieramosca qui en voyant Cellini recule vers la porte.
BALDUCCI (sa canne à la main)
Ah ! je te trouve enfin,
Coureur de grand chemin,
Ravisseur, spadassin,
Misérable assassin!
CELLINI
Oh! oh! maître Giacomo, pourquoi
Cette colère et tant de bruit chez moi?
BALDUCCI
Hypocrite, rends-moi ma fille.
Elle est chez toi.
Rends-la moi!
Ou ce bâton...
(Il lève sa canne sur Cellini)
CELLINI
Malheureux!
TERESA (se jetant aux genoux de son père)
Ah! mon père! Je tombe à vos genoux!
BALDUCCI
Te voilà donc, vipère!
C’est fort bien honorer ta mère!
Fuir du logis, pour suivre un spadassin!
Qui t’aurait cru l’âme si noire?
TERESA (tremblante)
Ah! mon père, daignez m’en croire...
CELLINI
Votre fille jamais n’eût un pareil dessein.
TERESA
Non, jamais je n’eus un tel dessein...
CELLINI
Je suis le seul coupable.
BALDUCCI
A d’autres tes sornettes,
Ravisseur de filles honnêtes!
Je sais ce que je sais...
Et vous, à la maison!
Vite, qu’on tourne le talon!
CELLINI (se mettant entre eux)
Arrêtez! j’aime votre fille!
BALDUCCI
Eh! que m’importe à moi
L’amour d’un tel faquin?
CELLINI
J’en suis aimé!
BALDUCCI
Tant pis!
CELLINI
L’honneur d’une famille...
BALDUCCI
Bah!... veut qu’à l’instant
Elle quitte un coquin.
CELLINI
Vous abusez!
TERESA
Mon père!
BALDUCCI
Allons, qu’on me suive!
CELLINI
Teresa!
TERESA
Cellini!
BALDUCCI (désespérant de les séparer)
A moi, Fieramosca, mon gendre!
Voici ta femme, emmène-la!
TERESA, ASCANIO, CELLINI ET FIERAMOSCA
Grand Dieu ! que viens-je d’entendre?
FIERAMOSCA (timidement, s’avançant vers Teresa)
Ma femme! allons... pressons le pas!...
CELLINI
Maraud, si tu touches son bras!...
BALDUCCI (à Fieramosca)
Allons, va donc, mon gendre!
FIERAMOSCA (reculant)
Moi, faire un esclandre!
CELLINI
Maraud! si tu fais un pas,
En enfer je te fais descendre!
Ensemble
TERESA (à Cellini)
Modérez-vous!
ASCANIO
Quel gendre!
FIERAMOSCA
Moi! faire un esclandre!
BALDUCCI
Mon gendre!
SCÈNE VI
Les précédents, le Pape entrant avec sa suite
TOUS
Le Pape ici! de la prudence!
Vite à genoux! paix et silence!
(Ils s’agenouillent.)
LE PAPE (d’un ton paternel)
A tous péchés pleine indulgence,
Ô mes enfants, relevez-vous!
De tous les droits de la puissance,
La pitié sainte et la clémence
A notre cœur sont les plus doux.
Pour vos péchés pleine indulgence,
Ô mes enfants, relevez-vous!
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Justice à nous, seigneur et maître!
A vos pieds saints nous venons mettre
Notre humble supplique... oh! vengez-nous.
LE PAPE
Justice? eh! mais, que voulez-vous?
Mes chers amis, relevez-vous!
BALDUCCI
Un infâme a ravi ma fille,
Terni l’honneur de ma famille!
FIERAMOSCA
Le poignard d’un lâche ennemi
A terrassé mon noble ami!
LE PAPE
Et le coupable en tout ceci?
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Ô très Saint Père, il est ici,
C’est Cellini!
TOUS
Cellini!
BALDUCCI
Voici ma fille et le coupable.
FIERAMOSCA (montrant la robe sanglante que Cellini vient de quitter)
Voici le sang et le coupable.
TERESA, ASCANIO ET CELLINI
Non, Cellini n’est pas coupable.
LE PAPE
Cellini le coupable!...
Un meurtre avec enlèvement!
En vérité, c’est effroyable!
(à Cellini)
Tu feras donc toujours le diable,
Incorrigible garnement?
CELLINI
Non, non, je ne suis pas coupable;
Veuillez m’entendre un seul moment.
LE PAPE (impatienté)
Et ma statue
Dis-moi, qu’est-elle devenue?
CELLINI
Elle n’est pas encor fondue.
LE PAPE
Quoi! depuis le temps pas encor?
BALDUCCI
Elle n’est pas fondue encor!
TOUS
Elle n’est pas fondue encor!
LE PAPE
A quoi donc t’a servi mon or?
A flétrir le cœur d’un vieux père,
Percer les gens de ta rapière,
Et puis passer la nuit entière
Au cabaret à boire frais?
FIERAMOSCA ET BALDUCCI
C’est vrai!
TERESA, ASCANIO ET CELLINI
Non, non!
FIERAMOSCA ET BALDUCCI
Taisez-vous!
LE PAPE
Paix!
Vraiment, je suis bien débonnaire!
(à Cellini)
Un autre aura décidément
Le soin de fondre ta statue.
TERESA, ASCANIO, BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Un autre fondre sa statue!
CELLINI
Un autre fondre ma statue!
Dieu! sur ma tête en ce moment
La foudre est-elle descendue?
Un autre fondre ma statue!
Vous verrez sous l’effort de mon bras
Moule et statue
Voler en éclats,
Avant qu’une main vulgaire...
TERESA ET ASCANIO
Grand Dieu! que va-t-il faire
FIERAMOSCA, BALDUCCI ET LE PAPE
Téméraire!
Devant ton prince n’es-tu pas?
CELLINI (exaspéré)
Oui, que la Vierge me pardonne,
Et le Saint-Père et ma patronne!
Mais nul artiste autre que moi,
Fût-il Michel-Ange, ma foi!
Ne mettra ma statue en fonte.
La mort plutôt que cette honte!
LE PAPE
Ah! c’est ce que nous allons voir! Holà!
Gardes, qu’on m’obéisse!
De cet homme qu’on se saisisse
Sur-le-champ!
(Sur l’ordre du Pape, une partie des gardes qui stationnaient à la porte s’avance; mais Cellini, un marteau à la main, s’est élancé sur le marchepied adossé au modèle de sa statue.)
CELLINI
Ce plâtre entier disparaîtra,
Pas un morceau ne restera,
Non, avant que l’un d’eux me saisisse.
(Il lève le marteau pour briser sa statue.)
TERESA, ASCANIO, FIERAMOSCA ET BALDUCCI
Ah!
LE PAPE
Arrête, arrête! enfant maudit!
Ensemble
TERESA ET ASCANIO
Ah! qu’a-t-il fait et qu’a-t-il dit!
Oser braver le Pape en face!
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Quel scélérat et quel bandit!
Oser braver le Pape en face!
LE PAPE ET BALDUCCI
Quelle audace!
LE PAPE
Ah! ça, démon!
Noire cervelle!
Pour te calmer que te faut-il?
Dis-moi, réponds.
CELLINI
De mes fautes l’entier pardon.
LE PAPE
Tu l’auras sans confession!
TERESA, ASCANIO, BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Il l’aura sans confession!
LE PAPE
Je l’ai dit, il aura
De ses fautes l’entier pardon.
CELLINI
Ce n’est pas tout! Je veux encore
Celle qui m’aime et que j’adore.
LE PAPE
Tu veux ta grâce et Teresa?
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Ô très Saint-Père, arrêtez-là!
CELLINI
Et puis je veux, outre cela,
Le temps de fondre ma statue.
LE PAPE
Quoi! tout cela?
CELLINI
Rien que cela.
TOUS
Rien que cela!
Ensemble
LE PAPE
Ah ! le démon me tient en laisse;
Il sait pour l’art tout mon amour.
L’insolent rit tout bas de ma faiblesse;
Mais avant peu j’aurai mon tour.
BALDUCCI
Le démon le tient en laisse;
Il sait pour l’art tout son amour.
Il rit de sa faiblesse;
Mais nous rirons à notre tour.
CELLINI
Ah! je le tiens!
Je sais pour l’art tout son amour.
TERESA
Oh! funeste jour!
Dieu! prends pitié de mon amour!
ASCANIO
Oh! noble hardiesse!
Oh! le bon tour!
FIERAMOSCA
Ah! le démon rit de sa faiblesse;
Mais nous rirons à notre tour.
LE PAPE (à Cellini)
Pour ton travail quel temps faut-il?
CELLINI
S’il plaît à Dieu,
Cette journée encor m’est nécessaire.
LE PAPE
Te suffit-elle?
CELLINI
Oui, j’espère:
Depuis longtemps la fournaise est en feu.
LE PAPE (faisant signe aux gardes de se retirer)
Soit, j’y consens!...
(A ce mot, Cellini dépose son marteau et se rapproche du Pape.)
Mais, maître drôle,
Souviens-toi bien de ma parole:
Moi-même, à l’atelier, ce soir,
Expressément je viendrai voir
Comment ta fonte sera faite.
Or, si ta fonte n’a pas lieu
A la justice, de par Dieu!
Je livrerai ta tête.
Si Persée enfin n’est fondu
Dès ce soir tu seras pendu.
C’est, je le crois, bien entendu.
TERESA, ASCANIO, FIERAMOSCA ET BALDUCCI
Pendu!
LE PAPE
C’est, je le crois, bien entendu.
BALDUCCI
Mais, Très Saint-Père, il est capable
De finir en temps voulu,
Et Teresa...
LE PAPE
Allez au diable!
Ta fille et toi! C’est entendu:
A l’instant il sera pendu.
FIERAMOSCA
Mais, Très Saint-Père, il est capable
De finir en temps voulu,
Et Pompée...
LE PAPE
Allez au diable!
Pompée et toi! C’est entendu:
A l’instant il sera pendu.
Si tout ce soir n’est pas fondu
A l’instant il sera pendu.
TERESA, ASCANIO, FIERAMOSCA ET BALDUCCI
Pendu!
LE PAPE
C’est, je le crois, bien entendu.
Ensemble
TERESA ET ASCANIO
Pendu! pendu! pendu! pendu!
Si tout ce soir n’est bien fondu.
Eh! quoi, grand Dieu! lui! pendu!
BALDUCCI ET FIERAMOSCA
Pendu! pendu! pendu! pendu!
Si tout ce soir n’est bien fondu.
Alors le fat sera pendu!
CELLINI (ironiquement, au Pape)
Pour mes péchés quelle indulgence!
Ô très Saint-Père, que de bontés! pendu!
Ensemble
LE PAPE
Ah! maintenant de sa folle impudence
Il n’ose s’applaudir.
Ah! c’était trop d’insolence,
Et je dois le punir.
Pas un saint, pas un ange
N’aideront à son bras.
Il bravait ma puissance.
Ah! c’en est fait; je n’ai plus d’indulgence.
CELLINI
Ah! je me sens trop de puissance,
Et, Dieu m’aidant, je dois réussir.
Dans le cœur j’ai trop de puissance
Pour me voir défaillir.
Je brave leur vengeance.
Dieu chérit la vaillance
Et la fait réussir.
Leur basse vengeance
Ne triomphera pas.
TERESA
Plus de chance!
Son sort est de périr!
Contre lui Dieu même se range.
Hélas! comment pourrait-il réussir?
Ah! c’en est fait! je perds toute espérance.
Seul contre tous, peut-il donc réussir?
Je n’ai plus qu’à mourir
De regrets, de souffrance!
Il n’est plus d’espérance!
Dieu même contre lui se range
Les saints ni les anges
Ne l’aideront pas.
ASCANIO
Qu’importe qu’on se venge!
Que la fange
Sur ses pas vienne à jaillir!
Dans le cœur il a trop de puissance
Pour défaillir.
Dieu chérit la vaillance,
Malgré tout j’ai bonne espérance
Et leur basse vengeance
Ne triomphera pas!
FIERAMOSCA ET BALDUCCI
Ah! maintenant que le drôle s’arrange!
Enfin il est prêt à périr.
Ô fureur, ô vengeance,
Hâtez-vous d’accourir.
C’était trop d’insolence.
Ah! cette fois tout assure ma juste vengeance,
Plus d’indulgence.
Ce hautain, ce fat,
Ce fier à bras,
A la fin le voilà mis à bas.
CHŒUR DE LA SUITE DU PAPE
Quelle impudence!
Quelle incroyable insolence!
C’en est trop.
Déjà le drôle aurait dû recevoir
Le prix de son impudence.
Quelle indulgence!
Le drôle n’en mérite pas!
Le théâtre représente une partie de l’atelier de fonderie établi dans le Colisée. Au fond, un rideau cachant la fournaise et les ouvriers fondeurs. Deux portes, à droite et à gauche. Différents ouvrages de Cellini, en or, en argent, en bronze et en étain, répandus ça et là à terre, ou posés sur des dressoirs. L’horloge sonne quatre heures.
SCÈNE VII
Ascanio
Ascanio entre en gambadant par la coulisse de gauche.
ASCANIO (seul)
Tra, la, la, la, la, la...
Mais qu’ai-je donc? Tout me pèse et m’ennuie!
Mon âme est triste. Mais bah! tant pis!
Quand vient la mélancolie,
Que d’ennui j’ai le cœur pris,
Tra, la, la, la... moi je chante et je ris,
Moi soudain je m’étourdis.
C’est donc ce soir que l’on baptise,
Dans le feu notre enfant d’airain,
Le Colisée est son église,
Le Très Saint-Père est le parrain,
Et les témoins tout le peuple romain!
Tra, la, la, la, la, la...
Mais qu’ai-je donc, etc.
Ah! ah! ah! ah! la bonne scène!
– A moi, mes gardes! qu’on l’entraîne.
– Chut, Très Saint-Père... ou ce marteau...
– Tout beau! tout beau! je capitule;
Dès qu’on avance, je recule.
– Alors, primo, je veux ma grâce. – Concedo.
– Et secondo je veux Teresa. – Concedo.
Tout à coup le Saint-Père s’arrête,
De mon maître il lui faut la tête,
Rien que cela?
Ah! ah! ah! ah!
– Si Persée enfin n’est fondu,
Dès ce soir tu seras pendu.
Pendu! pendu! c’est convenu!
Ah! ah! ah! quelle faveur, Très Saint-Père, quelle faveur!
Mais qu’ai-je donc, etc.
(Ascanio, sur un geste de Cellini, entre par la coulisse de droite dans la fonderie d’ou sort son maître.)
SCÈNE VIII
Cellini
CELLINI (seul et pensif)
Seul pour lutter, seul avec mon courage.
Et Rome me regarde! Rome!... Allons, vents inhumains,
Soufflez, gonflez les flots et vogue dans l’orage
La nef de nos sombres destins!
Quelle vie, quelle vie!
Air
Sur les monts les plus sauvages
Que ne suis-je un simple pasteur,
Conduisant aux pâturages
Tous les jours un troupeau voyageur!
Libre, seul et tranquille,
Sans labeur fatiguant,
Errant loin des bruits de la ville,
Je chanterais gaîment;
Puis le soir dans ma chaumière,
Seul, ayant pour lit la terre,
Comme aux bras d’une mère
Je dormirais content.
Sur les monts les plus sauvages, etc.
SCÈNE IX
Cellini, Ascanio, Chœur d’ouvriers fondeurs, en dehors
LE CHŒUR
Bienheureux les matelots,
Ces enfants des flots!
CELLINI (avec humeur)
Allons! encor cette chanson plaintive!
LE CHŒUR
Sur la mer joyeusement
Ils suivent le vent.
Oh!
CELLINI
Toujours avec cet air quelque malheur arrive.
LE CHŒUR
Et quand sombre leur vaisseau,
L’onde est leur tombeau.
Oh!
ASCANIO (entrant, à part)
Funeste présage
Que ce chant-là!
CELLINI
Jamais mon ouvrage
Ne réussira
S’ils perdent courage.
(s’adressant avec énergie à ses ouvriers)
C’est d’un fleuve de métaux
Que nous sommes matelots!
Régner sur l’onde est un jeu,
Quand on règne sur le feu!
ASCANIO ET CELLINI
Allons, enfants, du cœur!
Redoublez tous de vigueur!
Allons, du cœur!
Mélangez le fer et l’étain;
Au succès nous boirons demain!
LE CHŒUR (plus tristement encore)
Bienheureux les matelots,
Ces enfants des flots!
CELLINI (prenant un tablier pour le ceindre autour de lui)
Vite, au travail, sans plus attendre!
(On frappe à la porte.)
Mais qui fait tout ce fracas?
ASCANIO (qui a ouvert, revenant précipitamment)
Fieramosca!
SCÈNE X
Les précédents, Fieramosca, et deux spadassins, porteurs d’immenses rapières
CELLINI
Que veut ce sot avec ses fiers-à-bras?
FIERAMOSCA (avec gravité)
Cellini, je viens de ce pas
En enfer te faire descendre!
CELLINI
En enfer me faire descendre?
Explique-toi, mauvais bouffon.
FIERAMOSCA
Eh bien! je viens te demander raison
De tes injures...
CELLINI
Toi, poltron? Tu ne ris pas?
FIERAMOSCA
C’est tout de bon.
ASCANIO
C’est tout de bon?
FIERAMOSCA
Et sur-le-champ...
ASCANIO
Sans prendre haleine!
FIERAMOSCA
Sur l’heure...
CELLINI
Mais...
FIERAMOSCA
Allons!
CELLINI
Je ne puis sortir.
FIERAMOSCA
Tu recules?
CELLINI (bondissant d’indignation)
Dégaine! Nous nous battrons ici.
FIERAMOSCA
Non, non! si je te tue en ta maison
Je suis un assassin.
C’est la loi, je le sais.
CELLINI
Ah ! maudit baladin!
Je vois ce que tu veux.
M’empêcher de rien faire;
Mais, grâce à Dieu, j’espère
Te donner promptement
Une bonne leçon. Ton rendez-vous?
FIERAMOSCA
Ici, tout près, derrière
Le cloître Saint-André, nous t’attendons.
CELLINI
C’est bon. Va devant, je te suis.
FIERAMOSCA (jetant à Cellini des regards farouches)
Bien, qu’il ose se rendre,
En enfer je le fais descendre!
(Il sort avec les deux spadassins par la porte de gauche.)
SCÈNE XI
Cellini, Ascanio
CELLINI
Quel contretemps que ce duel-là!
Vite, allons, ma rapière!
(Ascanio va la chercher. La porte s’ouvre, et Teresa entre en habit de voyage.)
SCÈNE XII
Cellini, Teresa, entrant en habit de voyage
CELLINI (sans se retourner)
Encor, Fieramosca!
(apercevant Teresa et courant à sa rencontre)
Teresa! Dieu du ciel! Teresa!
TERESA
Mon père nous trahit!
CELLINI
Comment, que dis-tu là?
TERESA
Mon père nous trahit!
Tu sais que le Saint-Père,
Malgré tant de colère
A décidé que Toscan ni Romain
Jusqu’à ce soir n’aurait droit à ma main.
CELLINI
Eh bien!
TERESA
Bravant cet ordre saint, mon père
A voulu m’éloigner de la ville; mais moi
Je me suis échappée
Et je reviens à toi!
SCÈNE XIII
Teresa, Cellini, Ascanio
ASCANIO (rentrant, une épée à la main, sans voir Teresa)
Maître, voici ton épée.
TERESA
Une épée! où vas-tu?
CELLINI
Je reviens à l’instant.
TERESA
Non! non! tu vas certainement
Te battre!... reste ici!
CELLINI
Je ne le puis, vraiment!
TERESA
Je m’attache à tes pas.
CELLINI
Ne crains rien, chère enfant;
Je m’en vais envoyer au diable
Ton futur époux, ton amant!
TERESA
Fieramosca!
CELLINI
Le misérable! Il vient de m’insulter!
TERESA
C’est quelque guet-apens!
J’ai de sombres pressentiments!
CELLINI
Rassure-toi!
TERESA
Grand Dieu!
CELLINI
Ce n’est pas un Hercule;
Ce n’est qu’un vil bouffon
Dont la bravade est ridicule,
Et que je vais punir d’une rude façon.
(Il sort avec Ascanio.)
SCÈNE XIV
Teresa seule
TERESA
Eh quoi! Ma prière est vaine!
Me laisser seule ici!
Pour se battre il est parti.
CHŒUR D’OUVRIERS FONDEURS (derrière la scène)
Cellini! Cellini!
TERESA
Qu’entends-je? fuir?... rester?...
LE CHŒUR
Non! non! plus de travaux!
Laissons les fourneaux!
TERESA
Ah! s’il ne revient pas
Ma perte est certaine.
SCÈNE XV
Teresa, Francesco, Bernardino et le Chœur des ouvriers en tumulte, noirs de sueur et de fumée
FRANCESCO, BERNARDINO ET LE CHŒUR
Peuple ouvrier,
Que l’atelier
Vite se ferme.
A bas les marteaux,
Pelles et ciseaux!
Laissons nos fourneaux!
Quittons les travaux!
Et que le repos
Enfin mette un terme
A tous nos maux!
TERESA
Dieu! quelle colère?
Que voulez-vous faire?
LE CHŒUR
Sortir tous d’ici!
TERESA
Eh! mais... mais Cellini...
LE CHŒUR
Le maître sans gêne
Nous laisse la peine;
Ah! pour l’enrichir
C’est par trop souffrir!
TERESA
De la patience
Cellini s’avance,
Il va revenir.
Ah! que devenir?
LE CHŒUR
Nous voulons sortir!
A nous sur la terre
Labeur et misère,
A nous le malheur,
Au maître l’honneur!
TERESA
Allons, du courage,
Reprenez l’ouvrage!
Vous serez, je gage,
Bien payés demain.
LE CHŒUR
Demain?
Nous sommes sans pain,
Nos enfants ont faim!
TERESA
Ô sainte Madone,
Hélas! n’abandonne
Jamais mon époux!
Je m’attache à vous!
LE CHŒUR
Allons-nous-en tous!
Non, non, laissez-nous,
C’est pure folie!
TERESA
Je vous en supplie!
SCÈNE XVI
Les précédents, Fieramosca, entrant à gauche
TERESA (apercevant Fieramosca)
Ah! ciel! il est mort!
(Elle tombe évanouie. Francesco et Bernardino s’approchent de Teresa et la soutiennent.)
LE CHŒUR
D’où vient ce transport?
Qu’est-ce donc? Secourons-la.
Elle perd la vie!
FIERAMOSCA (étonné)
Ah! que signifie
Cette clameur-là?
TERESA
Ô bons ouvriers!
Vengez votre maître
Tué par ce misérable!
Aux bras meurtriers!
LE CHŒUR
Quoi? L’infâme traître
A tué le maître!
TERESA
C’est un spadassin!
LE CHŒUR
A mort! l’assassin!
FIERAMOSCA (se débattant)
Ah! point de colère!
Je suis votre ami !
(Les ouvriers, en le secouant, font tomber de l’or de ses poches.)
LE CHŒUR
Quoi! tant d’or sur lui!
Qu’en voulait-il faire?
FIERAMOSCA
Je venais en frère vous faire
Gagner un meilleur salaire
Hélas! que celui qu’on vous donne ici.
LE CHŒUR
Au diable! merci!
De ton vil salaire
Que pouvons-nous faire
Pour l’égorgeur
Du grand ciseleur?
Vite, à la chaudière!
FIERAMOSCA
Ah! je suis votre ami!
SCÈNE XVII
Les précédents, Cellini et Ascanio entrant
CELLINI
Holà! qu’est ceci?
LE CHŒUR ET TERESA (sautant au cou de Cellini)
Grand Dieu! Cellini!
CELLINI
Eh! oui, me voici!
TERESA
Quel bonheur! la vie
Ne t’est pas ravie,
Ô mon cher époux!
LE CHŒUR
Nous l’avons cru tous.
CELLINI
Ah! rassurez-vous
(à Fieramosca, qui souffle comme un bœuf)
Chez moi, téméraire,
Que viens-tu donc faire,
Quand le fer en main
Je t’attends en vain?
FIERAMOSCA (tremblant)
Je venais sans mystère...
Je viens...
LE CHŒUR (montrant l’argent qu’ils ont ramassé)
... pour tâcher de nous embaucher.
CELLINI
Comment! soudoyer
Tout mon atelier?
Je sens ma colère!
FIERAMOSCA (toujours plus tremblant)
Je viens... cher confrère...
Je viens...
CELLINI
Tu viens travailler.
LE CHŒUR
Comment? comment travailler?
CELLINI
Oui, oui, travailler...
Couvrez-moi ce drôle
D’un noir tablier,
Et dans l’atelier
Qu’il fasse son rôle,
Ou par Dieu!...
LE CHŒUR
Bien! c’est drôle!
TERESA, ASCANIO ET LE CHŒUR
Allons, fier Vulcain,
Accepte ce rôle,
Ou tu prends un bain
Dans un flot d’airain.
FIERAMOSCA (pendant qu’on l’habille)
J’aime mieux ce rôle
Que de prendre un bain
Dans un flot d’airain.
FRANCESCO ET BERNARDINO
A l’atelier!
Ensemble
LE CHŒUR
Peuple ouvrier,
Rentre à pas leste,
Et que les marteaux,
Pelles et ciseaux
Achèvent le reste
De nos travaux.
Rentrons, et que les fourneaux
Sortant du repos
Achèvent le reste
De nos travaux.
Retournons aux fourneaux,
Reprenons nos travaux.
TERESA ET ASCANIO
Allons! aux fourneaux!
Et que les marteaux,
Pelles et ciseaux
Sortant du repos
Achèvent le reste
De vos travaux.
CELLINI, TERESA ET ASCANIO
Rentrez tous aux fourneaux!
Achevez vos travaux!
La bonne tournure!
Plaisante figure!
FIERAMOSCA
J’aime mieux ce rôle
Que de prendre un bain
Dans un flot d’airain.
Entrons aux fourneaux.
ASCANIO
Oh! l’excellent tour!
(Cellini et le chœur sortent.)
SCÈNE XVIII
Teresa, Ascanio
TERESA
Ah! le calme renaît dans mon âme inquiète,
Mais le ciel est encor bien noir.
ASCANIO
Du courage! avant la tempête
Au port nous entrerons ce soir.
(Il entre dans la fonderie.)
SCÈNE XIX
Teresa, Balducci, le Pape et sa suite, puis Cellini
Entrée du Pape et sa suite
BALDUCCI (stupéfait)
Teresa, ici! Fille rebelle!
LE PAPE
Arrêtez, Balducci!
TERESA (aux genoux du Pape)
Ô pardon, Très Saint-Père!
LE PAPE
Relevez-vous, et dites-moi,
Qui vous amène ici, ma chère?
BALDUCCI
En vérité...
LE PAPE
Tenez-vous coi,
Mon Balducci, pour Dieu, silence!
TERESA
Mon père, usant de sa puissance,
A voulu m’éloigner de Rome sur-le-champ.
Mais comptant sur votre indulgence,
J’ai voulu, pour ce soir, rejoindre mon amant.
LE PAPE
C’est fort mal fait, ma chère enfant.
Il faut obéir à son père,
(regardant Balducci, et d’un ton sévère)
Quand même il manque à son devoir!
Ah! ça, ne pourrons-nous le voir,
Ce Cellini?
TERESA
Le voici, Très Saint-Père.
(Cellini entre vivement, puis salue le Pape.)
LE PAPE
Eh bien! démon, as-tu fini?
CELLINI
Non, pas encore; mais, Dieu merci,
Tout va très bien; sous la chaudière
Le feu redouble, et la matière
N’attend plus que sa sainteté
Pour descendre avec majesté
Dans les entrailles de la terre.
BALDUCCI
Le fanfaron!
LE PAPE
Fausse gaîté!
Avec son sang-froid affecté
Le drôle en ce moment m’outrage;
Mais patience!... Allons, commence.
SCÈNE XX
Les précédents
Le rideau se lève et laisse voir l’intérieur du Colisée où est établie la fonderie. Au fond, le cirque est garni de spectateurs; à droite, le fourneau tout en feu et une échelle conduisant à la chaudière; au milieu, la rigole destinée à recevoir le métal en fusion. Il fait nuit, l’atelier est éclairé par des torches. A gauche, un siège d’honneur où le Pape prend place, entouré de sa suite.
FIERAMOSCA (en fondeur, accourant tout joyeux)
Du métal! du métal! Il leur faut du métal,
Ou bien nous suspendons l’ouvrage.
CELLINI
Que dis-tu, fondeur infernal?
FIERAMOSCA
Du métal! Ou nous suspendons l’ouvrage!
CELLINI
Je vais voir... Contretemps fatal!
(Il se dirige vers la fournaise.)
BALDUCCI (reconnaissant Fieramosca)
Fieramosca! quel équipage!
FIERAMOSCA (embarrassé)
Oh! je conviens...
BALDUCCI
Quel noir visage!
Vraiment, je ne vous comprends pas.
FIERAMOSCA
Entre artistes ne doit-on pas
S’entr’aider?
CELLINI (revenant l’air soucieux, à Fieramosca)
A l’ouvrage!
(Fieramosca, sur un geste impérieux de Cellini, retourne à la fournaise et Cellini le suit presque aussitôt.)
Ensemble
TERESA ET ASCANIO
Quelle pâleur sur son visage!
Ô Dieu! ne l’abandonne pas!
BALDUCCI ET LE PAPE
Quelle pâleur sur son visage!
Je le crois dans un mauvais pas!
CELLINI (revenant, l’air brusque et agité)
Pardonnez, il faut l’œil du maître...
BALDUCCI (ironique)
Quelle belle œuvre enfin va naître!
CELLINI
De métal je viens de repaître
La fournaise, elle est toute en feux;
A présent tout va pour le mieux.
(Les ouvriers travaillent avec un redoublement d’activité.)
FRANCESCO ET BERNARDINO (accourent effrayés)
Maître, maître!
La fonte se fige!
TOUS
La fonte se fige!
FRANCESCO ET BERNARDINO
Du métal!
CELLINI
Tout est-il fondu?
FRANCESCO ET BERNARDINO
Tout! il en faut d’autre, vous dis-je!
CELLINI
Je n’en ai plus. Je suis perdu!
LE PAPE
Le fanfaron est confondu!
BALDUCCI
Le spadassin sera pendu!
TOUS
Il n’en a plus. Il est perdu!
BALDUCCI
Vous, un homme, quoi! de génie,
Un rien vous met à l’agonie?
Quelles terreurs?
Votre science est infinie.
Faut-il donc vous désespérer?
LES OUVRIERS
Du métal! du métal!
FRANCESCO
Eh bien, maître, le temps se presse;
Le feu s’éteint.
CELLINI (balbutiant)
Attends!... que faut-il... je suis...
Que faut-il que je fasse?
LES OUVRIERS (redoublant de cris)
Du métal! du métal! du métal!
CELLINI (exaspéré, levant les mains au ciel)
Seigneur, use de ton pouvoir!
Dans ta main est le seul remède.
Si tu ne veux pas que je cède
Au désespoir,
Aide-moi donc, puisque je m’aide!...
BALDUCCI
Prier! le moment est mauvais.
Assurez d’abord le succès;
Vous rendrez grâce au ciel après.
CELLINI
Je suis sauvé! Dieu m’est en aide!...
(à Francesco et à Bernardino)
Prenez tout ce que je possède!
Courez, ne laissez rien dans l’atelier.
FRANCESCO ET BERNARDINO
Quoi! tous vos chefs-d’œuvre?
CELLINI
Courez, courez, n’importe!...
Or, argent, cuivre, bronze, emporte,
Et jette tout dans le brasier.
(Francesco et Bernardino sortent en courant. Bientôt on les voit reparaître au fond du théâtre suivis d’Ascanio et d’autres ouvriers, chargés de divers ouvrages de ciselure en or et en bronze qu’ils lancent dans la fournaise. Ascanio à l’exemple de son maître saisit un candélabre, et Cellini s’emparant de tous les ouvrages de ciselure qui sont à sa portée, va les jeter dans la fournaise.)
Ensemble
TERESA
Hélas! la force m’abandonne!
Va-t-il malgré tout réussir?
LE PAPE (debout sur l’estrade)
Vraiment! son audace m’étonne;
Va-t-il malgré tout réussir?
BALDUCCI
Ma foi! la raison l’abandonne!
Le fou se ruine à plaisir.
(On entend une détonation ; c’est le couvercle de la chaudière qui saute.)
TERESA, LE PAPE ET BALDUCCI
Ah! quel fracas! que croire?
(Les femmes et les enfants des ouvriers entrent en scène.)
CELLINI (se précipitant désespéré sur l’avant-scène)
Je suis perdu!
LES OUVRIERS (au fond du théâtre)
Vivat, vivat! maître vivat!
(A ce cri, tous les regards se tournent vers la chaudière d’où s’élance un torrent de métal liquide qui se précipite dans la terre.)
LES OUVRIERS ET LES SPECTATEURS
Victoire!
FIERAMOSCA (noir de fumée, perçant la foule pour arriver jusqu’à Cellini)
Allons, allons, faites-moi place,
Ce cher ami, que je l’embrasse.
BALDUCCI (menant Teresa à Cellini)
Il réussit! j’en étais sûr!
Ma fille, embrasse ton futur!
CELLINI (à part)
C’est à qui sera le plus lâche,
Maintenant...
(haut)
Saint-Père, j’ai terminé ma tâche.
LE PAPE (descendu de son siège)
Puisque Dieu lui-même a béni
Et tes travaux et ta hardiesse,
J’acquitte à l’instant ma promesse,
Et je te pardonne, ô Cellini!
CELLINI
Ô ma Teresa!
TERESA
Ô Cellini!
(Le Pape sort avec sa suite.)
FRANCESCO, BERNARDINO ET LE CHŒUR
Viva! viva!
TERESA, ASCANIO ET FIERAMOSCA
Gloire immortelle!
LES OUVRIERS
L’or comme un soleil luit,
Le rubis étincelle
Comme un feu dans la nuit.
TERESA, ASCANIO, FIERAMOSCA, FRANCESCO, BERNARDINO ET BALDUCCI
Gloire à lui!
ß
Les métaux, ces fleurs souterraines
Aux impérissables couleurs,
Ne fleurissent qu’au front des reines,
Des rois, des papes, des grands-ducs, et des empereurs.
Honneur aux maîtres ciseleurs!
© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.